Accusé d’avoir exploité le drame d’une victime du terrorisme: Deux plaintes et une enquête judiciaire contre Kamel Daoud
Le Prix Goncourt 2024 décerné à Kamel Daoud pour son roman « Houris » se retrouve au cœur d’une polémique majeure. Saada Arbane, une femme résidant à Oran, accuse l’auteur d’avoir utilisé son histoire personnelle sans son consentement, par l’intermédiaire de son épouse psychiatre, qu’elle consultait depuis 2015. « Ma cliente a montré ses blessures et raconté ses meurtrissures à son médecin, psychiatre et épouse de Kamel Daoud, mais elle a été piégée par celle-ci », déclare Me Fatima Zahra Benbraham, l’avocate de la plaignante, lors d’une conférence de presse. L’affaire prend une dimension particulière car elle met en lumière une violation du secret médical, la psychiatre étant l’épouse de l’écrivain. Les faits remontent à l’adolescence de Saada Arbane, alors âgée de 16 ans, victime d’un drame pendant la décennie noire. Selon son témoignage, diffusé sur la chaîne One TV, de nombreux détails intimes de sa vie se retrouvent dans le roman, ses cicatrices faciales, sa canule respiratoire – « Il n’y en a pas 50 000 en Algérie, il n’y en a qu’un seul, et c’est elle qui le porte », précise son avocate – ses tatouages et leurs significations, une tentative d’avortement, son salon de beauté, et même une opération prévue en France. Deux plaintes ont été déposées au tribunal d’Oran. La première au nom de Saada Arbane, la seconde au nom de l’Organisation des victimes du terrorisme. Le parquet a accepté ces plaintes, qui s’appuient notamment sur l’article 46 de la loi sur la réconciliation nationale, prévoyant jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour « toute personne qui, par ses déclarations, ses écrits ou toute autre action, exploite les blessures de la tragédie nationale ». L’avocate révèle également que sa cliente avait précédemment refusé une proposition d’adaptation de son histoire, incluant une offre financière suffisante pour acheter une maison en Espagne. Plus troublant encore, Me Benbraham affirme que le dossier médical de sa cliente a mystérieusement disparu de la clinique, un élément qui fera l’objet d’une enquête judiciaire.
La dédicace personnelle de Daoud dans l’exemplaire offert à Saada Arbane – « Notre pays a souvent été sauvé par des femmes courageuses, et tu es l’une d’entre elles, avec mon admiration » – est un élément compromettant présenté par l’avocate de la victime.
Me Benbraham interpelle directement l’écrivain : « Tu peux rentrer, tu n’as aucunement une tendance politique pour laquelle tu as été poursuivi, ton casier judiciaire est vierge, tu n’es pas réprimé politiquement ni toi ni ta femme, alors venez vous expliquer ici et puis on verra. Entre nous, il y aura le prétoire pour nous réunir sans jamais nous unir. » L’avocate soulève également la question de l’éligibilité du roman au prix Goncourt, rappelant que le règlement interdit les œuvres basées sur des faits réels identifiables si cela compromet des individus. « On ne peut construire sa gloire sur le malheur des faibles », conclut-elle. Pour l’heure, ni Kamel Daoud ni son épouse n’ont réagi publiquement aux accusations. En cas de non-comparution, un jugement par contumace pourrait être prononcé par le tribunal d’Oran.
Chokri Hafed