« Es’Sakia » distingué au Festival du film méditerranéen d’Alexandrie
Le film d’’animation au service de la mémoire nationale
Le film d’animation algérien « Es’Sakia » du réalisateur Naoufel Kalache a décroché une mention spéciale lors de la 41e édition du Festival du film méditerranéen d’Alexandrie, qui s’est déroulée du 2 au 6 octobre en Égypte. Cette reconnaissance couronne un film de 72 minutes consacré aux bombardements de Sakiet Sidi Youcef, perpétrés en février 1958 par l’armée coloniale française contre des civils algériens et tunisiens réfugiés à la frontière. Produit en 2024 par le ministère des Moudjahidines et des Ayants droit avec la contribution du ministère de la Culture et des Arts, « Es’Sakia » figurait en compétition dans la prestigieuse section du Prix Nour-Ech’Chérif 2025 du meilleur film arabe. Sa mention spéciale constitue une consécration pour le cinéma d’animation algérien, rarement mis à l’honneur dans les grands festivals méditerranéens. L’œuvre de Naoufel Kalache s’inscrit dans une démarche mémorielle ambitieuse, utilisant les ressources expressives de l’animation pour documenter l’un des épisodes les plus tragiques de la guerre de libération nationale. Le récit adopte le point de vue d’une famille algérienne de Souk Ahras, dans l’est du pays, contrainte à l’exode pour échapper aux violences coloniales. Leur périple les conduit dans un village du nord-ouest tunisien, à proximité immédiate de la frontière algéro-tunisienne. C’est là, dans ce refuge précaire, que se déroule le drame. Le 8 février 1958, l’aviation française pilonne méthodiquement Sakiet Sidi Youcef, bombardant sans distinction une population civile composée d’Algériens et de Tunisiens. Cette opération meurtrière constitue une riposte aux pertes importantes subies par l’armée coloniale lors de la bataille du Mont El-Wasta, survenue quelques semaines auparavant, le 11 janvier 1958. Les représailles aveugles contre des civils désarmés illustrent la brutalité d’une guerre coloniale qui ne reculait devant aucune exaction. En choisissant l’animation pour évoquer ces événements historiques, Naoufel Kalache prend un parti esthétique audacieux. Le médium permet une stylisation des images qui peut paradoxalement servir la puissance émotionnelle du récit, tout en évitant l’écueil du documentaire historique classique. L’animation offre également la possibilité de reconstruire visuellement des scènes dont les archives filmées sont inexistantes ou parcellaires, donnant ainsi une forme tangible à une mémoire longtemps confisquée. Cette approche s’inscrit dans un mouvement plus large du cinéma contemporain qui redécouvre les vertus narratives de l’animation pour traiter de sujets graves, de l’Histoire avec un grand H aux traumatismes collectifs. Le Festival du film méditerranéen d’Alexandrie, qui a accueilli cette année 46 pays participants et présenté 131 films répartis dans huit compétitions, s’affirme comme une plateforme majeure pour les cinématographies du bassin méditerranéen. La distinction accordée à « Es’Sakia » témoigne de l’intérêt persistant pour les œuvres qui interrogent les héritages coloniaux et leurs séquelles dans les sociétés contemporaines.
M.S.