L’argent sale traqué
Le gouvernement vient de franchir une étape décisive dans sa lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le décret exécutif n° 24-242, publié le 23 juillet 2024, introduit un ensemble de mesures rigoureuses visant à prévenir ces activités illicites ainsi que le financement de la prolifération des armes de destruction massive. Ce texte, qui s’inscrit dans le cadre de la loi n° 05-01 du 6 février 2005, marque un tournant dans l’approche de l’Algérie en matière de contrôle financier et de conformité réglementaire.
Au cœur de ce nouveau dispositif se trouve l’obligation pour les entités assujetties de mettre en place des programmes de contrôle interne robustes. Ces programmes doivent être adaptés à la taille, à la nature et à la complexité des activités de chaque organisation. L’objectif est clair : permettre aux institutions de mieux identifier, évaluer et comprendre les risques auxquels elles sont exposées, et de prendre des mesures efficaces pour les atténuer.
Le décret détaille les composantes essentielles de ces programmes de contrôle interne. Ils doivent inclure des procédures spécifiques pour surveiller les transactions suspectes, des mesures pour appliquer les dispositions légales et réglementaires en vigueur, ainsi qu’un processus d’évaluation des risques continuellement mis à jour.
L’une des innovations majeures du décret est l’obligation de désigner un responsable de la conformité au sein de la haute direction de l’entreprise. Ce responsable, qui doit jouir d’une expérience et de qualifications appropriées, se voit doter de l’autorité nécessaire pour exercer ses fonctions de manière indépendante. Il aura notamment un accès en temps réel aux données d’identification des clients et aux registres des transactions.
Cette mesure vise à ancrer la lutte contre le blanchiment d’argent au plus haut niveau des organisations, assurant ainsi un engagement fort de la direction dans ce domaine crucial.
Le décret met également l’accent sur la formation continue du personnel. Les entités assujetties doivent mettre en place des programmes de formation pour tenir leurs employés informés de tous les aspects de la prévention du blanchiment d’argent et du financement du terrorisme. Ces formations doivent permettre au personnel de mieux détecter les activités suspectes et de connaître les procédures à suivre dans de tels cas. Par ailleurs, le texte impose la mise en place d’une fonction d’audit indépendante. Celle-ci est chargée d’évaluer régulièrement l’efficacité des politiques et procédures internes de l’organisation en matière de lutte contre le blanchiment d’argent.
Dans un effort pour étendre la portée de ces mesures au-delà des frontières nationales, le décret exige que les entités assujetties s’assurent que leurs filiales et succursales à l’étranger appliquent des mesures au moins aussi strictes que celles en vigueur en Algérie. Cette disposition est particulièrement importante dans un contexte où les réseaux de blanchiment d’argent opèrent souvent à l’échelle internationale.
Si les lois du pays d’accueil ne permettent pas l’application de ces mesures, les entités algériennes doivent en informer les autorités de régulation et prendre des mesures supplémentaires pour gérer les risques.
Le décret introduit également des règles strictes en matière de recrutement. Les entités assujetties doivent mettre en place des procédures de sélection objectives pour s’assurer que leur personnel, y compris les gestionnaires et les auditeurs, disposent d’un niveau élevé de compétence et d’intégrité. Ces procédures visent notamment à empêcher l’embauche de personnes faisant l’objet de poursuites pénales ou figurant sur des listes de sanctions.
Le texte prévoit des dispositions spécifiques concernant l’échange d’informations au sein des groupes financiers. Il encourage le partage d’informations sur les clients et les transactions entre les différentes entités d’un même groupe, tout en imposant des garanties strictes en matière de confidentialité. Rappelons dans ce contexte que le ministère des Finances a récemment entrepris une démarche visant un mettre en place des mécanismes de coordination entre les instances relevant de sa tutelle et le département de la justice pour un échange d’informations. C’est ainsi que la Cellule de traitement du renseignement financier qui est au coeur du dispositif a signé des accords dans ce sens, avec le ministère de la Justice, la Direction générale des douanes et la Direction des Domaines.
Notons que pour assurer l’efficacité de ces nouvelles mesures, le décret prévoit des sanctions en cas de non-respect. Ces sanctions seront prononcées par les autorités de régulation, de contrôle et de surveillance compétentes. Les procédures de sanction, de réclamation et de recours seront régies par les règles relatives à la responsabilité administrative de chacune de ces autorités.
Enfin et au titre des mesures transitoires, les entités concernées disposent d’un délai de six mois à compter de la publication du décret pour se mettre en conformité avec ces nouvelles exigences. Durant cette période, les autorités de régulation, en coordination avec l’organe spécialisé, devront préciser les modalités et les règles de fonctionnement du contrôle interne.
Ce décret marque une étape importante dans l’alignement de l’Algérie sur les standards internationaux en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il répond aux recommandations du Groupe d’Action Financière (GAFI) et devrait contribuer à renforcer la position de l’Algérie dans le système financier international.
En imposant des obligations plus strictes aux institutions financières et autres entités assujetties, l’Algérie démontre sa détermination à combattre les flux financiers illicites. Ces mesures devraient contribuer à améliorer l’intégrité du système financier algérien, à réduire les risques de blanchiment d’argent et à renforcer la confiance des investisseurs internationaux.
Hocine Fadheli