Sahara occidental : L’Algérie impose le rééquilibrage
En réussissant à modifier en profondeur un projet de résolution américain initialement favorable au Maroc, l’Algérie a réalisé un coup diplomatique au sein du Conseil de sécurité des Nations unies sur la question du Sahara occidental. Bien qu’elle ait choisi de ne pas participer au vote final sur le renouvellement du mandat de la MINURSO, Alger est parvenue, à force de consultations et de fermeté, à replacer le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination au cœur du texte onusien.
Après plusieurs jours de tractations intenses, le vote du projet de résolution présenté par les États-Unis, en tant que « porte-plume » du Conseil, a finalement eu lieu vendredi à New York. Prévu initialement la veille, le scrutin avait été repoussé à la demande de plusieurs membres, dont l’Algérie, qui dénonçaient un texte déséquilibré. Selon des sources diplomatiques, Washington avait, dans sa première version, largement repris la terminologie défendue par le Maroc, décrivant sa proposition d’autonomie comme « l’unique solution réaliste ». Or, après une série d’amendements substantiels arrachés par Alger et ses alliés, la résolution finale se présente sous un tout autre visage : elle réaffirme la primauté du droit à l’autodétermination, souligne la conformité de toute solution aux principes de la Charte des Nations unies, rouvre la porte à la proposition du Front Polisario et proroge le mandat de la MINURSO d’une année complète, au lieu des trois mois initialement prévus.
Un texte profondément révisé
Selon la version finale, désormais adoptée, « une solution politique définitive, mutuellement acceptable, garantissant au peuple du Sahara occidental son droit à l’autodétermination » demeure l’objectif central du processus. Cette formulation constitue, de l’avis des diplomates onusiens, une avancée notable : elle dissocie pour la première fois le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination du plan d’autonomie marocain, le rendant à nouveau autonome juridiquement. L’Algérie a également obtenu la suppression des passages réduisant la MINURSO à un simple mécanisme technique. Le texte proroge désormais son mandat jusqu’au 31 octobre 2026 et insiste sur « l’importance de respecter le cessez-le-feu » et d’éviter « toute action susceptible de compromettre le processus politique ». Le paragraphe qui envisageait la fin du mandat de la mission a été remplacé par un appel à une « révision stratégique », sous la supervision du Secrétaire général des Nations unies. Dans le même esprit, les références à « l’autonomie » ont été reléguées au second plan. Là où le projet initial la présentait comme « unique cadre de négociation », la résolution finale parle désormais d’une « base possible » parmi d’autres, et accueille favorablement « toute proposition constructive des deux parties ». Ce glissement sémantique, arraché de haute lutte, constitue une inflexion majeure qui redonne toute sa place à la vision du Front Polisario, reconnu par l’ONU comme représentant légitime du peuple sahraoui.
Pourquoi l’Algérie n’a pas voté
Malgré ces changements notables, l’Algérie a choisi de ne pas participer au vote. Son représentant permanent auprès des Nations unies, Amar Bendjama, a expliqué que l’Algérie s’était abstenu « en toute responsabilité » car le texte, bien qu’amélioré, restait « en deçà des attentes et des aspirations légitimes du peuple sahraoui ». « Mon pays n’a pas participé au vote sur ce projet de résolution », a-t-il déclaré à la tribune de l’ONU. « Par cette absence, l’Algérie a tenu à illustrer sa prise de distance avec un texte qui ne reflète pas fidèlement la doctrine onusienne en matière de décolonisation. » Pour le diplomate, cette doctrine demeure le fondement de l’ordre international, car « c’est sa mise en œuvre qui a permis à de nombreuses nations d’être représentées ici parmi nous ». Amar Bendjama a également rappelé un principe cardinal : « La décision finale sur leur avenir ne peut et ne doit appartenir qu’aux peuples encore sous domination coloniale. » Citant le président américain Woodrow Wilson, il a rappelé que « les aspirations nationales des peuples doivent être respectées », établissant ainsi un parallèle explicite avec le droit inaliénable du peuple sahraoui à l’autodétermination.
Le représentant algérien a néanmoins reconnu que le texte final reprenait plusieurs des paramètres défendus par Alger : « Il rappelle les fondamentaux d’une solution juste et durable, consacre le droit à l’autodétermination et engage le Maroc et le Front Polisario dans des négociations de bonne foi et sans conditions préalables. » Mais, a-t-il ajouté, « le cadre étriqué de la négociation proposée, qui met en avant une option par rapport aux autres, empêche la créativité et la flexibilité nécessaires pour faire aboutir un accord librement consenti ».
Un avertissement sur les fondements du droit international
Le diplomate algérien a mis en garde contre les dérives que pourrait entraîner une telle approche : « Le texte organise un déséquilibre entre les deux parties en mettant l’accent seulement sur l’ambition territoriale de l’une et en passant sous silence les aspirations de l’autre, en l’occurrence le peuple sahraoui. » Il a regretté que les propositions du Front Polisario aient été « ignorées », malgré leur transmission récente au Secrétaire général et au Conseil de sécurité. « Le Front Polisario est une partie au conflit et son opinion doit être entendue, sinon prise en considération », a insisté Bendjama. Allant plus loin, il a soulevé une inquiétude de principe : « Le texte suscite des interrogations sérieuses et légitimes sur les fondements juridiques du cadre de négociation proposé. Imaginez que ce cadre soit reproduit dans d’autres zones de conflits : c’est l’un des piliers principaux de l’ordre international qui s’en trouverait dangereusement fissuré. »
Pour le diplomate, la résolution manquait d’« un ultime effort », d’un « supplément de flexibilité et de diplomatie » pour parvenir à un consensus véritable. Il a déploré que « le porte-plume, malgré tous ses efforts, n’ait pas pu vaincre les résistances » de certains membres du Conseil, « vous savez tous lesquelles », a-t-il lancé, allusion transparente aux soutiens traditionnels du Maroc, autrement dit la France.
Qualifiant cette issue d’« occasion ratée », il a néanmoins salué « l’esprit de dialogue » qui a animé les consultations. « Une solution juste et durable ne saurait jaillir que du respect du droit inaliénable du peuple du Sahara occidental à disposer de lui-même », a-t-il affirmé, estimant que seule cette voie pouvait « garantir une paix véritable et une stabilité durable » dans la région.
Un message clair sur la ligne algérienne
En filigrane, le refus algérien de voter traduit la constance d’une politique étrangère fondée sur les principes du droit international et du règlement pacifique des différends. « L’Algérie reste fidèle aux objectifs et principes de la Charte des Nations unies », a conclu Bendjama, réaffirmant la disponibilité de son pays à soutenir tout processus « équilibré, conforme à la légalité internationale et garantissant aux Sahraouis leur droit à l’autodétermination ». Dans les couloirs des Nations unies, plusieurs observateurs soulignent que la position algérienne, loin d’être une posture d’opposition, s’inscrit dans une stratégie de crédibilité : ne pas cautionner un texte encore imparfait, tout en pesant activement sur son contenu. L’Algérie, qui a réussi à faire amender de fond en comble une résolution rédigée à Washington et initialement taillée sur mesure pour Rabat, illustre la montée en puissance d’une Algérie capable de conjuguer fermeté et pragmatisme dans un contexte géopolitique mouvant. Une Algérie qui, fidèle à sa tradition, entend rester la voix du droit international, du dialogue et de la décolonisation.
Salim Amokrane

