Constantine : Quand la tradition du Malouf transcende les frontières

Constantine a vécu dimanche soir un moment de grâce musicale exceptionnel. Au théâtre régional « Mohamed Taher Fergani », la deuxième soirée du 13ème Festival culturel international du Malouf a transformé l’enceinte culturelle en un véritable temple de la musique andalouse, où près de mille spectateurs ont communié dans une ferveur collective autour d’un patrimoine musical millénaire. Bahdja Rehal, figure emblématique de l’école de la « Sanaâ », dont « la voix profonde » a immédiatement installé l’atmosphère de recueillement propice à l’écoute des noubas classiques a ouvert le bal de cette soirée mémorable. L’artiste a démontré pourquoi elle demeure l’une des références incontournables du genre, déployant « une voix à la fois puissante et sensible » qui a magnifiquement servi des pièces maîtresses du répertoire. Sa performance sur « Moundou Sakanta Kalbi » et « Bilhobi Kalbi Taâlak » a révélé cette capacité rare de transmettre l’émotion pure, tandis que son interprétation de « Ezahro fi Rawdi Kad Tabassam » a littéralement transporté l’auditoire dans une communion spirituelle avec l’art andalou. Le moment d’anthologie de la soirée est arrivé avec l’entrée en scène d’Abderrachid Segni, maître incontesté du Malouf constantinois. Lorsqu’il a entonné « Salah Bey », ce « grand classique du malouf constantinois profondément ancrée dans la mémoire musicale algérienne », la magie a opéré instantanément. Le public, littéralement conquis, s’est transformé en chœur géant, accompagnant le chanteur avec ferveur, applaudissant au rythme des percussions et reprenant en chœur les paroles dans un moment de communion intense. La dimension internationale du festival a trouvé sa pleine expression avec la prestation remarquée de l’artiste tunisienne Hind Zouari, accompagnée d’un ensemble musical cosmopolite réunissant des musiciennes d’Autriche et de Suède. Cette configuration artistique inédite a démontré la capacité du Malouf à dialoguer avec d’autres traditions musicales sans perdre son essence. Zouari a adouci l’ambiance avec des extraits chantant la paix, notamment pour les enfants de Ghaza, l’amour et la patrie, proposant un répertoire engagé incluant « Sawt El Mouhadjir », « Bint Chabiya » et l’émouvant « Peace for all in the world ». Abdelaziz Benzina a également contribué à maintenir le niveau d’excellence de cette soirée exceptionnelle, enchantant le public par des chansons de Malouf qui ont confirmé la richesse et la diversité du répertoire constantinois. Sa performance s’inscrit dans cette lignée d’artistes qui perpétuent la tradition tout en y apportant leur sensibilité personnelle, garantissant ainsi la transmission vivante de ce patrimoine immatériel.

L’émotion a atteint son paroxysme lors de l’hommage posthume rendu à Amar Touhami, récemment disparu, dans un moment fort et chargé d’émotion. Cette séquence a rappelé la fragilité de la transmission artistique et l’importance cruciale des festivals comme celui de Constantine pour préserver et valoriser les maîtres du genre. L’hommage a souligné cette dimension mémorielle essentielle du Malouf, musique de la nostalgie et de la continuité culturelle. La cérémonie de remise du livre « Sfinet El Malouf, école de Constantine » à l’invité d’honneur tunisien Ziad Gharssa a parachevé cette soirée placée sous le signe de l’échange culturel maghrébin. Cette deuxième soirée du festival, qui se poursuit jusqu’au 24 septembre, a parfaitement illustré la vitalité contemporaine d’un art séculaire. En rassemblant des artistes de diverses nationalités autour du patrimoine andalou, Constantine confirme son statut de capitale du Malouf et démontre que cette musique transcende les frontières pour toucher l’universel. L’affluence familiale constatée témoigne également de la transmission intergénérationnelle réussie de cette tradition, gage de sa pérennité dans le paysage culturel algérien et méditerranéen.

M.S.