Les enjeux énergétiques au cœur du conflit ukrainien : La guerre du gaz
Quatre semaines après le début de l’opération militaire russe en Ukraine, le conflit prend une tournure inédite dans la mesure où la confrontation opère un glissement sur le terrain énergétique. Le Conflit en Ukraine mue pour devenir une guerre du gaz.
L’approvisionnement du marché européen en gaz est devenu une question qui risque de faire basculer l’issue du conflit en Ukraine, terrain de la confrontation à distance que se mènent la Russie et l’Otan. Le sujet a d’ailleurs été au cœur de la visite que le président américain Joe Biden a effectué en Europe, ce week-end. Une visite qui lui a permis de participer au triple sommet du G7, de l’Otan et de l’Union européenne à Bruxelles. Le locataire de la Maison-Blanche devait donner des assurances à ses alliés européens auxquels il a assigné la charge de maintenir et élargir la politique de « Containment » ou d’endiguement de la Russie. Une Europe qui se trouve d’ailleurs prise en étau entre son alliance avec l’Oncle Sam et sa dépendance au gaz russe. Et au bout de ce marathon, Biden promet à l’Europe une hausse de 15 milliards m3 des approvisionnements de GNL US à l’Europe en plus de 22 milliards m3. Une annonce qui a été largement relayée par les médias européens et qui a été présentée comme une « grande réalisation » dans le sens de la diversification des approvisionnements en gaz de l’Europe et qu’on souhaite mettre en avant comme un facteur devant permettre à l’UE de renforcer son pouvoir de négociation avec les autres fournisseurs, d’autant que l’on veut imposer l’idée d’un plafonnement des prix du gaz vendu à l’Europe.
Mais au-delà du battage médiatique sur la question, qu’en est-il vraiment et la contribution américaine, va-t-elle réellement ouvrir des perspectives pour l’UE ? Afin de mieux appréhender les enjeux actuels, il est nécessaire de s’appuyer sur les chiffres. Avec plus de 650 milliards de m3 de gaz produits par la Russie et ses alliés d’Asie centrale, le grand Ours Blanc est le premier producteur de gaz naturel, mais il est aussi le premier exportateur de gaz naturel avec 150 milliards m3 de gaz exportés essentiellement vers le marché européen. Il est clair que l’annonce américaine d’un approvisionnement supplémentaire de 15 milliards de m3 ne peut être que d’un apport marginal. Ce qui laisse dubitatif sur l’objectif de la manœuvre, d’autant que le recours massif au GNL, qu’il soit américain ou qatari, ne peut pas constituer une option viable à court terme au regard des capacités de regazéification limitée en Europe.
Il est clair que les États-Unis veulent saisir l’occasion pour se placer sur le marché énergétique européen, d’autant que le département d’État US de l’énergie a fixé un objectif de hausse de 22% des exportations de GNL vers l’Europe en 2022. Un chiffre qu’il compte doubler en 2023. D’ailleurs les approvisionnements supplémentaires promis collent étrangement aux volumes de GNL que les Américains entendent mettre sur le marché avec la mise en services de nouveaux trains de liquéfaction d’une capacité de plus de 19 milliards m3. Un GNL que Washington compte vendre aux Européens aux prix du marché spot, donc plus cher. Au-delà, de l’enjeu économique, la manœuvre est aussi géostratégique, car l’Oncle Sam espère réduire la dépendance de certains pays européens, notamment l’Allemagne, au gaz russe et faire barrage à toute perspective d’alliance future entre Moscou et Berlin. C’est d’ailleurs cela qui justifie tout le discours médiatique critique à l’égard de la politique de coopération gazière avec la Russie de l’ancien chancelier allemand, Gerhard Schröder.
La manœuvre sert surtout des objectifs de communication afin de rassurer les populations européennes sur leur approvisionnement en gaz et qui affichent déjà leur mécontentement quant à la hausse des prix de l’énergie. Elle a surtout pour finalité de tenter une réponse à la dernière riposte russe qui exige désormais que les paiements du gaz russe livré au marché européen se fasse en roubles. Poutine qui a annoncé cette mesure mercredi a donné une semaine à ses institutions pour les mettre en œuvre. Une véritable bombe atomique économique, dont la portée surpasse la bombe A européenne reflétée par la batterie de sanctions prises contre la Russie. Car avec cette mesure, le président russe entend contourner ce train de sanctions notamment le gel des opérations avec la Banque centrale et les institutions financières russes en forçant l’achat de roubles par les Européens. Une mesure qui aurait également pour conséquence d’apprécier le rouble, mais aussi de consolider le mouvement en cours qui tend à casser la suprématie du dollar au profit d’autres monnaies de réserves internationales, notamment le Renminbi chinois. Face à cette perspective, l’Union européenne n’a pas d’options.
Une situation qui explique d’ailleurs le ballet diplomatique que les différents européens, tout comme leur allié américain, ont engagé en direction des plus grands producteurs de gaz, à l’image du Qatar et de l’Algérie. Il faut toutefois souligner qu’il est actuellement difficile, voire, impossible de substituer les 150 milliards de m3 de gaz russe, au regard des capacités actuelles de production de ces pays, mais aussi au regard des engagement de l’ensemble des producteurs dans le cadre des contrats d’achat et de vente de gaz à long terme, notamment avec leurs clients asiatiques. Le marché asiatique s’impose d’ailleurs de plus en plus comme étant l’avenir et le cœur du marché gazier. Un facteur que les principaux acteurs du marché ne peuvent ignorer. D’ailleurs, si la Russie maintient son emprise sur le marché européen à court et moyen terme, elle pense, elle aussi, aux perspectives offertes par le marché asiatique. Moscou et Pékin ont signé au début du mois de mars un accord pour la réalisation d’un gazoduc qui traverse la Mongolie et qui doit transporter jusqu’à 50 milliards m3 par an. Un projet qui, en plus de saisir l’opportunité économique, servira des objectifs géostratégiques.
Melissa Roumadi Belferag