La résurgence de la flagornerie
La présidence de la République a condamné, hier dans les termes les plus vifs un acte de flagornerie grossière qui malheureusement rappelle une période bien triste de l’histoire politique récente de notre pays. L’évocation de l’affaire du « cadre » suffit à mettre en émoi l’opinion publique, la perspective de voir ressurgir aujourd’hui l’offrande d’un « cadre » à un président de la République et non seulement de mauvais aloi, mais est aussi d’un mauvais goût absolu. Rejeter la résurgence de ce genre de pratiques, comme toutes les autres qui ont caractérisé la période pré-hirak, comme la corruption, le népotisme et la hogra est légitime. C’est même un préalable à toute velléité de refonte des fondements de l’État national. Il est cependant nécessaire de se pencher sur cet incident avec recul et objectivité, d’autant plus qu’il est loin d’être un épiphénomène et impose un certain nombre d’interrogations. La première étant bien entendu le rôle que doit jouer l’université et à travers elle les élites intellectuellesau sein de notre société. Car ce nouvel acte de flatterie n’a pas été le produit, comme par le passé, d’une kermesse politique qui n’a pour finalité que de servir de foire aux vanités. Il a été commis au sein d’une université et la précision est de taille ! Cet incident passe au révélateur une certaine évolution au sein de l’université algérienne qui devient malsaine, celle de l’immixtion de la politique dans ce sanctuaire. Une immixtion qui ne date pas d’hier. D’ailleurs le président de la République a fait de l’expulsion de la politique des universités une priorité. Mais ce phénomène prend une ampleur nouvelle aujourd’hui en se passant de l’interférence assise sur l’influence idéologique sur les contenus enseignés pour prendre la forme de l’ambition politique que de plus en plus d’universitaires semblent poursuivre. Des universitaires qui se voient parfaitement occuper de hautes fonctions au sein de l’État. Même si l’ambition n’est pas répréhensible en soi, la situation qui en découle devient problématique. Il y a plus d’un siècle le sociologue allemand Max Weber avait tranché la question qui porte sur les rapports entre les savants (les universitaires et les intellectuels) et les politiques. Il avait souligné que le politique est centré sur l’action tandis que le savant doit se jeter à corps perdu dans la réflexion, l’un ne pouvant remplacer l’autre. Comprenons que le savant n’a pas à être au cœur de la décision, mais qu’il peut accompagner et guider le politique en émettant un avis objectif. C’est ce qui explique que les dirigeants de la Maison Blanche s’entourent des conseils des membres les plus illustres de la Ivy League et que la Parti communiste en Chine, pays dit pourtant fermé, a mis en place un réseau complexe de thinkthanks pour l’accompagner.Pour Weber, l’enseignant n’a pas à faire de politique et n’a pas à utiliser son autorité. « Chaque fois qu’un homme de science fait intervenir son propre jugement de valeur, il n’y a plus de compréhension intégrale des faits », écrivit-il. Et c’est là le nœud gordien du problème. Car plus les hommes de science et les universitaires se projettent en politique, plus le débat est biaisé et les faits sont édulcorés. Ce qui nous amène à l’autre facette de cette problématique, soit l’absence de débats contradictoires, voire de débats tout cours. Il en résulte un discours ambiant et des discussions assises sur la flatterie et qui donnent l’impression que la complaisance est recommandée. En face, la fermeture progressive des espaces d’expression que ce soit dans les médias et même de la scène politique, laisse à penser que la critique n’est pas souhaitée. L’incident du cadre ne vient pas du néant. C’est la suite logique d’une série d’évènements. Elle doit nous interpeller tous et à tous les niveaux sur les urgences actuelles, d’autant plus que notre pays fait face à des menaces réelles. La consolidation du front interne est une nécessité. Pour cela il faut rasséréner les esprits en évitant les dérives qui risquent de susciter les réactions épidermiques et libérer les esprits de l’emprise de la désinformation distillée sur les réseaux sociaux et par les hurluberlus qui y sévissent. Pour cela, l’élargissement des espaces de débats et de dialogue sur la scène politique et dans les médias est la seule alternative.