Crise diplomatique entre l’Algérie et la France : L’inquiétude des patrons français
La détérioration des relations diplomatiques entre l’Algérie et la France suscite désormais l’inquiétude des milieux économiques qui sortent de leur habituelle réserve pour exprimer leurs préoccupations face à une situation qui menace directement les intérêts des entreprises françaises en Algérie.
Dans un communiqué publié jeudi, la Chambre de commerce et d’industrie algéro-française (CCIAF) a officiellement rompu le silence, exprimant ses vives inquiétudes quant aux conséquences de cette nouvelle crise sur les relations économiques entre les deux pays. « La relation algéro-française a subi ces derniers jours un regain de tension qui a malheureusement affecté la collaboration économique et plus spécifiquement l’investissement et le développement d’entreprises françaises de renom en Algérie », alerte l’institution dans ce document signé par son président Michel Bisac. La CCIAF déplore « fortement » cette « escalade relevant de la politique politicienne », une formulation qui, bien que mesurée dans sa forme, constitue un désaveu à peine voilé des récentes manœuvres de certains responsables politiques français, notamment du ministre Bruno Retailleau, accusé d’instrumentaliser les relations franco-algériennes à des fins électorales en vue des présidentielles françaises de 2027. Ce positionnement des milieux d’affaires intervient dans un contexte particulièrement tendu, quelques jours seulement après ce qui apparaissait comme une fragile embellie dans les relations bilatérales. La CCIAF rappelle d’ailleurs que cette escalade survient ironiquement peu après la reprise d’un « dialogue constructif » entre les présidents Tebboune et Macron, qui avaient semblé vouloir placer « l’intérêt des deux nations à la hauteur des multiples liens qui les unissent ». Les patrons français présents en Algérie semblent particulièrement inquiets de voir leurs intérêts économiques sacrifiés sur l’autel de considérations politiques conjoncturelles. Pour la Chambre de commerce, ces liens économiques constituent « un enjeu majeur à préserver et à consolider », d’autant qu’ils « sous-tendent des liens humains et sociaux qui ont vocation à prémunir l’avenir quelles que soient les turbulences du moment ». Cet appel à sanctuariser les relations économiques face aux soubresauts diplomatiques traduit une préoccupation réelle quant à la pérennité des investissements français en Algérie, qui représentent des intérêts considérables. Le communiqué de la CCIAF invite d’ailleurs expressément les acteurs économiques à concentrer leurs efforts « sur la concrétisation d’investissements créateurs de valeur ajoutée dans un esprit d’intérêts réciproquement bénéfiques à l’écart des tensions politiques actuelles ». L’escalade diplomatique a connu une brusque accélération suite à l’arrestation en France d’un agent consulaire algérien par la DGSI sous l’autorité de Bruno Retailleau et son incarcération annoncée le 11 avril, provoquant une réaction immédiate d’Alger qui a expulsé douze agents consulaires français. Paris choisi l’escalade en expulsant à son tour douze agents consulaires algériens et rappelé son ambassadeur pour consultations, bien qu’il soit attendu qu’il regagne rapidement son poste. Cette détérioration brutale du climat diplomatique a eu des répercussions concrètes et immédiates. L’annulation de la visite du PDG du géant maritime CMA CGM, Rodolphe Saadé, en constitue l’illustration la plus éclatante. Le milliardaire franco-libanais, réputé proche du président Emmanuel Macron, devait se rendre en Algérie pour finaliser un ambitieux projet d’investissement dans les infrastructures portuaires et logistiques algériennes, pour un montant évalué à plusieurs milliards d’euros. Ce déplacement, préparé depuis près d’un an, aurait pu marquer une avancée significative dans les relations économiques entre les deux pays. Le Conseil du renouveau économique algérien (CREA) a souligné mardi dans un communiqué que l’annulation de cette visite a été « provoquée » et « justifiée » par les autorités françaises, invoquant la crise diplomatique en cours. Cette explication a suscité l’incompréhension et l’irritation du patronat algérien, qui a décidé en représailles d’annuler sa propre visite en France et sa rencontre prévue avec le MEDEF le 9 mai prochain. Le CREA n’a pas manqué de souligner dans un communiqué ce qu’il considère comme une incohérence flagrante : « Il est paradoxal que les mêmes autorités françaises, qui expriment des préoccupations quant à la participation limitée des entreprises françaises aux appels d’offres internationaux en Algérie, prennent des mesures qui entravent les initiatives d’investissement privés ». Dans ce climat de tension croissante, la CCIAF tente néanmoins de maintenir ouvertes les voies du dialogue économique. Elle lance ainsi un appel aux entreprises françaises travaillant avec des partenaires algériens et qui sont affectées par « cette dégradation du climat des affaires » à se manifester auprès de ses services pour « réaffirmer leur volonté de pérenniser leurs partenariats ». La Chambre rappelle opportunément que ces partenariats « ont également vocation à maintenir des emplois stables en France ». L’attitude du ministre Retailleau, qui semble alimenter les tensions avec l’Algérie pour des intérêts politiques liés à sa potentielle candidature pour la présidence des Républicains en vue des élections présidentielles de 2027, est particulièrement mise en cause. La CCIAF s’est associée à l’engagement du CREA « en faveur de partenariats internationaux équilibrés et mutuellement respectueux(…) afin de préserver le lien économique et à le prémunir des conséquences de déclarations partisanes ».
Salim Amokrane
Le MOUDAF dénonce « les multiples provocations » du ministre français de l’Intérieur à l’égard de l’Algérie
Le Mouvement dynamique des Algériens en France (MOUDAF) a dénoncé jeudi « les multiples provocations » du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau, à l’égard de l’Algérie. « Depuis plusieurs mois, le ministre de l’Intérieur français multiplie les provocations, les contre-vérités et les invectives à l’égard de l’Algérie », a indiqué le secrétaire général du MOUDAF, Nasser Khabat dans un communiqué. « Faut-il y voir l’empreinte d’une ligne politique assumée, ou celle, plus insidieuse, d’une soumission rampante aux injonctions de l’extrême droite et de la fachosphère, cette nébuleuse réactionnaire qui rêve encore d’Empire et de domination coloniale? », s’est-il demandé. « Quoi qu’il en soit, le constat est clair: en se faisant le porte-voix d’un ressentiment colonial à peine voilé, ce ministre ne parle pas pour la France mais pour une certaine idée de la France nostalgique et autoritaire. Quand il ose évoquer une prétendue +humiliation+ de la France face à l’Algérie, c’est une insulte faite à l’Histoire, a-t-il enchaîné. « Elle ravive les braises d’un passé non digéré, au lieu de construire les conditions d’un dialogue apaisé entre deux pays », dit-il. En outre, le secrétaire général du MOUDAF a tenu à préciser que le silence des membres de la diaspora algérienne « n’est pas un signe de soumission. Il est celui d’une maturité politique que beaucoup dans l’appareil d’Etat français semblent avoir perdue ». « (…) Nous refusons d’être les spectateurs muets d’une dérive nationaliste qui instrumentalise nos histoires, nos identités, et notre citoyenneté plurielle à des fins électoralistes », a-t-il conclu.
APS