Manœuvres et intrigues pour empêcher un règlement pacifique : Qui veut entretenir la crise en Libye ?
Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, Antonio Guterres, a proposé, la semaine dernière, la nomination de l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères Sabri Boukadoum en tant qu’émissaire onusien pour la Libye. Une proposition qui reflète le crédit dont bénéficie la diplomatie algérienne et la position de l’Algérie en ce qui concerne le règlement du dossier libyen. Cependant, l’opposition à cette nomination affichée au niveau du Conseil de sécurité par les Émirats arabes unis, dénote de la volonté des forces à l’œuvre d’entretenir le brasier libyen au seul profit d’intérêts étroits d’acteurs directement impliqués dans le conflit.
Le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a suggéré aux quinze membres du Conseil de sécurité le nom du diplomate algérien, Sabri Boukadoum, pour occuper le poste d’émissaire de l’Organisation pour la Libye. Un poste resté vacant depuis la démission de Jan Kubis le 23 novembre dernier au regard de la complexité du dossier. Cette démission a induit la nomination de Stéphanie Williams en tant que Conseillère spéciale de SG de l’ONU pour la Libye, qui doit depuis assurer une sorte d’intérim en attendant la nomination d’un nouvel émissaire. Williams dont le mandat expire aujourd’hui a fait face à de nombreuses complications suite au report sine die des élections, lesquelles ont conduit au retour à une situation analogue à celle prévalant avant la Conférence de Berlin 1 avec deux gouvernements parallèles et la reprise des combats entre les forces régulières et celles de Khalifa Haftar. Une situation qui a d’ailleurs justifié l’urgence de la nomination d’un nouvel émissaire de l’ONU. D’ailleurs, le choix de Guterres qui s’est porté une seconde fois sur un diplomate algérien reflète tout le crédit de l’approche algérienne pour le règlement de la crise libyenne. Il est vrai que l’Algérie qui affiche sa totale neutralité et qui se tient en « équidistance » entre les parties en conflit, a dès le départ et dès la Conférence de Berlin 1, soutenu que la solution à la crise est avant tout libyenne. L’Algérie, qui a toujours assuré que le règlement de la crise passe par un processus de réconciliation nationale et un dialogue inter-libyen qui doit aboutir à la tenue d’élections démocratiques devant doter la Libye d’institutions légitimes, souligne la nécessité de mettre fin à toute forme d’intervention étrangère dans ce pays.
La nomination de Sabri Boukadoum fait consensus dans la mesure où elle été validée par 14 membres sur les 15 que compte le Conseil de sécurité de l’ONU. Seuls les EAU se sont opposés à cette nomination. Cela rappelle d’ailleurs comment le jeu des intrigues et des intérêts des Emirats arabes unies avait fait capoter la nomination de Ramtane Lamamra en en avril 2020, en raison du véto de Washington sur instigation de leur allié émirati !
Les Émirats, Sherpa des intérêts bellicistes
Ce nouveau blocage par les Emirats arabes unies suscite d’ailleurs moult questions et interrogations. Les Emirats arabes unies ont mené un travail de sape en sourdine contraire à son rôle au plan formel en sa qualité de membre non permanent au sein du Conseil de sécurité dans la perspective de défendre les positions du monde arabe à travers ses États respectifs.
Ce n’est pas ce qui est arrivé. Les Emirats ont fait preuve d’obéissance sans faille au « bloc occidental » qui s’active pour maintenir la situation en l’état en Libye, c’est-à-dire, garder la Libye en éternel brasier en encourageant les va-t-en-guerre à l’image de Khalifa Haftar, un mercenaire soutenu et financé par les EAU et qui exécute à la lettre l’agenda des occidentaux qui ne veulent pas que la Libye trouve une issue à sa crise via un dialogue inclusif entre les protagonistes en conflit.
Pourquoi les Emirats arabes unies se sont-elles opposées à la nomination de l’ex-ministre des Affaires étrangères algérien, Sabri Boukadoum ? Une question que les diplomates qui ont suivi les coulisses de cette affaire appréhendent avec vigilance et prudence au vu des enjeux que constituent la Libye et son maintien en tant qu’entité sans pouvoir central ni institutions pérennes.
L’argumentaire avancé pour justifier le blocage prétend que « des pays arabes et des parties libyennes avaient fait part de leur opposition à la nomination de l’ex-responsable algérien ». Des arguments qui ne tiennent pas la route et faussent complètement la problématique, les voies et moyens pour la juguler. Elles avancent l’argument de l’impossibilité de nommer Sabri Boukadoum pour une raison qui a trait à la « préoccupation régionale », c’est-à-dire que l’ex-ministre algérien des Affaires étrangères risque de ne pas réunir les conditions d’une solution à la crise libyenne à cause de son appartenance à la même région mais aussi à l’attitude de son pays, l’Algérie, à l’égard de Khalifa Haftar.
Ces lectures sommaires et formelles cachent bel et bien des intérêts étroits en rapport avec la volte-face des Emirats arabes unies et leur politique de l’autruche par rapport aux questions clés et stratégiques qui concernent le monde arabe, mais aussi l’ensemble de la région du Sahel lourdement affectée par l’instabilité et le flux permanent d’armes, de mercenaires et divers groupes armés vers la Libye. Une instabilité permanente est ainsi alimentée au Sahel et qui justifie d’ailleurs les interventions militaires directes occidentales, notamment françaises, dans la région du Sahel, sous couvert de la lutte contre le terrorisme.
Des interventions directes et indirectes qui servent le double objectif de maintenir la Libye et les pays du Sahel riches en ressources énergétiques et minières sous domination, et de poursuivre une politique d’endiguement de l’Algérie qui s’impose aujourd’hui comme puissance régionale majeure. L’entité sioniste qui soutien Haftar dans l’espoir de le porter au pouvoir en Libye et s’assurer ainsi la normalisation de ce pays et avancer ainsi ses pions au Maghreb et contenir l’Algérie.
Il est aussi question de nouvelles alliances contractées bon gré mal gré pour pouvoir servir les puissances internationales qui sont derrière le statu quo en Libye.
D’ailleurs, l’ambassadeur russe adjoint à l’ONU, Dmitry Polyanskyi, a critiqué l’Occident qui « voudrait garder la haute main sur le dossier libyen ». Les Emirats sont en train d’assurer le rôle du sherpa, ce qui explique leur attitude flasque par rapport à la question palestinienne et leur normalisation avec l’entité sioniste sans qu’on leur demande de le faire, surtout que ce conglomérat n’était pas en guerre pour aller exprimer une quelconque normalisation avec un Etat terroriste qui impose une occupation des plus abhorrées de par le monde.
L’adage dit « Nul n’est prophète en son pays ». Certes, les trahisons ne se font manifester que dans le giron propre. Mais maintenant le Rubicon a bel et bien été franchi.
Rachid Nassouti et Chokri Hafed