Quand la France perpétrait des assassinats ciblés en Algérie
La France a orchestré des assassinats ciblés en Algérie durant la guerre de libération nationale. Des assassinats qui ont touché des familles entières y compris des femmes et des enfants.
Une enquête explosive publiée dimanche par L’Express révèle l’existence d’un document compromettant issu des archives du Service français de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE). Ce rapport secret, annexé à un courrier adressé à Jacques Foccart durant l’été 1958, dévoile une réalité glaçante : l’État français a délibérément orchestré des assassinats ciblés pendant la guerre de libération nationale, touchant non seulement des figures du Front de Libération Nationale (FLN), mais également leurs proches, y compris des femmes et des enfants. Le document, découvert par le média français, recense méticuleusement une série d’opérations meurtrières perpétrées par les services secrets français. Parmi les victimes citées par l’enquête de l’Express figure le pharmacien Saad Rahal, âgé de 32 ans, tué le 19 avril 1957 par un colis piégé à Meknès, au Maroc. Le rapport évoque froidement « la destruction de l’objectif et de sa famille ». En effet, l’explosion a également coûté la vie aux parents de Rahal ainsi qu’à sa fille de 4 ans. Le cynisme de la France coloniale est allé jusqu’à essayer de faire endosser ce crime à un soit-disant » règlement » de comptes interne au FLN. Le document du SDECE révèle que Rahal était en réalité ciblé pour son soutien et son rôle actif dans la fourniture d’armes à l’Armée de libération nationale (ALN). Les révélations vont plus loin et battent en brèche l’idée de simples bavures militaires, car il s’agissait bien d’opérations planifiées, menées en Algérie, en Afrique du Nord et même sur le territoire français.
De Gaulle avait donné son feu vert
Des opérations qui avaient d’ailleurs été portées à la connaissance des autorités au plus haut sommet de l’État français. L’article de l’Express souligne ainsi que Constantin Melnik, ancien conseiller de Michel Debré, affirme dans son livre « Mille jours à Matignon » que le général de Gaulle, alors président du Conseil, avait fixé trois conditions strictes à ces actions : son approbation préalable, l’interdiction d’agir sur le sol français, et l’exclusion de cibles françaises. Pourtant, ces principes ont été régulièrement bafoués. En juin 1957, le médecin français anticolonialiste Louis Tonellot échappe de peu à une bombe placée à son domicile d’Oujda, qui blesse sa femme et sa fille. Le tableau adressé précise laconiquement : « La famille est atteinte ». Plus flagrant encore, le 21 mai 1959, l’avocat algérien Amokrane Ould Aoudia est assassiné en plein Paris. Dans son ouvrage « La Guerre d’Algérie en France, 1954-1962 », Raymond Muelle, ancien membre du service Action, revendique sa participation à cette opération qu’il affirme avoir été conduite « avec l’aval du pouvoir politique ». Muelle mentionne également l’élimination en octobre 1960 de Rachid Khilou, « officier de police musulman » soupçonné de travailler secrètement avec le FLN. D’après ses dires, Khilou a été tué par une « piqûre empoisonnée » administrée par un agent surnommé « lieutenant Lambert », alors que la presse avait à l’époque imputé ce meurtre au FLN. Une note adressée à Jacques Foccart le 5 mai 1961 révèle que les autorités suisses soupçonnaient déjà les services français d’être derrière cet assassinat.
La main rouge, une organisation fictive pour brouiller les pistes L’enquête de l’Express révèle aussi que pour brouiller les pistes, le SDECE avait créé une organisation fictive appelée la « Main rouge », destinée à revendiquer les assassinats commis par ses agents. « Les services secrets inventifs disent : nous pouvons participer à la destruction du FLN, et pour cela, éventuellement, nous pourrions inventer une organisation imaginaire qui s’appellerait la Main rouge », témoigne Melnik. Cette façade a été méticuleusement construite, allant jusqu’à la publication d’un livre via une fausse maison d’édition, relatant une prétendue interview d’un membre de cette organisation fantôme. Cette couverture s’avérait particulièrement utile pour masquer des opérations menées en Allemagne et en Suisse contre des cadres du FLN et des marchands d’armes européens suspectés d’approvisionner la guerre de libération nationale. Le document comptabilise avec précision 38 opérations conduites entre janvier 1956 et mars 1958 : 17 ont abouti, dont 12 qualifiées de « réussites totales », 4 se sont soldées par des échecs, 3 ont connu des « incidents techniques », et 17 ont été annulées, dont 8 sur décision politique. Parmi ces dernières figurent deux projets majeurs stoppés par le président du conseil des ministre à l’époque Guy Mollet : l’assassinat d’Ahmed Ben Bella, futur président algérien, prévu au Caire en juillet 1956, et une tentative contre le président égyptien Nasser, qui aurait pu être éliminé par une bombe télécommandée lors de son arrivée à Port-Saïd en décembre 1956. Ces nouvelles révélations sur les crimes perpétrés par la France coloniale s’ajoutent à la liste des actions innommables de l’ancien colonisateur et que la France officielle se refuse encore à reconnaître. Il est utile de rappeler dans ce sens qu’un documentaire réalisé par Claire Billet et s’appuyant sur les travaux de l’historien Christophe Lafaye, film d’ailleurs censuré en France, a levé le voile sur l’usage par la France coloniale, d’armes chimiques en Algérie. Des révélations qui dévoilent une réalité crue du fait coloniale, une gifle au négationnisme et révisionnisme du