S’armer face aux nouvelles guerres

« La communication, comme la guerre, est un art simple, et tout d’exécution. » Luc Ferry, homme d’État français.

Les évènements en Europe de l’Est s’accélèrent et chaque jour qui passe apporte un nouveau rebondissement dans le conflit en Ukraine. Mais les évènements qui ont empreint la soirée de dimanche et la journée d’hier sont assurément particulier. Kiev a accusé l’armée russe de génocide en servant des images de corps de civils tués dans des conditions atroces. Il n’en fallait pas plus pour que cela enclenche un emballement médiatique en occident. Les canaux d’information n’ayant pas pris la peine d’attendre une authentification des faits ou une quelconque preuve matérielle pour monter l’affaire en épingle. Cela n’est pas sans rappeler le scandale médiatique des charniers de Timișoara qui a d’ailleurs accéléré la chute puis la mort du couple présidentiel Roumain Ceaușescu. Une affaire qui est devenue une référence en matière de désinformation. Cependant, la nouvelle évolution en Ukraine démontre, si besoin est que les nouvelles guerres se jouent désormais sur le champ des médias et de l’information. Un constat qui doit pousser chacune des Nations à se pencher sur ses capacités de riposte en matière d’information et de médias. En Algérie, la question se pose avec acuité, mais on semble vouloir biaiser le débat en l’axant sur une pseudo-restructuration du secteur des médias, au lieu de le placer dans son contexte réel : celui de la désertification médiatique et communicationnelle qui va en s’aggravant et qui se nourrit de la défiance, voire de la rupture des canaux de dialogue entre les médias nationaux et les institutions de l’État, mais aussi de l’absence de vision et de stratégie claires en matière de communication institutionnelle.

Il suffit de se pencher sur le traitement de la récente visite du Secrétaire d’État américain à Alger pour prendre conscience de l’immensité du problème. Au bout d’une journée de visite, les services de la direction de la Communication de la présidence de la République nous ont gratifié d’un communiqué standard de quelques lignes, laissant l’ensemble des médias nationaux se débattre dans un flou artistique pour défendre au mieux les positions de principe algériennes face à une véritable task force médiatique, venue en force accompagner Blinken pour relayer le discours du département d’État lors de sa tournée. Les médias algériens n’ont eu droit à aucun briefing en amont, ni à aucun élément de langage à développer, ni à aucune orientation, malgré l’accélération des évènements au cours des quelques jours qui ont précédé l’arrivée de Blinken Alger. Une gestion questionnable de la communication qui a ouvert la voie à des dérapages et des interprétations erronées de la situation. Pis encore, face à ces dérapages, les institutions misent sur la riposte en recourant à de la communication non officielle. Ses canaux informels invitent d’ailleurs les journalistes algériens à se référer aux éléments de communication présentés par le département d’État US pour accéder à des informations précises sur la teneur des entretiens entre notre président de la République et le secrétaire d’État américain ! Du jamais vu, d’autant qu’on nous invite à devenir des suiveurs aliénés en matière de communication au lieu d’être la source primaire d’information.La question de la stratégie s’impose donc avec acuité dans ce marasme et ce désert communicationnel imposé aux médias. À moins que l’on se satisfasse de gérer la communication institutionnelle comme une agence de communication à grande échelle plus préoccupée par la distribution de la rente publicitaire publique selon les accointances, au lieu de penser en termes de stratégies, d’objectifs à court, moyen et long termes. Il est vrai que la question alimente la défiance et les interrogations sur la gestion du secteur de la communication au moment où de grands titres traditionnels disparaissent, de nouveaux titres n’émergent pas et où le dossier des médias électroniques est géré dans une totale opacité. Comme si cela ne suffisait pas, la rumeur, canal de communication qui prédomine actuellement, évoque la possibilité de réduire la part de publicité attribuée aux médias publics dans un objectif de redistribution « plus équitable » ! Disons-le clairement, une telle décision ne fera qu’achever des médias aux personnels pléthoriques déjà en grande difficulté. Car ce dont ce secteur, qui recèle des compétences avérées, a besoin c’est bien de lui ouvrir des espaces et de lui permettre de pleinement s’exprimer dans le cadre de ses missions de service public, c’est de miser sur la méritocratie au lieu de promouvoir des laudateurs médiocres qui ne comptent que sur la cooptation.  Le monde change, la nature de la guerre aussi et sera celle de l’information. Dans ce contexte, il serait très mal avisé de se désarmer de la sorte. 

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