L’étau se resserre sur l’argent sale !
La guerre contre l’argent sale entre dans une nouvelle phase en Algérie.
Le ministre des Finances Abdelkrim Bouzred a dressé lundi un bilan positif des efforts déployés dans la lutte contre le blanchiment d’argent, promettant une traque sans merci des capitaux douteux qui menacent la stabilité du système financier national. « L’Algérie a franchi des pas importants dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme », a déclaré le ministre des Finances lors d’une conférence organisée par la Commission d’organisation et de surveillance des opérations de bourse (COSOB). Le ministre a particulièrement salué « les efforts des institutions bancaires et de surveillance qui ont permis d’élaborer les rapports sectoriels sur la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans leurs délais », soulignant que ces travaux ont permis de « donner une image complète concernant les efforts de lutte contre le blanchiment d’argent ». Le ministre a également annoncé l’organisation prochaine de « sessions avec tous les acteurs pour donner une image réelle des nouvelles règles du système international qui imposent certaines procédures aux pays dans le domaine de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme » illustre la volonté algérienne de s’aligner sur les standards internationaux. Cette démarche s’inscrit dans le contexte des recommandations du Groupe d’action financière (GAFI) et des pressions exercées sur les pays pour renforcer leurs dispositifs anti-blanchiment.
Pour sa part, le ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Lotfi Boudjemaa, a souligné pour la même occasion que l’arsenal juridique algérien connaît une modernisation profonde avec la modification de la loi relative à la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. Cette révision permet de « renforcer les mesures préventives et d’inclure des dispositions qui renforcent les missions des autorités de régulation, de contrôle et de supervision », selon le ministre de la Justice.
Le nouveau cadre législatif vise également à « qualifier les capacités de la police judiciaire dans la conduite d’enquêtes parallèles et la formation d’équipes d’investigation conjointes », tout en adaptant le système de sanctions pénales pour qu’il soit « plus efficace et proportionné à la gravité des actes », souligne le ministre. Le ministre de la Justice a d’ailleurs souligné le lien étroit entre le blanchiment d’argent et la criminalité grave sous ses diverses formes, notamment la corruption, le trafic de drogue, la contrebande et le crime organisé. Face à des réseaux criminels utilisant des « méthodes tortueuses avec des structures juridiques et financières complexes transfrontalières », l’État manifeste sa détermination à « activer tous les mécanismes disponibles pour détecter les opérations suspectes et saisir et confisquer les produits criminels ».
Le ministère de la Justice a contribué à l’élaboration de huit évaluations sectorielles, notamment celle concernant les risques d’exploitation des personnes morales dans le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Ces travaux méthodiques révèlent une stratégie de long terme privilégiant l’évaluation rigoureuse des risques avant la mise en œuvre d’actions ciblées.
100.000 investisseurs en bourse
Le président de la COSOB, Youcef Bouznadja, a pour sa part mis en avant l’ampleur des enjeux en précisant que « le marché des valeurs mobilières en Algérie, qui compte environ 100.000 investisseurs en bourse avec une capitalisation boursière qui a dépassé 744 milliards de dinars et près de 18 milliards de dinars d’obligations négociées », nécessite d' »approfondir la conscience des risques qui lui sont liés et de renforcer les outils de surveillance et de prévention au niveau de chaque institution soumise ». Ces chiffres témoignent du développement du marché financier algérien et des vulnérabilités potentielles qui l’accompagnent. Le rapport d’évaluation sectorielle présenté lors de cette conférence révèle des résultats plutôt rassurants. Basé sur un questionnaire analysant 13 variables au niveau des institutions soumises comme les intermédiaires en opérations de bourse et les sociétés de capital-investissement, l’étude conclut à l’existence de menaces oscillant entre « très faibles » et « faibles » au niveau de toutes les institutions soumises, ainsi qu’à des niveaux de risque « faibles » et « faiblement modérés ». Cette évaluation positive ne doit cependant pas masquer les défis persistants.
Les recommandations du rapport pointent vers des améliorations nécessaires. L’accent est mis sur « l’amélioration des mécanismes de surveillance par l’adoption d’une approche basée sur l’évaluation des risques avec l’application de procédures de surveillance et de sanctions proportionnées au niveau de risque ». Le rapport insiste particulièrement sur la nécessité de « diriger les efforts à court terme vers les intermédiaires en opérations de bourse et les sociétés de capital-investissement », identifiés comme les maillons les plus sensibles de la chaîne financière. La dimension technique n’est pas négligée. Le document recommande de « renforcer les capacités techniques par l’organisation de sessions de formation spécialisées dans l’identification des clients et la déclaration de soupçon, avec la nécessité de développer des systèmes d’information dédiés au suivi des opérations financières et de valoriser le rôle du contrôle interne et des mécanismes de signalement ».
Notons que cette rencontre a été marquée par la signature d’un protocole de coopération entre la COSOB et le ministère de la Justice qui vise à « renforcer l’échange d’informations et d’expertises et l’assistance mutuelle entre eux dans les domaines liés à la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme par la liaison automatique de la commission et de la plateforme du casier judiciaire comme mécanisme de vérification de l’intégrité des dirigeants, actionnaires et bénéficiaires de participations dans les institutions soumises à surveillance ». Cette interconnexion des bases de données représente une révolution dans la capacité de contrôle des autorités. Elle permet un croisement automatisé des informations qui renforce considérablement la détection des profils à risque et la prévention des infiltrations criminelles dans le système financier légal.
Rappelons que le règlement de la COSOB « relatif à la prévention et à la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et de la prolifération des armes de destruction massive » fixe « les mesures de diligence à prendre que doivent mettre en place les personnes et organismes soumis aux contrôles de la COSOB ». Ce texte impose aux différents intervenants du marché boursier de « mettre en place un dispositif de vigilance permanent qui doit faire partie du dispositif global de la gestion des risques ».
L’ambition affichée par les autorités algériennes dans la lutte contre le blanchiment d’argent s’inscrit dans une démarche de modernisation du système financier national. Au-delà des aspects techniques, cette mobilisation entre dans le cadre des engagements du président de la République de moraliser la vie publique et révèle une volonté politique forte de positionner l’Algérie parmi les pays respectueux des standards internationaux en matière de transparence financière, enjeu crucial pour son intégration dans l’économie mondiale et l’attraction des investissements étrangers.
Hocine Fadheli