Musée des Beaux-Arts d’Alger : M’hamed Issiakhem, figure tutélaire de l’art algérien
Quarante ans après sa mort, M’hamed Issiakhem demeure une figure tutélaire de la peinture algérienne.
Le Musée public national des Beaux-Arts d’Alger a commémoré lundi la mémoire de cet artiste majeur du XXe siècle, disparu en 1985, à travers une rencontre qui a réuni artistes plasticiens, collectionneurs et étudiants autour de son œuvre et de son héritage. Entre témoignages émouvants, présentation d’un site internet dédié et exposition de toiles emblématiques, cette journée a permis de retracer les étapes charnières d’un parcours artistique forgé dans la douleur et l’engagement. C’est d’abord son fils, Younès Issiakhem, qui a pris la parole pour présenter les dernières mises à jour du site internet consacré à l’œuvre paternelle. Créé en 2023, ce portail numérique propose une visite virtuelle de la galerie Issiakhem, où sont réunies 110 peintures agencées selon un ordre chronologique. Cette présentation méthodique permet aux visiteurs d’observer l’évolution esthétique et technique de l’artiste au fil des décennies, offrant ainsi une lecture dynamique d’une carrière qui n’a cessé de se renouveler. L’initiative témoigne de la volonté de faire perdurer la mémoire d’Issiakhem et de rendre son œuvre accessible au plus grand nombre, notamment aux jeunes générations qui n’ont pas connu l’artiste de son vivant.
Le collectionneur d’art et chercheur Djaafar Inal, présent lors de cette commémoration, a livré un témoignage poignant sur celui qu’il a bien connu. Il a salué les qualités de l’artiste avec qui il dit avoir entretenu une longue amitié et une collaboration fructueuse dans le domaine artistique. Décrivant Issiakhem comme un homme aux qualités humaines exceptionnelles, Inal a souligné combien l’artiste était profondément marqué par les événements de son enfance et portait en lui la souffrance du peuple algérien. Pendant la colonisation française, a-t-il poursuivi, Issiakhem a utilisé l’art comme un cri contre l’injustice et l’oppression. Le Musée national des Beaux-Arts a présenté à cette occasion une collection d’œuvres authentiques d’Issiakhem, illustrant son parcours et son génie créatif unique, forgé par des années de recherche et d’expérimentation. Parmi les toiles exposées figuraient Maternité, Grossesse, Rouge, Dépression, La Casbah et Autoportrait, autant de tableaux où s’expriment les sensibilités, émotions et sentiments intériorisés de l’artiste. Ces œuvres, traversées par une palette sombre et des figures souvent torturées, reflètent la vision d’un homme hanté par les blessures de l’enfance et de l’Histoire. La force expressive de ses compositions, la violence contenue de ses traits et l’intensité de ses couleurs témoignent d’une quête artistique sans concession, où la souffrance individuelle se mêle à la tragédie collective.
La commémoration s’est également enrichie d’une dimension pédagogique avec l’organisation d’un atelier de dessin destiné aux étudiants de l’École supérieure des Beaux-Arts. Animé par le professeur Mohand Amokrane, cet atelier avait pour objectif de reproduire certaines œuvres d’Issiakhem, permettant ainsi aux jeunes artistes de s’imprégner de sa technique et de sa sensibilité. Cette transmission intergénérationnelle constitue l’un des enjeux essentiels de telles commémorations, au-delà du simple devoir de mémoire.
Né en 1928 à Azeffoun, dans la wilaya de Tizi Ouzou, M’hamed Issiakhem est considéré comme l’une des figures artistiques les plus influentes du paysage des arts plastiques en Algérie durant le vingtième siècle. Son parcours exceptionnel, marqué par un engagement artistique et humanitaire, continue d’inspirer les créateurs algériens contemporains. Mutilé dans son enfance par l’explosion d’une grenade abandonnée par l’armée française, Issiakhem a transformé ce traumatisme en matière créatrice, donnant naissance à une œuvre puissante où la douleur physique et morale devient langage universel. Quarante ans après sa disparition, son héritage reste vivant, rappelant que l’art peut être à la fois témoignage, résistance et résilience.
Mohand Seghir

