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Quelle stratégie pour les pays producteurs de pétrole et de gaz ?

 Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, ancien directeur des études à la Sonatrach et au ministère de l’Énergie 1974/2015 et président de la commission transition énergétique des 5+5+ Allemagne 2019/2020.

Le cours du pétrole et le prix sur le marché du gaz différent du marché pétrolier avec la dominance des contrats à moyen et long terme, du fait de la prépondérance des canalisations ( marché segmenté ) restent fragile et sensible aux incertitudes de l’offre et de la demande, ont oscillé entre juin et fin juillet 2024 entre 31 et 35 dollars le mégawattheure pour le gaz et entre et ont baissé à plus bas de 73 dollars pour le pétrole Brent. Ces niveaux extrêmement bas sont la conséquence des prévisions pessimistes des trois plus grands espaces au monde à savoir les USA, l’Europe et la Chine (plus de 60% du PIB mondial) à savoir la baisse de la demande de l’économie chinoise face à un taux de croissance modeste 5% prévu en 2024 ; pour les USA, un taux de croissance de 2,6% pour 2024 avec la chute du dollar face à la dégradation de l’emploi le taux de chômage durant le premier semestre 2024 ayant atteint 4,3%, son taux le plus élevé depuis octobre 2021, et pour l’Europe, Bruxelles n’attend pas plus de 1 % de croissance en 2024. Des prix affectés aussi par l’accroissement de la production des pays hors OPEP+ (environ 50% de la production mondiale), la production hors OPEP+ devant augmenter selon l’AIE de 1,6 mb/j, tandis que celle de l’OPEP+ pourrait diminuer de 820 kb/j si le cartel des pays exportateurs de pétrole et leurs alliés maintiennent les réductions volontaires. Ce niveau est légèrement amorti par la baisse des réserves américaines, des baisses des taux d’intérêts attendues à travers le monde et une recrudescence des tensions après des frappes meurtrières visant un commandant du Hezbollah puis le chef du bureau politique du Hamas Ismail Haniyeh en Iran, même si les bourse ne s’attendent pas à une généralisation du conflit au Moyen Orient.

Les clés du marché pétrolier

Actuellement, l’OPEP compte 12 membres qui sont, par ordre décroissant de production de pétrole, l’Arabie saoudite, l’Irak, les Émirats arabes unis, l’Iran, le Koweït, le Nigéria, la Libye, l’Algérie, le Venezuela, la République du Congo, le Gabon et la Guinée équatoriale, l’Angola ayant récemment quitté l’organisation. Quant à l’OPEP+, l’alliance compte 10 pays de plus qui sont, par ordre décroissant de production, la Russie, le Mexique, le Kazakhsta, Oman, l’Azerbaïdjan, la Malaisie, le Bahreïn, Brunei, le Soudan et le Soudan du Sud, certains pays grands producteurs n’étant pas membre comme par exemple les Etats-Unis, le Canada ou la Norvège. Concernant les actions de l’OPEP+ , elles ont été abordées le 01 août 2024 lors des travaux de la 55e réunion du Comité ministériel de suivi Opep-non Opep (JMMC),se composant des représentants de sept pays membres de l’Opep : l’Algérie, l’Arabie Saoudite les Emirats arabes unis, l’Irak, le Koweït, le Nigéria, le Venezuela, et de deux pays non membres de l’Opep, la Russie et le Kazakhstan. LE JMMC est mandaté pour examiner les conditions et les perspectives du marché mondial du pétrole et surveiller l’évolution de la situation et les niveaux de conformité aux ajustements dont leurs engagements de réduction de production pour les mois de mai et juin 2024. Cela fait suite aux décisions du 2 juin 2024 où l’OPEP+ a décidé de prolonger les accords de réduction de 3,7 Mb/j jusqu’à la fin de 2025 et les réductions volontaires de production de 2,2 Mb/j jusqu’à la fin de septembre 2024. À partir d’octobre 2024, ces dernières seront progressivement réduites jusqu’à la fin du mois de septembre 2025 où selon les nouveaux accords, la production de l’OPEP+ devrait être de 35,6 Mb/j entre juin et septembre 2024, pour terminer l’année 2024 à 36,1 Mb/j et atteindre progressivement 38,1 Mb/j fin 2025, l’Iran, la Libye et le Venezuela étant exclus car ils ne sont pas soumis aux quota. Rappelons que l’OPEP+ a reconduit pour l’année 2025 un volume global de production de référence de 39,725 millions de barils de pétrole brut par jour (Mb/j), dont 24,135 Mb/j pour les pays membres de l’OPEP et 15,59 Mb/j pour les producteurs hors OPEP, soit un peu moins de 38% de la production totale de pétrole attendue en 2025 selon les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (104,5 Mb/j). Mais ce volume de référence ne tient pas compte des réductions volontaires car depuis fin 2022 , l’OPEP+ a mis en place une série d’accords de réduction de la production, complétés par des réductions volontaires de la production de certains pays, pour un total de 5,9 Mb/j, dont 8 des principaux producteurs de l’OPEP+ : Arabie saoudite, Russie, Irak, Émirats arabes unis, Koweït, Kazakhstan, Algérie, Oman. Ces pays ont décidé de maintenir leurs réductions volontaires de production s’élevant donc à 2,2 Mb/j en cumul, jusqu’en septembre 2024, avant de les supprimer d’ici septembre 2025 avec des augmentations progressives de leurs productions respectives. Les réserves mondiales prouvées de pétrole brut sont estimées à 239 milliards de tonnes au 01 janvier 2024, soit environ 50 années de production, au rythme actuel. Au 1er janvier 2024, les réserves de pétrole des 10 premiers pays sont par ordre : le Venezuela 315 milliards de barils ( pétrole lourd)- l’Arabie Saoudite 266 milliards de barils – l’Iran 157 milliards de barils – l’Irak 143 milliards de barils – le Koweït ( un pays petit comme la suisse) 101 milliards de barils – les Emirats 97 milliards de barils – la Russie 80 milliards de barils – la Libye 48 milliards de barils -le Nigeria 37 milliards de barils et les Usa 36 milliards de barils – l’Algérie étant un pays plus gazier dispose d’entre 10/12 milliards de barils. Quant aux 10 grands producteurs mondial qui est l’addition de la consommation intérieure et des exportations sans oublier qu’il faut injecter dans les puits 15/20% de la production pour éviter leur épuisement, de pétrole prévision pour 2024, nous avons en premier les États-Unis qui maintiennent leur position de premier producteur mondial de pétrole , avec une production de 19,43 millions de barils par jour, pétrole brut et liquides compris. Malgré une baisse de 783.000 barils par jour par rapport aux niveaux de 2022, les États-Unis restent un acteur important et outre leur domination en matière de production, les États-Unis sont également un gros consommateur au niveau interne, en moyenne 20,5 millions de barils par jour de produits pétroliers en 2023. Nous avons par ordre décroissant les États-Unis qui devrait atteindre en moyenne 13,24 millions de b/j en 2024, contre 12,93 millions de b/j produits en 2023 ; la Russie 10,96 millions de barils par jour, l’Arabie Saoudite – 10,73 millions de barils par jour ; le Canada – 5,79 millions de barils par jour ; Irak – 4,27 millions de barils par jour ; la Chine – 4,28 millions de barils par jour ; les Émirats arabes unis – 3,3 millions de barils par jour ; le Brésil – 3,49 millions de barils par jour ; l’Iran – 2,99 millions de barils par jour et le Koweït – 2,62 millions de barils par jour. L’OPEP représente environ un tiers-33% de la production mondiale et l’OPEP+ environ 40%, le plus grand producteur les USA ne faisant pas partie du cartel ainsi que d’autres pays mais l’OPEP + dispose d’environ 70% des réserves mondiales, encore que nous assistons récemment à la découverte de pétrole dans bon nombre de pays d’Afrique. A tire de comparaison selon Trading Economic, pour 2023 , nous avons par ordre décroissant – référence juillet 2023- la Libye est classée première en Afrique avec 1.173 mille barils par jour (bbl/j) suivi de l’Angola et le Nigeria avec respectivement 1.149 mille bbl/j et 1.081 mille bl/j, l’Algérie (955 mille bbl/j ; l’Égypte (565 milles bbl/j ; la République du Congo (282 milles bbl/j ; le Gabon(193 milles bbl/j ; le Soudan (milles 187 bbl/j ; le Ghana (173 milles bbl/j en mai) et le Tchad (88 milles bbl/j.

Qu’en est-il du marché gazier ?

Concernant le gaz naturel, le Forum des pays exportateurs de gaz (GECF) est constitué de 11 pays membres) :5 en Afrique (Algérie, Égypte, Guinée équatoriale, Libye, Nigéria) ;2 au Moyen-Orient (Iran, Qatar) ; 3 en Amérique du Sud (Bolivie, Trinité-et-Tobago, Venezuela) et en Europe , la Russie. Ce forum réunit ainsi des pays détenant plus de 70% des réserves prouvées dans le monde dont les 3 principaux (Russie, Iran, Qatar), les États-Unis, premier producteur mondial de gaz, ne faisant en revanche pas partie du GECF et par ailleurs 7 pays non-membres ont un statut d’observateur : l’Angola, l’Azerbaïdjan, les Émirats arabes unis, l’Irak, la Malaisie, la Norvège et le Pérou. Lors du 7e Sommet des Chefs d’État et de Gouvernement du Forum des pays exportateurs de gaz, qui s’est tenu à Alger du 29 février au 2 mars 2024, le Sénégal a intégré l’organisation qui représente plus de 40 % de la production commercialisée, 47% des exportations par gazoducs et plus de la moitié de la commercialisation du GNL. La structuration du Mix énergétique mondial au 1er janvier 2023 est composée du pétrole 32%, du gaz naturel 24%, du charbon 27%, du nucléaire 3%, du renouvelable 14%. La part du gaz est appelée à évoluer entre 2030/2040/2050 avec une croissance du gaz qui représenterait plus de 30%, le pétrole 25% , le nucléaire 10%, l’hydraulique et les énergies renouvelables dans toute leur composante 35%. Selon les données internationales entre 2035/2040/2050 environ 60 à 65% de la consommation mondiale d’énergie sera constituée de la combinaison du gaz naturel et des énergies renouvelables soit l’Énergie hydraulique, l’énergie éolienne, l’énergie solaire, la biomasse, la géothermie et le développement de l’hydrogène blanc, vert et bleu et ce dans le cadre de la transition énergétique afin de lutter contre les effets néfastes du réchauffement climatique, les nouvelles techniques devant favoriser un gaz plus propre. Nous avons par ordre décroissant pour les réserves de gaz prouvées 2023 selon le site « connaissance -Energie » la Russie 37.400 milliards de mètres cubes gazeux ; l’Iran 32100 milliards de mètres cubes gazeux; le Qatar 24700 milliards de mètres cubes gazeux; le Turkménistan 13600 milliards de mètres cubes gazeux ; les USA 12800 milliards de mètres cubes gazeux; la Chine 8400 milliards de mètres cubes gazeux ; l’Arabie Saoudite 6000 milliards de mètres cubes gazeux; les Emiraties 5900 milliards de mètres cubes gazeux; le Nigeria 5500 milliards de mètres cubes gazeux; l’Irak 3500 milliards de mètres cubes gazeux et l’Algérie 2400 milliards de mètres cubes gazeux,mais possédant le troisième réservoir mondial de gaz de schiste avec près de 20.000 milliards de mètres cubes gazeux. Les réserves gazières sont très largement concentrées dans les pays du Proche-Orient (40%) et en Europe (33%), dont 23% pour la seule Russie. La demande mondiale de gaz devrait augmenter de façon constante dans les 20 prochaines années, dans un contexte de réserves abondantes et d’une utilisation accrue du gaz pour produire de l’énergie, une hausse d’au moins 2% par an, pendant plusieurs décennies, ce qui devrait porter cette demande à 4500 milliards de mètres cubes de gaz par an d’ici à 2030 contre 3861 milliards de mètres cubes en 2020 et 4036 milliards de mètres cubes en 2021 et 4050 entre 2022 et 2023 et pour l’ensemble de l’année 2024, la demande mondiale de gaz devrait croître de 2,5%, soit un peu plus de 100 milliards de mètres cube. Pour la production au niveau mondial en 2022, nous avons par ordre décroissant : USA 1027 milliards de mètres cubes gazeux, la Russie 699, l’Iran 244 milliards de mètres cubes gazeux, la Chine 219 milliards de mètres cubes gazeux, le Canada 205 milliards de mètres cubes gazeux, le Qatar 170 milliards de mètres cubes gazeux, l’Australie 162 milliards de mètres cubes gazeux, la Norvège 128 milliards de mètres cubes gazeux, l’Arabie saoudite 105 milliards de mètres cubes gazeux, l’Algérie 102 milliards de mètres cubes gazeux, mais possédant la troisième réserve mondiale de gaz de schiste environ 19 500 milliards de mètres cubes gazeux, la Malaisie 76 milliards de mètres cubes gazeux et l’Egypte 68 milliards de mètres cubes gazeux. Pour le GNL, nous avons la structure suivante au 1er janvier 2023 : USA 40,2% ; Russie 13,2% ; Qatar 13,1% ; Algérie 6,7% ; Norvège 6,6%. À fin 2023, nous avons la structure suivante de l’approvisionnement du marché européen par canalisation : Norvège 54%, Algérie 19% Russie à 17% contre 45% avant les évènements de l’Ukraine, l’Algérie couvrant près de 40% de la consommation italienne et étant devenue pour l’Espagne, fin 2023 le premier fournisseur avant les USA et la Russie.

Qu’en est-il pour l’Afrique ?

Les nouvelles réserves de gaz naturel en phase de préproduction en Afrique se trouvent dans des pays qui jusqu’ici n’exploitent pas les combustibles fossiles. Plus généralement, nous avons le Mozambique abritant 44,9% des réserves prouvées, le Sénégal (15,1%), la Mauritanie (11,2%) et la Tanzanie (10%), l’Afrique du Sud (1,9%), l’Éthiopie (0,8%) et devant inclure la Guinée équatoriale. Récemment, nous avons situé à 115 km des côtes mauritano-sénégalaises un des plus grand champ gazier en Afrique, sa découverte ayant été annoncée en avril 2015, avec des réserves d’environ 25 000 milliards de pieds cubes, et 630 millions de barils de pétrole , les ministres mauritanien et sénégalais du Pétrole prévoyant un démarrage de production au troisième trimestre 2024, la phase 1 du projet GTA devant produire environ 2,5 millions de tonnes de GNL par an, pendant plus de 20 ans destinés à la consommation intérieure et à l’exportation, ce qui devrait procurer des recettes importantes en devises, qui bien utilisées dynamiserait l’économie de ces deux pays. Les réserves cumulées de ces pays d’Afrique sont évaluées à plus de 5200 milliards de mètres cubes gazeux et si les 79 projets en phase de pré-production répertoriés en Afrique sont réalisés, la production gazière du continent augmentera d’environ 33% d’ici 2030. La carte gazière de l’Afrique devrait se modifier progressivement avec les nouveaux entrants sur le marché du gaz naturel les anciens producteurs cités qui avaient accaparé 92% de la production du continent entre 1970 et 2022, les futurs hubs gaziers africains représenteront plus de 50% de la production gazière du continent entre 2030/2035. Les dépenses d’investissement dans les terminaux de GNL programmés sont estimées à environ 103 milliards de dollars, dont 92 % financeraient les terminaux d’exportation de GNL et les cinq principaux pays africains qui développeront des terminaux d’exportation sont la Tanzanie, le Mozambique, le Nigéria, la Mauritanie et le Sénégal.

En conclusion , au rythme de la consommation actuelle pour les ressources identifiées, et selon l’hypothèse d’un non changement du modèle de consommation énergétique mondial, les réserves le pétrole va arriver à épuisement d’ici 54 ans le gaz d’ici à 63 ans, le charbon d’ici à 112 ans et l’uranium d’ici à 100 ans. Cependant, il faut être réaliste, le mix énergétique au niveau mondial est amené à évoluer et le gaz naturel, comme les autres énergies «historiques», sera amené à cohabiter avec des énergies renouvelables l’objectif étant d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 nécessitant selon le cabinet de consulting américain BCG 27.000 milliards de dollars d’investissements, incluant l’efficacité énergétique touchant tous les secteurs, le renouveau des réseaux électriques, le stockage de l’énergie, les carburants alternatifs, les matériaux pour bâtiments verts et les technologies de stockage du CO2. Globalement, les futures décisions et l’évolution des prix du pétrole dépendront fortement des bouleversements géostratégiques, du niveau des réserves rentables, des perspectives de la croissance de l’économie mondiale et, à moyen et long termes, des politiques menés dans le cadre de la transition énergétique.

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