L’UA appelle à l’abandon de la projection de Mercator : L’Afrique défie 5 siècles de cartographie coloniale
L’Union africaine lance un défi à 5 siècles de cartographie coloniale en appelant à l’abandon de la projection de Mercator, cette représentation du monde qui diminue visuellement la taille du continent africain sur la carte du monde. Cette initiative s’inscrit dans une démarche plus large de reconquête de l’image et de la place de l’Afrique sur la scène internationale. La projection de Mercator, conçue au XVIe siècle par le cartographe Gerardus Mercator pour les besoins de la navigation maritime, présente un défaut majeur : elle exagère considérablement la superficie des régions proches des pôles tout en réduisant celle des zones équatoriales. Résultat concret, l’Amérique du Nord et le Groenland apparaissent démesurément grands tandis que l’Afrique et l’Amérique du Sud semblent rapetissées. Cette distorsion n’est pas qu’une simple question technique, elle véhicule une perception erronée de l’importance géographique et démographique des continents et donc de leur poids géopolitique. Salma Malika Haddadi, vice-présidente de la Commission de l’Union africaine, dénonce cette représentation trompeuse qui a contribué à marginaliser l’image de l’Afrique dans l’imaginaire collectif mondial. Selon ses déclarations à Reuters, cette cartographie a alimenté une vision réductrice du continent, alors que l’Afrique constitue le deuxième plus vaste territoire de la planète avec plus d’un milliard d’habitants. L’impact de cette déformation dépasse la simple géographie pour influencer profondément les médias, l’éducation et les politiques internationales.
L’organisation continentale, qui rassemble 55 États membres, apporte désormais son soutien officiel à la campagne « Corrigez la carte » menée par les organisations Africa No Filter et Speak Up Africa. Cette coalition militante prône l’adoption de la projection « Equal Earth », développée en 2018, qui respecte davantage les proportions réelles des continents. Moky Makura, directrice exécutive d’Africa No Filter, qualifie la représentation actuelle de l’Afrique de « plus longue campagne de désinformation de l’histoire humaine » et estime qu’il est urgent d’y mettre fin. L’enjeu éducatif constitue un aspect central de cette mobilisation. Fara Ndiaye, cofondatrice de Speak Up Africa, souligne l’impact psychologique de ces cartes déformées sur les jeunes Africains, dont l’identité et la fierté continentale se construisent dès les premières années de scolarité avec des représentations diminuées de leur territoire. Son organisation travaille activement à l’intégration de la projection « Equal Earth » dans les programmes scolaires africains, espérant que les institutions internationales suivront cette voie. Cette revendication s’inscrit dans un mouvement plus vaste de réhabilitation de l’Afrique sur la scène mondiale. L’Union africaine y voit un moyen de « restaurer la véritable place de l’Afrique » dans le concert des nations, en phase avec les demandes croissantes de réparations pour la colonisation et l’esclavage. La démarche trouve également des échos ailleurs, puisque la Commission des réparations de la Caricom, organisation des Caraïbes, soutient cette nouvelle cartographie qu’elle considère comme un rejet de « l’idéologie de pouvoir et de domination » incarnée par la projection de Mercator.
Au-delà de la dimension symbolique, cette bataille cartographique révèle les enjeux contemporains de représentation et de perception géopolitique. En réclamant une carte plus fidèle à la réalité géographique, l’Afrique affirme sa volonté de corriger des siècles de minoration visuelle et de reprendre le contrôle de son image dans l’espace mental mondial. Cette initiative témoigne d’une conscience africaine renouvelée, déterminée à faire reconnaître sa véritable dimension continentale face aux héritages déformants de l’époque coloniale.
Hocine Fadheli