Objectif : zéro cash d’ici 2028
La Banque d’Algérie accélère la mutation numérique de la place financière pour éradiquer l’argent liquide des transactions commerciales.
La fin de l’ère du cash se dessine clairement à l’horizon 2028. En marge des assemblées annuelles du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale qui se tiennent actuellement à Washington, le gouverneur de la Banque d’Algérie, Salah Eddine Taleb, a officieusement annoncé, dans un entretien à l’APS, la fin programmée de l’argent liquide dans les transactions commerciales. Une révolution majeure pour un pays où l’économie informelle pèse entre 50 et 60 milliards de dollars et où le cash domine dans des secteurs aussi variés que la distribution, le commerce ou l’agriculture. Cet objectif ambitieux s’inscrit dans le cadre de la nouvelle Loi monétaire et bancaire promulguée en 2023, véritable socle des réformes que mène actuellement l’État. Le gouverneur de la BA a souligné que cet arsenal législatif représente « une adaptation de l’arsenal juridique et réglementaire en vue de répondre aux mutations économiques et monétaires profondes ». La stratégie nationale permettant d’atteindre les transactions sans argent liquide à l’horizon 2028 a été tracée par le Comité national des paiements (CNP), institué l’année précédente et chargé de coordonner la bancarisation progressive de l’économie. Depuis l’entrée en vigueur de cette nouvelle loi, la Banque d’Algérie a multiplié les mesures concrètes pour accélérer la modernisation du secteur financier. Plusieurs textes réglementaires majeurs ont été promulgués afin de stimuler la digitalisation des moyens de paiement. Le gouverneur a énuméré le texte fixant les conditions d’autorisation et d’agrément des prestataires de services de paiement (PSP), celui définissant les règles d’exercice de ces PSP, ainsi que deux autres textes spécifiques relatifs aux conditions de constitution et d’agrément des banques digitales. Ces nouveaux cadres légaux visent expressément à introduire « de nouveaux acteurs dans le système de paiement national à savoir les prestataires de services de paiement, les banques digitales, les banques islamiques et les banques d’affaires », a précisé M. Taleb.
Lutte contre le blanchiment d’argent
L’adoption de ces instruments législatifs revêt une importance stratégique qui dépasse le cadre purement économique. Elle s’inscrit aussi dans la démarche de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LBC/FT), enjeu majeur pour la Banque d’Algérie. Justement, le gouverneur a abordé cet aspect lors de son entretien, affirmant que l’Algérie s’est attelée à mettre en œuvre le plan d’action établi par le Groupe d’action financière (GAFI) en octobre 2024. Cette instance internationale, chargée de combattre le blanchiment d’argent à l’échelle mondiale, avait placé l’Algérie sur sa liste grise de surveillance renforcée. Or, la suppression progressive du cash favorise mécaniquement la traçabilité des flux financiers et complique les opérations illicites. La Banque d’Algérie a constitué un Comité de coordination nationale chargé de la levée des réserves du GAFI, qui « travaille d’arrache-pied à mettre à niveau le dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme ». Les secteurs concernés ont également mis en place « des stratégies d’atténuation des risques et organisé des formations au profit des assujettis et des superviseurs », a souligné M. Taleb. Cette mobilisation générale semble porter ses fruits. Le gouverneur s’est montré optimiste quant à l’issue du dossier du GAFI, affirmant que « les efforts déployés par l’Algérie ont été salués par les évaluateurs du Joint group (ICRG), une reconnaissance des progrès réalisés qui constitue un bon présage pour une sortie rapide de notre pays de la liste des pays sous surveillance renforcée du GAFI ».
Une économie résiliente
Au-delà de ces enjeux réglementaires, le gouverneur a également mis l’accent sur la résilience globale de l’économie algérienne face aux crises successives des dernières années. Il a rappelé les décisions prises par la Banque d’Algérie, notamment l’abaissement du taux directeur lors de la pandémie de Covid-19, et plus récemment, la baisse du taux de 0,25 % le ramenant à 2,75 % face à une inflation en recul. Cette politique accommodante s’inscrit dans l’objectif d’« accroître les capacités de financement du secteur économique par les banques commerciales ». M. Taleb a mis en avant des indicateurs macrodynamiques solides : « croissance économique soutenue, notamment hors hydrocarbures, un niveau des réserves de change plus que confortable et un endettement extérieur quasi inexistant ». Il a également noté que l’inflation, longtemps alimentée par les coûts importés, a atteint 2,66 % en août 2025, un niveau inférieur à l’objectif de politique monétaire. La Banque d’Algérie s’est aussi engagée à « adapter ses capacités humaines et technologiques en vue de mettre en place un dispositif de surveillance et de gestion du risque » capable de répondre aux mutations du secteur financier. Cette infrastructure institutionnelle sera cruciale pour encadrer l’irruption de nouveaux acteurs dans le paysage bancaire algérien et gérer les risques liés à la transition vers la monnaie numérique. Cette mutation vers le zéro cash représente un défi d’envergure pour l’Algérie. Au-delà de la simple technologie, elle implique une refonte profonde des comportements économiques, une adaptation des petits commerces et des professionnels libéraux à des outils numériques, ainsi que des mesures d’inclusion financière.
Sabrina Aziouez