Luttes d’influences au Sahel : Pourquoi le Niger intéresse tant Washington
C’est particulièrement au Sahel que la rivalité entre Washington et Moscou est la plus intense. Les deux puissances veulent faire de la région une sorte de base arrière pour leurs activités futures sur le continent.
La vice-présidente américaine Kamala Harris est arrivée dimanche au Ghana, première étape de sa tournée dans trois pays d’Afrique qui vise à renforcer les liens diplomatiques de Washington avec le continent. Sa tournée au Ghana, en Tanzanie et en Zambie, prévue jusqu’au 2 avril, intervient après un sommet Etats-Unis-Afrique en décembre à Washington, au cours duquel le président Joe Biden a plaidé pour créer un vaste partenariat avec l’Afrique, au moment où les Etats-Unis cherchent à affirmer leur présence sur le continent face à l’influence croissante de la Chine et de la Russie.
C’est particulièrement au Sahel que la rivalité entre Washington et Moscou est la plus intense. Les deux puissances veulent faire de la région une sorte de base arrière pour leurs activités futures sur le continent. Et au vu des moyens investis, les Etats-Unis et la Russie s’inscrivent sur le long terme. Si les Russes ont jeté leur dévolu sur le Mali, les Américains ont en revanche choisi le Niger voisin comme point de départ pour tisser leur toile dans la région. Le pays est pour Washington extrêmement important stratégiquement. Il est tellement important que le 16 mars, le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’y est rendu en visite. Ce qui est très rare.
Blinken est carrément le premier secrétaire d’État américain à se rendre au Niger, un pays que son propre département a pourtant accusé d’être peu respectueux des droits de l’Homme. Avant le départ de Blinken pour le Niger et l’Éthiopie, la sous-secrétaire d’État américaine aux Affaires africaines, Molly Phee, n’a-t-elle pas déclaré que le Niger est « l’un de nos partenaires les plus importants sur le continent en termes de coopération en matière de sécurité ». Cela montre que l’administration Biden compte « chouchouter » les Nigériens et est prêt à fermer les yeux sur d’éventuelles dérives.
A l’occasion de sa halte à Niamey, Antony Blinken a d’ailleurs annoncé que le gouvernement américain fournira 150 millions de dollars d’aide à la région du Sahel en Afrique. Cet argent, a déclaré Blinken, « aidera à fournir un soutien vital aux réfugiés, demandeurs d’asile et autres personnes touchées par le conflit et l’insécurité alimentaire dans la région ». Le lendemain, l’UNICEF a publié un communiqué de presse contenant des informations tirées d’un rapport publié par les Nations Unies ce mois-là, indiquant que 10 millions d’enfants dans les pays du Sahel central (Burkina Faso, Mali et Niger) avaient besoin d’une aide humanitaire d’urgence. Selon l’indice de développement humain pour 2021, le Niger, malgré ses importantes réserves d’uranium, est l’un des pays les plus pauvres du monde (189ème sur 191 pays). Les bénéfices de l’uranium ont longtemps profité aux multinationales françaises et occidentales. Et cela continue.
Que peuvent représenter 150 millions de dollars d’aide pour les Américains ? Pas grand chose. En contrepartie, ils gagnent beaucoup plus, celui de disposer d’un pied à terre au Sahel. Cela n’a évidemment pas de prix. Au nord-est de Niamey, la capitale du Niger, près de la ville d’Agadez, se trouve en effet la base aérienne 201, l’une des plus grandes bases de drones au monde qui abrite plusieurs MQ-9 Reapers armés. Bien évidemment, ni Blinken ni le ministre nigérien des Affaires étrangères, Hassoumi Massoudou, n’ont parlé de la base aérienne 201, d’où les États-Unis surveillent la région du Sahel, forment l’armée nigérienne et fournissent un soutien aérien aux opérations terrestres américaines dans la région. Cette présence sera plus importante à l’avenir puisque les États-Unis dépenseront encore 280 millions de dollars pour le développement de leur base.
Le Niger sera encore généreusement rétribué pour sa coopération sécuritaire. En décembre 2022, lors du Sommet États-Unis-Afrique, le président nigérien Bazoum a rejoint le président béninois Patrice Talon pour faire partie du projet américain connu sous le nom de Millennium Challenge Corporation (MCC). Le gouvernement américain a promis 504 millions de dollars pour faciliter le transport entre le Bénin et le Niger, afin d’aider à accroître les échanges entre ces deux voisins. Le MCC, créé en 2004 dans le contexte de la guerre américaine contre l’Irak, est devenu un instrument utilisé par le gouvernement américain pour rivaliser avec l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route ». Voilà qui a le mérite d’être clair. Il est vrai que la Chine est aussi présente à Niamey par le biais de ses entreprises, pétrolières notamment. Le Niger est donc entraîné dans une guerre d’influence qui risque de lui être des plus dommageables.
Khider Larbi