Culture

Sept ans après sa disparition : Djamel Allam, une étoile indélébile de la chanson algérienne

Le 15 septembre 2018 s’éteignait à l’âge de 71 ans Djamel Allam, figure emblématique de la chanson algérienne d’expression kabyle, emporté par une longue maladie après avoir illuminé pendant près d’un demi-siècle la scène culturelle de ses multiples talents artistiques.

Sept années se sont écoulées depuis cette disparition qui a endeuillé le monde de la musique algérienne, mais l’héritage de cet « oiseau minéral » comme l’avait surnommé l’écrivain Tahar Djaout continue de résonner dans les mémoires et les cœurs de ses admirateurs fidèles. Né le 26 juillet 1947 à Ath Waghlis, sur les hauteurs de Sidi-Aïch dans la wilaya de Béjaïa, Djamel Allam incarne parfaitement le parcours singulier d’un artiste autodidacte qui a su transcender les frontières géographiques et linguistiques pour porter la chanson algérienne vers l’universalité. Quittant très tôt les bancs de l’école après ses études primaires, il découvre sa vocation musicale au Conservatoire municipal de Béjaïa où il s’initie au chaâbi et à l’andalou sous la direction éclairée du professeur Sadek El Bejaoui. Cette formation académique, bien que brève, lui fournira les bases théoriques nécessaires pour développer par la suite son style personnel unique, mélange subtil entre tradition et modernité. L’année 1969 marque un tournant décisif dans sa trajectoire artistique lorsqu’il s’exile en France et trouve un emploi de machiniste dans un théâtre marseillais. Cette expérience professionnelle, loin d’être anodine, lui ouvre les portes du spectacle vivant et lui permet de côtoyer les grands noms de la chanson et du cinéma français de l’époque. Cette immersion dans l’univers artistique hexagonal enrichit considérablement sa palette créative et nourrit sa vision d’une musique sans frontières, capable de parler à tous les publics indépendamment de leur origine culturelle ou linguistique. De retour en Algérie, il intègre la chaîne III de la radio nationale en qualité d’animateur, fonction qui lui permet d’affiner sa connaissance du paysage musical national et de tisser des liens durables avec le milieu artistique algérois.

Sa première apparition scénique officielle a lieu en 1972 à la mythique salle El Mouggar d’Alger, où il assure la première partie du spectacle d’Arezki aux côtés de Brigitte Fontaine, performance qui révèle immédiatement son potentiel exceptionnel et sa capacité à captiver les audiences les plus diverses. Cette prestation inaugurale ouvre la voie à une carrière discographique prolifique qui débute en 1974 avec son premier album « Arjouth » (Laissez-moi raconter), opus fondateur qui contient le titre « M’aradyoughal » (Quand il reviendra), véritable hymne d’espoir qui connaît un succès immédiat et durable auprès du public. S’ensuit une production discographique remarquablement riche et variée avec des albums comme « Argu » (Les rêves du vent), « Si Slimane », « Salimo », « Gibraltar », « Samarkand », « Gouraya », « Le youyou des anges », « Ourtsrou » (Ne pleure pas), « Thiziri » (La lune) et « Thella » (Elle existe), chaque opus révélant de nouvelles facettes de son génie créatif et de sa capacité à réinventer constamment son univers musical. L’originalité de Djamel Allam réside dans sa capacité exceptionnelle à brasser différents styles et sonorités, fusionnant avec un talent rare les musiques traditionnelles kabyles avec des influences modernes, chaâbi, rock, gnawi et même techno, créant ainsi une signature sonore immédiatement reconnaissable. Cette audace artistique se double d’une polyglossie remarquable puisqu’il chante indifféremment en kabyle, en arabe dialectal et en français, démontrant ainsi sa volonté de toucher le plus large public possible tout en restant fidèle à ses racines amazighes. Auteur, compositeur et interprète de la quasi-totalité de son répertoire, il développe une œuvre personnelle d’une grande cohérence thématique, chantant avec la même passion l’Algérie et son histoire tumultueuse, la beauté de ses paysages montagneux et l’attrait de ses villes millénaires, la liberté chèrement reconquise, l’amour sous toutes ses formes, la joie de vivre, la condition féminine, le combat pour un monde plus juste et une humanité plus fraternelle, mais aussi ses espoirs les plus profonds et ses désillusions les plus amères.

Ses textes, d’une rare finesse poétique et portés par une voix mélodieuse empreinte d’une douceur communicative, révèlent un artiste habité par une quête éternelle d’humanisme et de partage, animé d’un attachement viscéral à ses origines et d’un besoin permanent de retour aux sources authentiques de la culture amazighe. Sur scène, Djamel Allam déploie un charisme naturel doublé d’un sens aigu de la communication, n’hésitant pas à raconter avec un humour percutant des anecdotes de sa propre existence pour tisser des liens complices avec son public qu’il taquine, fait rire et entraîne subtilement dans son univers musical enchanteur, créant ainsi une atmosphère de communion unique entre l’artiste et ses admirateurs.

Au-delà de la musique, Djamel Allam cultive une approche pluridisciplinaire de l’art, touchant avec un égal bonheur à la poésie, au théâtre, au cinéma et même à la peinture, diversité de talents qui impressionnait ses contemporains et faisait dire au regretté écrivain Tahar Djaout qu’il était un « oiseau minéral », métaphore poétique pour qualifier sa quête immense de liberté créatrice et son foisonnement artistique permanent. Cette reconnaissance de ses pairs trouve un écho particulier dans les paroles du chanteur Lounis Ait Menguellat qui estimait que « son legs va parler pour lui pour l’éternité », prophétie qui se vérifie aujourd’hui encore tant l’influence de Djamel Allam continue d’irriguer la création musicale algérienne contemporaine.

L’une des anecdotes les plus révélatrices de la générosité artistique de Djamel Allam concerne sa relation avec Idir, autre géant de la chanson kabyle disparue en 2020. Lorsque ce dernier lui propose d’interpréter la chanson « Vava Inouva » écrite par le poète Ben Mohamed, Djamel Allam décline l’offre en lui déclarant prophétiquement que « cette chanson est la tienne, elle te mènera loin ». Cette clairvoyance artistique et ce désintéressement personnel permettront à Idir de connaître la consécration internationale avec ce titre devenu hymne universel de la culture amazighe, ce dernier reconnaissant plus tard que « c’est grâce à lui que je suis là » et saluant en Djamel Allam « le précurseur » de la chanson kabyle moderne. Cette complicité artistique illustre parfaitement l’esprit de fraternité et d’entraide qui caractérisait la scène musicale algérienne de cette époque faste, où les ego s’effaçaient devant l’ambition commune de faire rayonner la culture nationale au-delà des frontières nationales.

Mohand Seghir

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