ContributionDébats

Le système financier algérien a besoin de profondes réformes structurelles

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, directeur général des études économiques et haut magistrat Premier conseiller à la Cour des comptes de 1980 à 1983.

« Les banques doivent passer de guichets administratifs à de véritables banques accompagnant les véritables investisseurs ». Le Président Abdelmadjid Tebboune.

Le système financier algérien, dans sa globalité – banques, fiscalité, domaines, douanes- a besoin de réformes structurelles à la fois pour permettre d’absorber la sphère informelle et pour dynamiser le tissu productif, devant s’adapter aux normes internationales.

C’est un enjeu énorme de pouvoir, ce qui explique que les réformes structurelles annoncées depuis plus des décennies soient souvent différées, les banques publiques en 2025 représentant plus de 85% des crédits octroyés et malgré leur nombre, les banques privées sont marginales et se pose cette question : l’ouverture du capital de la BDL et du CPA ont-ils permis un changement du conseil d’administration et leur fonctionnement par rapport aux pratiques du passé. A partir de là, ne faut-il pas parler de refondation du système financier algérien pour dynamiser le tissu productif algérien car la réforme du système financier renvoie fondamentalement à la gouvernance globale. C’est que l’Algérie a peu de banques accompagnant les véritables investisseurs et pas de véritables bourse des valeurs, la bourse d’Alger étant en léthargie depuis 1996. Plusieurs questions se posent concernant le système financier algérien, poumon du développement du pays et de la croissance future du pays. Et parallèlement, se tissent des liens dialectiques entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle (avec des monopoles informels), produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat et de la bureaucratie. L’informel contrôle plus de 65% des segments des produits de première nécessité : marché des fruits et légumes, du poisson, de la viande rouge et blanche et à travers les importations, le textile et le cuir expliquant le peu d’impacts des différentes directives du ministère du Commerce. Car, lorsqu’un gouvernement introduit des injonctions administratives ne correspondant pas à l’état de la société et c’est une loi économique universelle, les agents économiques produisent eux-mêmes leurs propres règles qui leur permettent de fonctionner, beaucoup plus solides que celles que l’Etat veut imposer car reposant sur la confiance (voir étude sous la direction du professeur A.Mebtoul « Poids de la sphère informelle au Maghreb ». Institut Français des Relations internationales IFRI 2013 réactualisée dans le revue stratégie IMDEP du Ministère de la Défense nationale Alger octobre 2019) . Dans sa note de février 2024 sur la conjoncture économique relative aux tendances monétaires et financières des 9 premiers mois de l’année 2023, la Banque d’Algérie a souligné qu’en septembre 2023, les sommes d’argent qui circulent en dehors du circuit bancaire ont atteint 8026,19 milliards de dinars, dépassant de loin les 7392,8 milliards de dinars enregistrés à fin décembre 2022, représentant au cours de 137 dinars un dollar 59,39 milliards de dollars soit environ 33% du PIB . La finance islamique, a eu un impact mitigé pour l’instant en Algérie pour absorber et bancariser ces fonds, le volume des dépôts au niveau des banques étant passé de 546,69 milliards DA en 2022 pour atteindre 623,83 milliards DA à fin juin 2023, soit moins de 1% de la masse monétaire de la sphère informelle. Quant aux bureaux de change pour canaliser l’épargne informelle, leur réussite étant conditionnée par le taux d’intérêt qui fluctue entre celui du marché parallèle et celui de la cotation officielle avec un l’écart entre 10/15% minimum au niveau de la sphère réelle.

La monnaie hydrocarbures domine

En Algérie, Sonatrach pouvant être assimilée à une grande Banque primaire, la majorité des entreprises privées et publiques , que ce soit pour leur investissement ou leur exploitation courante, sont entièrement dépendantes de la «monnaie hydrocarbures », le système financier étant construit sur un ensemble de réseaux portés par des intérêts financiers individuels à court terme, développant ensuite à moyen terme des stratégies d’enracinement bloquant les réformes pour préserver des intérêts acquis, pas forcément porteur de croissance mais pour le partage de la rente. Or, la vraie richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. L’analyse du système financier algérien ne peut être comprise sans aborder la rente des hydrocarbures. Tout est irrigué par la rente des hydrocarbures donnant ainsi des taux de croissance, de chômage et d’inflation fictifs. On peut considérer que les conduits d’irrigation, les banques commerciales et d’investissement, opèrent non plus à partir d’une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du travail, mais par les avances récurrentes (tirage et réescompte) auprès de la Banque d’Algérie pour les entreprises publiques qui sont ensuite refinancées par le Trésor public en la forme d’assainissement, rachat des engagements financiers des EPE auprès de la Banque d’Algérie. La richesse nationale créée puise sa source dans la relation du triptyque: stock physique (stock ressources naturelles d’hydrocarbures)-stock monétaire (transformation: richesse monétaire) – répartition (modalités et mécanismes de répartition: investissement-consommation-fonds de régulation). La société des hydrocarbures ne créé pas de richesses ou du moins très peu, elle transforme un stock physique en stock monétaire (champ de l’entreprise) ou contribue à avoir des réserves de change provenant essentiellement de Sonatrach estimées à plus de 70 milliards de dollars fin 2024, du fait que les exportations hors hydrocarbures ont connu une courbe descendante 6,9 milliards de dollars en 2022, 5,01 en 2023( source Banque d’Algérie) et selon les extrapolation du premier semestre 2024 de l’ONS 4,2 fin 2024 et sur ce montant 70% sont des dérivées d’hydrocarbures laissant un montant dérisoire aux segments à forte valeur ajoutée concurrentiel au niveau international. Pour preuve les banques publiques malades de leurs clients, les entreprises publiques sans compter la gestion défectueuse de certains services collectifs ( infrastructures , logements et hôpitaux par exemple) des crédits de complaisance à certains opérateurs privés, dans le cadre de réseau de clientèles, 250 milliards de dollars d’assainissement des entreprises publiques durant les trente dernières années à fin 2020 et cela a continué entre 2021 et 2024 selon un rapport officiel diffusé par le premier ministère algérien (source APS) et plus de 85% étant revenues à la case de départ , avec des réévaluations incessantes faute de maitrise de la gestion des projets, la BEA n’étant florissante que parce qu’elle gère les comptes à Sonatrach.

Réforme de l’éco- système

Pour son efficacité, la réforme du système financier doit s’inscrire d’une manière générale s’inscrire au sein de la réforme de l’éco- système et supposant une planification stratégique tenant compte tant des mutations internes qu’internationales. Ce qui implique de dynamiser la bourse d’Alger. La valeur des actions en bourse fluctuent en fonction de plusieurs critères comme les gains présents et futurs des entreprises, les taux de multiles profits, l’inflation, les taux de change officiels et parallèles…. En cas de dérapage accéléré du dinar et d’un taux d’inflation réel élevé, les actionnaires iront vers des valeurs refuges comme les devises, l’or ou l’immobilier. La levée des contraintes bureaucratiques, la visibilité dans la politique économique, la stabilité juridique et la concurrence entre les entreprises sont nécessaires pour dynamiser la bourse. Celle-ci passe forcément par la CONFIANCE sans laquelle aucun investissement créateur de valeur ajouté n’est possible supposant une cohérence et la visibilité et notamment la refonte du système financier algérien. Malgré le grand nombre d’opérateurs privés, nous avons une économie de nature publique avec une gestion administrée. Les activités, quelle que soit leur nature, se nourrissent toutes des flux budgétaires. Leur financement est lié à la capacité réelle ou supposée du Trésor. Il ne peut y avoir véritablement de bourse sans la résolution des titres de propriété et sans des comptabilités claires et transparentes calquées sur les normes internationales. Il faut généraliser les audits et la comptabilité analytique afin de déterminer clairement les centres de coûts et de profits. L’exode des compétences est également inquiétant. Le poste services au niveau de la balance des paiements, avec l’ appel aux compétences étrangères, représente plusieurs milliards de dollars par an. Je propose d’abord la création de fonds de partenariat Public/Privé pour privatiser partiellement quelques champions nationaux . Comme les deux plus grandes entreprises publiques Sonatrach et Sonelgaz ainsi le plus grand groupe privé CEVITAL . Ces fonds agiraient comme incubateurs de sociétés éligibles à la Bourse. Il serait intéressant d’analyser l’impact de l’ouverture partielle du capital de l’importante société saoudienne ARAMCO qui en juin 2024 a annoncé la vente de 1,55 milliard d’actions, soit la transaction la plus importante sur le marché boursier au Moyen-Orient depuis l’introduction en bourse de la société le 03 novembre 2019. Cette dernière a cédé 5% de son capital, dont 2% sur le marché saoudien. L’introduction d’une société en bourse avec l’ extension du nombre de nouveaux actionnaires ne doit pas se limiter uniquement au besoin de financement via la canalisation de l’’épargne mais doit modifier nécessairement le conseil d’administration et le management interne de l’entreprise pour plus d’efficacité : qu’en est-il pour le cas de l’ouverture du capital des banques BDL et CPA en Algérie ? Une bourse pour 47 millions d’habitants constitue une première phase, la capitalisation boursière globale de la Bourse d’Alger s’élevant à 722,6 milliards de dinars au 13 mars 2025soit 5,40 milliards de dollars, montant très faible et ce comparé à la capitalisation boursière mondiale des actifs cotés et disponibles à l’investissement qui s’élevait au 31/12/ 2024 à environ 216. 000 milliards de dollars, les crypto-monnaies, dont la capitalisation boursière combinée est supérieure à 3000 milliards de dollars, constituaient donc environ 1,5% du portefeuille mondial, la principale place boursière, étant New York avec 31.755 milliards de dollars. Aussi il serait souhaitable la création d’une bourse maghrébine et africaine à l’avenir. Cette intégration devrait développer plus rapidement l’économie du continent et accroître le nombre d’acteurs boursiers. Hélas, le commerce intra maghrébin ne dépasse pas actuellement 3% et celui interafricain 15% et je ne rappellerai jamais assez que l’espace naturel de l’Algérie est dans les espaces méditerranéens et africains.

En conclusion, l’objectif stratégique est de redonner confiance à la population algérienne en instaurant un Etat de droit, passant par des actions concrètes de lutte contre la corruption, le favoritisme et le régionalisme. Le pouvoir bureaucratique sclérosant a ainsi trois conséquences nuisibles pour le développement en Algérie (voir notre contribution en 2008 au grand quotidien financier français les Echos.fr , le terrorisme bureaucratique, est l’obstacle majeur au frein à l’Etat de droit et à l’investissement productif) –premièrement, une centralisation pour régenter la vie politique, sociale et économique du pays ; deuxièmement , l’élimination de tout pouvoir rival au nom du pouvoir bureaucratique ; et troisièmement le bureaucrate bâtit au nom de l’Etat des plans dont l’efficacité se révèle bien faible, le but étant de donner l’illusion d’un gouvernement même si l’administration fonctionne à vide, en fait de gouverner une population infime en ignorant la société majoritaire.

ademmebtoul@gmail.com

admin

admin

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *