Culture

Quand le cinéma exhume les archives de la propagande coloniale

À Oran, la treizième édition du Festival international du film arabe a accueilli en première mondiale un documentaire algérien percutant qui ravive les plaies de l’occupation coloniale. Présenté mardi à la Cinémathèque d’Oran dans le cadre de la compétition officielle des documentaires, « Écran colonial » du réalisateur Salim Aggar s’impose comme une enquête méthodique et rigoureuse sur l’une des armes les plus insidieuses du système colonial français : la propagande audiovisuelle organisée et systématisée. Ce film de 70 minutes interroge un pan méconnu de l’histoire algérienne, celui du service cinématographique des armées françaises et de ses campagnes massives de désinformation destinées à atteindre les villages algériens et à falsifier la réalité de la colonisation. Le projet ambitieux de Salim Aggar s’appuie sur une recherche archivistique minutieuse qui a exigé trois années de travail intensif. Une année a été consacrée à l’exploration des archives françaises, tandis que deux années supplémentaires ont permis au réalisateur de développer un langage cinématographique capable de restituer les enjeux de cette propagande d’État. Découvrant des rapports conservés dans les fonds du service cinématographique français, Aggar a constitué un dossier documentaire d’une rare complétude. Lors du débat qui a suivi la projection, le cinéaste a détaillé son approche méthodique : « La réalisation du film a duré trois ans, dont une année de recherche archivistique et deux années de tournage, s’appuyant notamment sur des archives de l’armée française, qui menait à l’époque des campagnes de désinformation visant à falsifier la réalité. » Pour appuyer son analyse, Salim Aggar a mobilisé les travaux de chercheurs reconnus dont les recherches éclairent cette machinerie propagandiste coloniale. Le chercheur français Denis Sébastien et l’historien canadien Vincent Bouchard, tous deux auteurs d’ouvrages de référence sur la propagande coloniale en Afrique et en Algérie, constituent les piliers intellectuels du projet. « Ces chercheurs ont démontré que la France coloniale recourait à des publications et des films truqués, notamment dans les domaines de la santé, de l’éducation et de l’enseignement, afin de présenter une image déformée de la réalité algérienne », explique Aggar en exposant les conclusions de leurs travaux respectifs. Cette stratégie de mystification s’inscrivait dans une logique globale d’occupation : contrôler non seulement les corps et les territoires, mais aussi les esprits par la manipulation des représentations du réel.

Le documentaire « Écran colonial » bénéficie de la participation d’une équipe de cinéma reconnue. Produit par « MS News », le film a mobilisé les compétences du critique et écrivain de cinéma Ahmed Bedjaoui et du réalisateur Saïd Ould Khalifa, dont l’implication garantit une qualité d’exécution et une rigueur analytique. Cette collaboration témoigne de l’importance accordée à la transmission d’un savoir-faire cinématographique sur des sujets historiquement sensibles et politiquement significatifs. Le projet dépasse la simple reconstitution historique pour proposer une réflexion plus large sur la manière dont le cinéma peut servir à la compréhension critique du passé colonial.

La même soirée a également marqué la première mondiale du documentaire palestinien « Gaza Grad », réalisé par Sawsan Kaoud en 2025. Ce film raconte le destin d’une famille russo-palestinienne qui a survécu aux bombardements de l’enclave mais dont les blessures psychologiques demeurent à jamais ouvertes. Le documentaire explore une dimension cruciale du conflit : les traumatismes qui persistent bien après le cessation des violences, lorsque les survivants tentent de reconstruire leur existence en exil. Comme pour « Écran colonial », ce film s’inscrit dans la catégorie compétitive des documentaires de long métrage, où dix productions sont en lice pour remporter les honneurs de cette treizième édition du Festival international d’Oran du film arabe.

Cet événement oranais confirme la vocation du festival à offrir une tribune aux cinéastes engagés qui confrontent l’image filmée aux réalités historiques et géopolitiques du monde arabe.

M.S.

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