Quel sera le coût du renouvellement du parc roulant en Algérie ?

Par Dr Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international, ancien directeur des études aux ministères de l’Industrie et de l’Énergie.
Les estimations récentes indiquent que pour 2024, environ 1,5 milliard de véhicules (voitures, camions, SUV) circulent dans le monde, la structure d’âge moyen dépendant du niveau de production, de la politique de transport et du pouvoir d’achat des citoyens de chaque pays.
L’hécatombe sur nos routes ravive le débat sur l’état du parc roulant en Algérie. Ces accidents ne sont, cependant, pas propres à l’Algérie. Ainsi, les coûts totaux des traumatismes liés aux accidents de la route dans le monde sont estimés à plus de 2 200 milliards de dollars par an, soit environ 6,1 milliards de dollars par jour. Environ 1,3 million de décès par an sont recensés dans le monde, ce qui fait des accidents de la route l’une des principales causes de mortalité mondiale, en particulier chez les 5-29 ans. Entre 20 et 50 millions de blessés sont dénombrés chaque année, dont beaucoup souffrent de séquelles permanentes. Le coût social d’un blessé grave en Europe est estimé à environ 700 000 euros et celui d’un blessé léger à environ 70 000 euros. Les assurances versent des milliards d’euros pour indemniser les préjudices corporels subis par les victimes : en Belgique, un décès sur la route coûte environ 7 millions d’euros à la société et en France, les assurances versent chaque année 5 milliards d’euros. Des organismes spécialisés estiment que les accidents de la route représentent un coût pour les sociétés entre 2 et 3 % du Produit Intérieur Brut (PIB) dans la plupart des pays, un coût qui comptabilise les pertes économiques dues aux traitements, la perte de productivité des victimes décédées ou handicapées, et le temps que les familles consacrent à s’occuper des blessés.
1. La structure d’âge du parc automobile de l’Algérie (source : ONS document 2023)
Pour l’Algérie, selon l’enquête de l’ONS au 1er janvier 2021 sur un parc total de 7 731 664 unités, la structure ayant très peu évolué entre 2021 et août 2025, la répartition par âge pour les différentes catégories est la suivante :
Véhicules de tourisme : 4 972 000 unités
- Moins de 5 ans : 12,31%
- Entre 5 et 9 ans : 16,29%
- Entre 10 et 14 ans : 12,82%
- Entre 15 et 19 ans : 10,49%
- 20 ans et plus : 48,09%
À renouveler immédiatement : 2 038 000 unités (48,09%) et 10,49% étalé sur 3 ans, soit au total 58,58% du parc.
Camions : 478 355 unités
- Moins de 5 ans : 4,40%
- Entre 5 et 9 ans : 4,94%
- Entre 10 et 14 ans : 6,57%
- Entre 15 et 19 ans : 8,37%
- 20 ans et plus : 75,72%
À renouveler immédiatement : 287 000 unités (75,72%) et 8,37% étalé sur 3 ans, soit au total 84,0% du parc.
Camionnettes : 1 411 037 unités
- Moins de 5 ans : 3,48%
- Entre 5 et 9 ans : 13,46%
- Entre 10 et 14 ans : 12,94%
- Entre 15 et 19 ans : 10,05%
- 20 ans et plus : 60,06%
À renouveler immédiatement : 846 000 unités (60,06%) et 10,05% étalé sur 3 ans, soit au total 70,10% du parc.
Autocars et bus : 97 826 unités
- Moins de 5 ans : 3,56%
- Entre 5 et 9 ans : 7,01%
- Entre 10 et 14 ans : 10,49%
- Entre 15 et 19 ans : 14,93%
- 20 ans et plus : 64,00%
À renouveler immédiatement : 62 600 unités afin d’éviter le drame d’El Harrach et d’autres drames récents (puisque entre l’enquête de 2020 et 2025, l’âge du parc a augmenté) et 14,93% étalé sur 3 ans, soit au total 78,93% du parc.
Tracteurs routiers : 101 464 unités
- Moins de 5 ans : 6,74%
- Entre 5 et 9 ans : 8,70%
- Entre 10 et 14 ans : 10,28%
- Entre 15 et 19 ans : 9,87%
- 20 ans et plus : 64,41%
À renouveler immédiatement : 79 000 unités (64,41%) et 9,87% étalé sur 3 ans, soit au total 74,28% du parc.
Tracteurs agricoles : 178 965 unités
- Moins de 5 ans : 4,57%
- Entre 5 et 9 ans : 10,07%
- Entre 10 et 14 ans : 4,82%
- Entre 15 et 19 ans : 3,06%
- 20 ans et plus : 77,48%
À renouveler immédiatement : 77,48% du parc et 3,06% étalé sur 3 ans, soit au total 80,54% du parc.
Véhicules spéciaux : 10 859 unités
- Moins de 5 ans : 4,85%
- Entre 5 et 9 ans : 15,24%
- Entre 10 et 14 ans : 6,33%
- Entre 15 et 19 ans : 2,70%
- 20 ans et plus : 70,88%
À renouveler immédiatement : 7 700 unités (70,88%) et 2,70% étalé sur 3 ans, soit au total 73,58% du parc.
Remorques : 180 085 unités
- Moins de 5 ans : 5,51%
- Entre 5 et 9 ans : 9,76%
- Entre 10 et 14 ans : 8,34%
- Entre 15 et 19 ans : 6,92%
- 20 ans et plus : 69,46%
À renouveler immédiatement : 125 000 unités (69,46%) et 6,92% étalé sur 3 ans, soit au total 76,38% du parc.
Motos : 300 153 unités
- Moins de 5 ans : 61,13%
- Entre 5 et 9 ans : 6,52%
- Entre 10 et 14 ans : 2,03%
- Entre 15 et 19 ans : 0,29%
- 20 ans et plus : 29,63%
À renouveler immédiatement : 89 000 unités (29,63%) et 0,29% étalé sur 3 ans, soit au total 29,92% du parc.
Urgence de renouveler le parc de véhicules de plus de 20 ans d’âge
Dans les pays développés, avec de nombreuses variations selon les années et les pays, l’âge moyen des véhicules tourne entre 8 et 12 ans : aux USA, l’âge moyen du parc automobile est de 12,8 ans en 2025, en Allemagne 10,3 ans, en France 11,2 ans, en Italie 12,8 ans, en Espagne 13,7 ans (plus de 45% de la flotte a plus de 15 ans), le segment des autobus présentant un âge moyen de 10,5 ans. Pour l’Afrique, l’âge moyen des voitures se situe globalement entre 16 et 20 ans, avec une extension de l’achat de voitures d’occasion que l’on essaie de réglementer.
Pour l’Algérie, on ne peut séparer la politique du ministère des Transports de celle du ministère des Travaux publics, de mauvaises routes occasionnant des accidents. De même, on ne peut séparer, dans une organisation institutionnelle cohérente, le commerce intérieur du commerce extérieur qui est avant tout un commerce d’importation. Selon les dernières données de l’ONS du 9 août 2025, les exportations d’hydrocarbures avec les dérivés représentent plus de 98% des recettes en devises, avec une baisse constante des exportations hors hydrocarbures :
- En 2022 : 5,81 milliards de dollars (taux de change officiel moyen de 1 dollar = 142 dinars)
- En 2023 : 4,77 milliards de dollars (taux de change officiel moyen de 1 dollar = 135,9 dinars)
- En 2024 : 3,56 milliards de dollars (taux de change officiel moyen de 1 dollar = 134 dinars)
- Au premier trimestre 2025 : 885 millions de dollars (taux de change officiel moyen de 1 dollar = 132 dinars), représentant une baisse par rapport à la même période en 2024 (982 millions de dollars), soit une tendance annuelle de moins de 3,3 milliards de dollars fin 2025.
Ce manque de planification stratégique occasionne souvent des surcoûts en devises. Ces défaillances pourraient s’appliquer à la flotte aérienne en cas de non-renouvellement du parc et aux réseaux ferroviaires, ainsi qu’à bon nombre d’autres segments comme la pénurie de pièces détachées, souvent avec les nouvelles technologies où de petites puces électroniques peuvent immobiliser tout l’appareil de production ou d’autres services dans les administrations et les hôpitaux.
La principale problématique aujourd’hui est de déterminer le coût du renouvellement du parc de transport vieillissant en dinars et en devises, tout en tenant compte des nombreux autres projets programmés en plus de la couverture des besoins sociaux croissants de la population algérienne nécessitant des dizaines de milliards de dollars en devises. Avec l’important déficit budgétaire entre 2022 et 2025, selon le FMI, une croissance des importations et une baisse des exportations en valeur, avec comme impact une baisse des réserves de change entre 2023 et juin 2025. Il serait cependant une erreur de se focaliser uniquement sur le niveau des réserves de change, comme ces mesures du commerce extérieur confondant mesures administratives bureaucratiques et régulation. La dernière mise au point suite à l’interpellation d’un député, selon la majorité des experts consultés, n’est pas une solution car elle ne s’attaque pas à la racine du mal et a eu un impact négatif sur l’appareil de production et le consommateur (pénuries et inflation). L’objectif est la relance de la machine économique nécessitant une bonne gouvernance tenant compte tant des nouvelles transformations mondiales qu’internes.
Conclusion
Il faut faire attention de ne pas se tromper de cibles, pour paraphraser les experts militaires. Il ne faut pas confondre actions conjoncturelles et actions stratégiques pour le moyen et le long terme. Il existe une loi applicable à tous les pays sans exception : 20% d’actions bien ciblées ont un impact de 80% sur la société, et 80% d’actions mal ciblées n’ont un impact que de 20% avec d’importantes pertes financières.
Imputer, comme l’ont prétendu certains, le drame d’El Harrach au manque de vigilance des services de sécurité dont la DGSN et la gendarmerie, c’est détourner l’attention du problème. Il faut être pragmatique car si on avait appliqué les règles strictes de sécurité, c’est plus de 75% du parc qui serait immobilisé, provoquant une très grave crise économique et sociale. Certes, le facteur humain est à l’origine des accidents, mais selon de nombreuses enquêtes, il est secondaire, la cause essentielle étant le vieillissement du parc et le manque ainsi que les prix exorbitants des pièces détachées, interpellant l’action gouvernementale pour une action intersectorielle.
Il s’agira de renouveler selon un planning réaliste la fraction du parc par l’importation, puisque l’intégration locale est très faible notamment dans ce segment. Mais cela concerne surtout la catégorie 15-20 ans et plus où, sur environ un total de 7 millions d’unités, nous avons un taux de 70% de véhicules, soit environ 5 millions d’unités, à renouveler. Les prix varient entre un bus, un camion et une voiture de tourisme selon les marques. En appliquant une moyenne pondérée entre toutes les catégories, toutes taxes comprises (TTC) pour un produit de qualité moyenne, avec un prix arrivé au port d’Alger de 25 000 dollars l’unité (22 000 euros au cours actuel) pour les produits de très bonne qualité étant plus chers, le coût global du renouvellement serait évalué à 125 milliards de dollars. Ce montant devrait être étalé sur cinq ans compte tenu de l’importance de la commande, donnant un budget annuel de 25 milliards de dollars. Il s’agit aussi de combattre tous les délits d’initiés (surfacturation), ce qui est parfaitement dans les possibilités de l’Algérie malgré les tensions budgétaires, car la vie humaine n’a pas de prix.
Les pièces détachées aussi
En plus de ces achats, du fait de la vétusté des routes cause d’accidents (donc des investissements dans les infrastructures), le vieillissement du parc nécessite une importation massive de pièces détachées conformes aux normes internationales dont il conviendra d’évaluer le montant selon les marques. Cela ne touche pas seulement le parc automobile mais la majorité des secteurs, du fait que 85% des besoins en matières premières et pièces détachées des administrations, des entreprises publiques et privées sont importés.
L’Algérie se classe dans la moyenne africaine mais loin derrière les pays développés qui connaissent également un vieillissement de leur parc. Se posera à l’avenir la nécessité de réaliser la transition énergétique tant dans le mode de transport que les énergies utilisées, permettant de lutter contre la pollution dévastatrice.