Le GECF souligne plusieurs contraintes : L’accord UE-États-Unis sur le GNL est-il réalisable ?
L’accord-cadre commercial conclu le 27 juillet 2025 entre l’Union européenne et les États-Unis suscite de nombreuses interrogations quant à sa faisabilité réelle. Des interrogations soulignées par une récente analyse du Département d’analyse du marché gazier du Forum des pays exportateurs de gaz (GECF). Cette entente, née dans un contexte de tensions commerciales marquées par l’imposition de tarifs douaniers américains pouvant atteindre 49% sur certains pays, prévoit un engagement européen d’importer pour 250 milliards de dollars d’énergie américaine annuellement d’ici 2028, soit plus de trois fois les 70 milliards actuels. L’accord s’inscrit dans la stratégie protectionniste de l’administration Trump, qui a instauré en avril 2025 des tarifs de base de 10% sur les importations de 185 pays, avec des surtaxes spécifiques atteignant 20% pour les pays européens. Bien que ces mesures aient été suspendues à plusieurs reprises pour servir d’instrument de négociation, elles ont contraint l’UE à accepter un tarif définitif de 15% sur la plupart de ses exportations vers les États-Unis, niveau certes inférieur aux menaces initiales mais nettement supérieur aux 1-2% historiques. Le gaz naturel liquéfié constitue le pilier central de cet accord. Les États-Unis représentent déjà le principal fournisseur de GNL européen avec 45% des importations continentales en 2024, soit 20 milliards de dollars. Cette position dominante s’est renforcée spectaculairement depuis 2021, période durant laquelle la part du GNL dans la consommation gazière européenne est passée de 20% à 40%, tandis que les importations par gazoduc chutaient de 70% à 50%. Au premier semestre 2025, les importations de GNL ont même dépassé pour la première fois celles par gazoduc, avec les États-Unis représentant 55% du GNL européen.
Cependant, l’analyse du GECF révèle plusieurs contraintes structurelles majeures qui remettent en question la viabilité de l’accord. Premièrement, les capacités américaines de liquéfaction demeurent limitées. Avec 105 millions de tonnes par an (Mtpa) opérationnelles et 115 Mtpa en construction, seuls 100 Mtpa de projets planifiés restent théoriquement disponibles pour de nouveaux contrats. Même en mobilisant l’intégralité de cette capacité aux prix spot actuels, les revenus n’atteindraient que 60 milliards de dollars annuels, loin des objectifs fixés. Deuxièmement, la demande gazière européenne s’effrite structurellement. La consommation continentale a chuté de 400 milliards de mètres cubes (bcm) en 2021 à 313 bcm en 2024, sous l’effet conjugué des mesures d’économie d’énergie, du déploiement accéléré des renouvelables, des gains d’efficacité énergétique et d’hivers plus cléments. Les projections anticipent une stagnation voire une légère baisse de la demande jusqu’en 2030, limitant mécaniquement les possibilités d’expansion des importations américaines.
L’infrastructure européenne présente également des goulets d’étranglement significatifs. Malgré la mise en service record de 12 nouveaux terminaux méthaniers et 6 projets d’extension entre 2022 et 2024, portant la capacité totale à 250 bcma (185 Mtpa), le taux d’utilisation plafonne à 50%. Cette sous-utilisation résulte principalement des interconnexions gazières insuffisantes, l’Espagne illustrant parfaitement ce paradoxe avec la plus grande capacité de regazéification européenne mais des connexions pipeline limitées vers ses voisins.
La rigidité contractuelle constitue un autre obstacle majeur. Près de 60% des importations européennes de GNL sont liées à des contrats long terme difficilement redirigeables. Les volumes spot et court terme, représentant 40% des importations (48 bcm en 2024), proviennent déjà largement des États-Unis grâce à leur flexibilité contractuelle, réduisant le potentiel d’expansion. L’analyse souligne également la tension fondamentale entre les engagements commerciaux court terme et les objectifs climatiques européens. L’UE s’est engagée dans une réduction drastique des émissions et un abandon progressif des combustibles fossiles, objectifs potentiellement compromis par un verrouillage sur le gaz américain. La réglementation européenne sur le méthane ajoute une complexité supplémentaire susceptible de freiner la croissance des importations de GNL américain.
Le GECF établit un parallèle instructif avec l’accord commercial sino-américain de 2019, qui prévoyait également un accroissement des importations chinoises d’énergie américaine, notamment de GNL. Ces engagements, largement non respectés en raison de leur caractère non contraignant, ont buté sur la concurrence d’autres fournisseurs, les contraintes logistiques et les fluctuations de prix.
Dans ce contexte, l’organisation considère que l’accord UE-États-Unis fonctionnera davantage comme un signal politique de solidarité transatlantique que comme un véritable moteur commercial. Avec environ 250 Mtpa de capacités mondiales de GNL en construction et l’Asie moteur de la croissance future des importations, tout GNL américain supplémentaire dirigé vers l’Europe sera vraisemblablement compensé par des approvisionnements accrus de l’Asie auprès d’autres producteurs, principalement les pays membres du GECF, préservant ainsi l’équilibre global du marché.
Samira Ghrib