Blanchiment d’argent : Le commerce de l’or et des pierres précieuses sous la loupe
L’État resserre l’étau autour du secteur des métaux et pierres précieux dans le cadre du renforcement du dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Un arrêté ministériel daté du 3 juillet 2025 et publié dans le dernier Journal officiel vient encadrer strictement cette activité économique sensible, révélant par la même occasion l’ampleur des vulnérabilités identifiées dans ce secteur. L’arrêté signé par le ministre des finances, porte sur la mise en place d’un règlement pour la prévention et la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le financement de la prolifération des armes de destruction massive, à l’égard des marchands de pierres et métaux précieux. Ce texte réglementaire, pris en application du décret exécutif n° 23-430 du 29 novembre 2023, établit un cadre juridique contraignant pour tous les acteurs de la filière, des artisans aux importateurs en passant par les détaillants et grossistes. «
Le nouveau règlement impose des obligations inédites : seuil de deux millions de dinars algériens pour les transactions traçables, déclaration obligatoire des opérations suspectes à la Cellule de traitement du renseignement financier (CTRF), et mise en place d’un système de vigilance renforcée. Cette réglementation concerne tous les marchands, négociants, fabricants, artisans, agents d’exécution et établissements de crédit effectuant des ventes de métaux précieux.
Des obligations de vigilance drastiques
Le texte institue une « approche fondée sur les risques » obligeant les professionnels à évaluer constamment les risques de blanchiment liés à leurs activités. Les assujettis devront identifier, comprendre et atténuer ces risques en tenant compte des évaluations sectorielles réalisées par l’État, des profils clients et des zones géographiques à risque. L’identification des clients devient systématique : vérification d’identité par documents officiels, contrôle des bénéficiaires effectifs, et interdiction formelle de traiter avec des personnes anonymes. Pour les personnes morales, les statuts, registre du commerce et numéro d’identification fiscale devront être systématiquement vérifiés. Les assujettis sont également tenus de mettre à jour annuellement les informations clients selon des priorités définies par le niveau de risque. Une attention particulière est accordée aux « personnes politiquement exposées ». Les professionnels devront disposer d’un système de gestion des risques permettant d’identifier ces clients sensibles et appliquer des mesures de vigilance renforcée, avec autorisation préalable de la CTRF ou de la Direction générale des Impôts. Le règlement impose la tenue d’un registre spécial coté et paraphé par les services fiscaux, recensant toutes les opérations commerciales. La conservation des documents devient obligatoire pendant cinq ans minimum, avec mise à disposition immédiate pour les autorités compétentes permettant « la reconstitution des transactions individuelles ».
Chaque établissement doit désigner un responsable de conformité, interlocuteur privilégié des autorités. Cette personne sera chargée d’informer la CTRF des opérations suspectes, de conserver les déclarations et de mettre en place des procédures internes. Elle devra également élaborer des rapports périodiques sur les opérations inhabituelles et assurer la formation continue du personnel. Le texte définit précisément les indicateurs de soupçon : achats de montants élevés sans considération des caractéristiques, transactions incompatibles avec le profil client, tentatives de restitution sans justification, opérations complexes d’achat-revente, disponibilité à payer n’importe quel prix, ou recours systématique aux paiements en espèces.
Des sanctions en cas de non-conformité
Le règlement prévoit l’application des sanctions prévues par la législation en vigueur en cas de non-respect des dispositions. Les assujettis risquent des pénalités s’ils ne respectent pas les obligations de formation, de déclaration, de conservation des documents ou de mise en place des dispositifs de contrôle interne. Cette mesure intervient après une évaluation sectorielle approfondie menée par la Direction générale des Impôts qui a révélé des failles importantes dans les pratiques professionnelles du secteur. L’enquête, réalisée selon la méthodologie de la Banque mondiale auprès de 396 commerçants de métaux précieux, dresse un tableau préoccupant des pratiques en cours. Le rapport identifie un risque de blanchiment d’argent particulièrement élevé chez les artisans et détaillants d’or et d’argent, ces derniers représentant la majorité des acteurs du secteur. Les paiements en espèces demeurent la règle dans de nombreuses transactions, facilitant l’opacité des flux financiers. Plus inquiétant encore, l’étude révèle une connaissance superficielle du cadre réglementaire par les professionnels concernés. Beaucoup ignorent l’existence de seuils minimum imposant l’utilisation de moyens de paiement traçables comme les chèques ou virements bancaires. Cette méconnaissance se traduit par une intégration défaillante des exigences anti-blanchiment dans la gestion quotidienne des activités. Le constat est sans appel : très peu de commerçants ont déjà refusé de réaliser des ventes par crainte de blanchiment d’argent, témoignant d’un manque flagrant de sensibilisation. Le contrôle exercé par les autorités compétentes reste également limité, créant un environnement propice aux dérives. Concernant le financement du terrorisme, les lacunes sont similaires. Le manque de déclarations de transactions suspectes révèle soit une perception erronée de la présence de cas suspects, soit une absence de réflexes déclaratifs. Peu de commerçants interrogés ont été capables de formuler clairement les indices justifiant une alerte, leurs réponses restant générales et fondées sur l’intuition plutôt que sur des critères objectifs.
Sabrina Aziouez