38 ans après sa disparition : Boubagra, l’éternel génie du rire algérien qui continue d’inspirer
38 ans après sa disparition le 25 septembre 1987, Hassan El-Hassani dit « Boubagra » demeure une figure tutélaire du théâtre et du cinéma algériens, dont l’héritage artistique transcende les décennies pour nourrir encore aujourd’hui l’imaginaire des jeunes comédiens en quête d’excellence.
Né Hassan Bencheikh le 21 avril 1916 à Boghar, dans la région de Médéa, cet homme au destin exceptionnel a su transformer sa condition modeste en tremplin vers une gloire artistique qui continue de rayonner sur la scène culturelle nationale. L’enfance de Hassan El-Hassani à Boghar, où il obtient son certificat d’enseignement primaire, ne laissait guère présager la carrière exceptionnelle qui l’attendait. Devenu coiffeur à Ksar El-Boukhari puis à Berrouaghia, il se voit confier la gérance du cinéma Rex dans la ville des Asphodèles, fonction qui le rapproche naturellement du monde artistique. Cette proximité avec les arts du spectacle forge progressivement sa vocation, jusqu’à ce jour décisif de 1940 où Mahieddine Bachetarzi, géant du théâtre algérien en tournée dans la région, décide de l’intégrer dans sa troupe après avoir décelé son potentiel comique exceptionnel.
Sa première création majeure, « Les rêves de Hassan », produite en 1945, révèle déjà sa conscience politique aiguë. Cette satire sociale dénonçant le colonialisme lui vaut plusieurs mois d’emprisonnement, période qu’il transforme en opportunité créative en montant des sketches joués devant ses codétenus. Cette capacité à transformer l’adversité en source d’inspiration caractérisera toute sa carrière, faisant de lui un militant de la cause nationale avant d’être un artiste, comme le souligne le dramaturge Hamid Barket. À sa libération, Hassan El-Hassani s’installe dans la Casbah d’Alger, reprend temporairement son métier de coiffeur sans jamais renoncer à sa passion théâtrale. Il crée alors le personnage de « N’înaâ » dans la pièce « El Houria », rejouée en 1950 sous le titre « Le complot », avant de produire l’un de ses spectacles les plus mémorables, « Ti goule ou ti goule pas », qui consacre définitivement son génie comique. En 1953, la télévision naissante lui offre de nouveaux horizons sous la direction de Mustapha Badie dans « La poursuite », mais le déclenchement de la guerre de libération nationale l’appelle vers un engagement plus radical au sein des rangs de l’ALN.
Après l’Indépendance, il intègre le Théâtre national algérien et abandonne le personnage de « N’înaâ » au profit de « Boubagra », ce paysan naïf mais malin qui lui apporte la gloire et la notoriété populaire. Ce personnage, incarnation de la sagesse populaire et de l’humour algérien authentique, trouve une résonance immédiate auprès du public qui se reconnaît dans cette figure attachante et profondément humaine. Boubagra transcende les clivages sociaux pour devenir un symbole national, représentant cette capacité algérienne à affronter les difficultés avec le sourire et la dérision. La création de la troupe théâtrale des « Quatre-saisons » en 1962 lui permet de sillonner le pays pendant une décennie, apportant la joie et le rire dans les régions les plus reculées. Said Benzergua, commissaire du Festival national du théâtre comique, y voit la marque d’un « ami fidèle des populations des zones rurales » qui n’a jamais oublié ses racines modestes.
Son élection comme député à l’Assemblée populaire nationale en 1976 marque la fin de cette aventure théâtrale itinérante, mais ouvre paradoxalement de nouveaux horizons cinématographiques. Sa filmographie impressionnante témoigne de sa polyvalence artistique et de sa capacité d’adaptation aux exigences du septième art. Des chefs-d’œuvre comme « Le Vent des Aurès » de Mohammed Lakhdar-Hamina en 1966, « Hassan Terro » en 1968, jusqu’aux productions plus tardives comme « Les Folles années du twist » de Mahmoud Zemmouri en 1983, Hassan El-Hassani impose sa présence charismatique sur grand écran. Sa participation au film « Z » de Costa-Gavras en 1969 et aux « Aveux les plus doux » d’Édouard Molinaro en 1971 révèle sa dimension internationale, tandis que « Chronique des années de braise » de Mohammed Lakhdar-Hamina en 1975 et « Les Vacances de l’inspecteur Tahar » de Moussa Haddad en 1973 confirment sa place dans le panthéon du cinéma algérien. Cette carrière cinématographique, brutalement interrompue par la maladie qui l’éloigne définitivement des studios, s’achève symboliquement avec « Les portes du silence » d’Amar Laskri en 1987, quelques mois avant sa disparition.
L’héritage artistique de Hassan El-Hassani perdure aujourd’hui à travers le Festival national du théâtre comique organisé annuellement à Médéa en son honneur. Cette manifestation, qui draine les grands noms du théâtre et attire de jeunes comédiens en quête de réussite, témoigne de la pérennité de son influence sur les nouvelles générations. Comme l’affirme Said Benzergua, « l’ombre de Boubagra est toujours présente » et continue d’inspirer les artistes qui choisissent la voie du théâtre comique, perpétuant ainsi l’esprit et la technique de ce maître incontesté du rire populaire algérien.
Mohand Seghir