L’Arabie Saoudite intègre l’Organisation de coopération de Shanghai : Basculement stratégique au Proche-Orient
Les Etats-Unis seraient-ils en train de perdre pied au Proche-Orient ? Il y a une trentaine d’années, la question aurait sûrement prêter à rire tant Washington était dans cette région en terrain conquis. Les Américains jouaient pratiquement à domicile. Aujourd’hui, la situation a bien changé. Les Etats-Unis n’y sont plus les maîtres incontestés. La Chine, une puissance rivale, leur dispute depuis quelques années leur leadership. Pékin a gagné beaucoup de terrain sans avoir eu à déployer son armée.
L’influence de la Chine au Proche-Orient est aujourd’hui très perceptible. Les Chinois n’ont-ils pas réussi récemment à réconcilier l’Arabie Saoudite et l’Iran ? Doucement mais sûrement, Pékin est en train de mettre en place sa Pax Sinica. Et les plus proches alliés des Etats-Unis commencent à basculer aujourd’hui les uns après les autres dans son escarcelle. C’est le cas, par exemple, de l’Arabie Saoudite, qui vient d’amorcer un rapprochement historique dans le camp animé par la Chine et la Russie en endossant le statut de «partenaire du dialogue » de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Certains spécialistes de la région n’hésiteraient d’ailleurs pas à qualifier cette séquence de « basculement stratégique».
Il était impensable il y a à peine 5 années que Riadh, haut lieu du capitalisme et grand allié de Washington, se rapprocherait de la Russie et de Pékin. Mais il est vrai que depuis il s’est écoulé beaucoup d’eau sous les ponts. Avec le temps, les dignitaires saoudiens ont compris que leurs intérêts étaient ailleurs qu’aux Etats-Unis. C’est la raison pour laquelle, l’Arabie saoudite a décidé de s’associer en tant qu’Etat « partenaire du dialogue » à l’OCS, chapeautée par Pékin et Moscou. Créée en 2001 pour favoriser la coopération politique, économique et sécuritaire, afin de rivaliser avec les institutions occidentales, l’OCS comprend huit pays: la Chine, l’Inde, le Pakistan et la Russie, ainsi que quatre Etats d’Asie centrale (Kazakhstan, Kirghizstan, Ouzbékistan et Tadjikistan). Selon l’agence de presse officielle saoudienne, Riadh a approuvé cette décision lors d’une réunion présidée par le roi Salmane. Elle confère à Riadh « le statut de partenaire du dialogue au sein de l’Organisation de coopération de Shanghai », selon la même source. Parmi les autres pays ayant le statut d’observateur ou de partenaire du dialogue de l’OCS figurent l’Egypte, l’Iran et le Qatar.
La décision de l’Arabie saoudite de s’associer à l’OCS intervient moins de trois semaines après l’annonce d’un accord de réconciliation historique avec l’Iran, conclu sous l’égide de la Chine et visant à rétablir des relations diplomatiques complètes, rompues il y a sept ans. Cet accord pourrait faire beaucoup de bien à la région puisque l’Iran et l’Arabie Saoudite sont des puissances rivales. Les deux pays sont engagés dans une série de conflits par procuration dans la région, notamment au Yémen. Il est à prévoir donc une réduction des tensions.
Les ministres saoudien et iranien des Affaires étrangères ont d’ailleurs prévu se rencontrer avant la fin du ramadan afin de mettre en œuvre un accord de réconciliation bilatéral historique, ont indiqué lundi les deux pays. Le prince saoudien Fayçal ben Farhane et son homologue iranien, Hossein Amir-Abdollahian, ont eu un entretien téléphonique pour la deuxième fois en moins d’une semaine. Ils ont évoqué « leurs problématiques communes (…) à la lumière » de l’accord surprise négocié par la Chine et annoncé le 10 mars, a rapporté l’agence officielle Saudi Press Agency. Les deux ministres ont convenu de la tenue d’une réunion bilatérale pendant le mois de jeûne musulman du ramadan, a indiqué l’agence, sans préciser ni la date, ni le lieu de cette rencontre.
Le rapprochement en cours devrait permettre à l’Iran et à l’Arabie saoudite de rouvrir leurs ambassades d’ici la mi-mai, et de mettre en œuvre des accords de coopération économique et de sécurité signés il y a plus de vingt ans. Le 19 mars, un responsable iranien a indiqué que le président Ebrahim Raisi avait accepté une invitation du roi Salmane à se rendre en Arabie saoudite. Le même jour, M. Amir-Abdollahian avait indiqué que les deux pays avaient convenu de la tenue d’une réunion entre leurs plus hauts diplomates et que trois lieux avaient été proposés, sans préciser lesquels. Lors d’un appel téléphonique mardi avec le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, dirigeant de facto du royaume, M. Xi a salué ce qu’il a appelé l’apaisement des tensions au Moyen-Orient. Dans sa première réaction sur le sujet à être rendue publique depuis la conclusion de l’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran, M. Xi a déclaré que le dialogue promu par la Chine « jouerait un rôle majeur dans le renforcement de l’unité et de la coopération régionales ». Inutile de dire que le rôle joué par la Chine dans le rapprochement irano-saoudien a suscité des froncements de sourcils en Occident. Mais bon, les Occidentaux doivent s’y faire. Le monde change et les rapports de forces aussi.
Khider Larbi