Algérie-France: Le fossé s’élargit
La crise diplomatique entre l’Algérie et la France connaît une escalade sans précédent, alimentée par une série de provocations françaises orchestrées principalement par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Cette dégradation des relations bilatérales illustre désormais un fossé qui ne cesse de s’élargir entre Alger et Paris.
L’épisode le plus récent de cette crise concerne la remise en cause par les autorités françaises des accords de 2007 et 2013 sur l’exemption de visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques et de service algériens. Samedi dernier, plusieurs médias français ont révélé le contenu d’un message de l’état-major de la Direction générale de la police nationale française ordonnant la réinstauration du visa pour ces ressortissants. « Le ressortissant algérien, titulaire de passeport diplomatique ou de service qui ne détient pas de visa fera l’objet d’une procédure de non-admission ou de refoulement », précise cette directive, s’inscrivant dans le cadre de la « riposte graduée » annoncée par Bruno Retailleau.
Face à cette nouvelle provocation, Alger entend répondre avec fermeté. Le ministère des Affaires étrangères, de la Communauté nationale à l’étranger et des Affaires africaines a publié lundi un communiqué particulièrement ferme, dénonçant les « pratiques curieuses et douteuses » de la France. Les autorités algériennes s’insurgent contre la méthode française consistant à « organiser grossièrement des fuites à des médias savamment sélectionnés par les services du ministère français de l’Intérieur et de la Direction générale de la police française ». Cette pratique constitue, souligne le MAE, « un irrespect total pour les usages diplomatiques consacrés » et une violation de l’Accord algéro-français de 2013.
Le Gouvernement souligne avec véhémence qu’aucune notification officielle française n’a été transmise par le canal diplomatique, seul moyen reconnu dans les relations entre États. Le chargé d’affaires de l’ambassade de France à Alger, convoqué à quatre reprises au ministère des Affaires étrangères, a systématiquement affirmé ne disposer d’aucune instruction de son ministère et n’a pas été en mesure de répondre aux demandes algériennes de clarification.
Dans un rappel historique particulièrement éclairant, le communiqué du MAE révèle que l’Algérie n’a jamais été demandeuse de ces accords d’exemption de visas. Lors de l’introduction du visa en 1986, c’est la France qui avait pris l’initiative de proposer une exemption pour les passeports diplomatiques, proposition à laquelle l’Algérie avait opposé « une fin de non-recevoir franche et sans équivoque ». Cette proposition française fut renouvelée trois fois dans les années 1990, essuyant systématiquement le même refus algérien. Ce n’est qu’en 2007, puis en 2013 avec l’élargissement aux passeports de service, que l’Algérie avait fini par consentir à ces accords, toujours à l’initiative française.
L’Algérie rejette catégoriquement l’allégation française selon laquelle elle aurait été la première à manquer à ses obligations, rappelant que « c’est la partie française qui porte la responsabilité, pleine et entière, des premières violations de l’Accord de 2013 ». Les autorités algériennes prennent acte de ce qui s’apparente à « une suspension de fait de l’Accord de 2013 sans le respect par la France des procédures requises » et annoncent qu’elles y répondront « par une application stricte de la réciprocité à la juste mesure du manquement de la partie française à ses obligations et engagements ».
Cette escalade s’inscrit dans une série d’incidents qui ont marqué les relations algéro-françaises depuis avril dernier. Tout a commencé avec l’arrestation et l’incarcération d’un agent consulaire algérien accusé d’implication dans un supposé enlèvement d’Amir Boukhars, dit Amir DZ. L’Algérie avait immédiatement dénoncé cette arrestation et exigé la libération de son fonctionnaire. Face au silence français, le ministère des Affaires étrangères avait riposté en expulsant 12 agents travaillant dans les missions diplomatiques françaises en Algérie. La France avait réagi en miroir en expulsant 12 fonctionnaires algériens et en rappelant son ambassadeur à Alger pour « consultations ». Face à de nouvelles provocations et notamment la tentative d’infiltration d’agents de la DGSI sous la tutelle de Retailleau. En réaction Alger a décidé le 9 mai de refouler les deux agents de la Direction de la sécurité intérieure française qui s’étaient présentés à l’aéroport d’Alger avec des passeports diplomatiques. Le lendemain, Alger convoquait le chargé d’affaires français pour exiger le rapatriement immédiat de 15 agents français dont « l’affectation est irrégulière ».
Cette surenchère trouve son apogée dans les déclarations de la porte-parole du gouvernement français, Sophie Primas, qui a annoncé il y a quelques jours d’autres dispositions « plus importantes » concernant une partie de la diaspora algérienne. Ces menaces, ajoutées aux provocations répétées de Bruno Retailleau, témoignent d’une volonté française d’instrumentaliser les relations bilatérales à des fins de politique intérieure.
Le rôle central de Bruno Retailleau dans cette crise est particulièrement souligné par les autorités algériennes, qui portent directement sur lui la responsabilité de la persistance des tensions. Ses déclarations successives et sa stratégie de « riposte graduée » semblent davantage motivées par des considérations de politique intérieure française que par une véritable volonté de résoudre les différends diplomatiques.
Aujourd’hui, avec la suspension effective des accords sur les passeports diplomatiques et les menaces pesant sur la diaspora algérienne, les relations algéro-françaises traversent l’une de leurs crises les plus graves depuis l’indépendance. Le dialogue politique est suspendu, et chaque nouvelle mesure française semble creuser davantage le fossé entre les deux pays. L’Algérie, qui revendique n’avoir « aucun intérêt particulier ni aucun attachement significatif » à ces accords, semble désormais prête à assumer pleinement la réciprocité dans cette escalade diplomatique, laissant présager d’autres mesures de rétorsion dans les semaines à venir.
Salim Amokrane