Présidentielle US : Quels enjeux ?
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international et docteur d’Etat 1974 en géostratégie
Selon les experts en géostratégie, une victoire de Donald Trump pourrait déboucher sur la mise en place d’une politique commerciale protectionniste encore plus agressive, et en cas de victoire de Kamala Harris, celle-ci devrait maintenir une approche plus modérée en matière de commerce, tout en conservant certaines restrictions ciblées, en particulier vis-à-vis de la Chine.
Le Congrès américain a adopté un budget faramineux de 886 milliards de dollars pour la défense des États-Unis en 2024, prolongeant un dispositif de surveillance électronique internationale très utilisé par le renseignement américain qui permet aux services de sécurité américains de mener des programmes de surveillance électronique — y compris via la consultation de courriers électroniques — de ressortissants non américains à l’étranger, sans demander de mandat judiciaire systématique. Ainsi, sur le plan militaire, selon la majorité des experts militaires, l’armée américaine est la seule à pouvoir intervenir sur l’ensemble de la planète grâce à ses bases réparties sur tous les continents et à ses flottes de guerre naviguant sur tous les océans, la puissance militaire américaine s’exprimant à travers la possession de l’arme nucléaire. Cette organisation permet aux USA d’intervenir partout dans le monde. Sur le plan économique, les entreprises des USA investissent dans le monde entier, dominent les segments scientifiques grâce aux universités et aux unités de recherche des entreprises qui attirent les meilleurs chercheurs du monde, cette domination étant facilitée par le contrôle d’internet et des principales chaines de télévision par satellites et les maisons de production d’Hollywood qui dominent le marché mondial de production des films et des séries télévisées, imposant l’american way of life dans le monde. Selon les experts en géostratégie, une victoire de Donald Trump pourrait déboucher sur la mise en place d’une politique commerciale protectionniste encore plus agressive, ayant prévu d’appliquer un droit de douane de 60 % sur toutes les importations en provenance de Chine et un droit de douane général de 10 à 20 % sur les importations en provenance de tous les partenaires commerciaux y compris l’Europe et en cas de victoire de Kamala Harris, celle-ci devrait maintenir une approche plus modérée en matière de commerce, tout en conservant certaines restrictions ciblées, en particulier vis-à-vis de la Chine. Au niveau des relations internationales nous aurons des politiques divergentes en Ukraine mais presque similaires, avec un peu d’assouplissement pour Harris au Moyen Orient, en Afrique du Nord et au Sahel mais les deux candidats privilégiant avant tout les intérêts supérieurs des États Unis d’Amérique ont pour objectif stratégique, maintenir la position des USA comme première puissance économique et militaire
Première puissance économique mondiale
Les USA représentaient, en 2023, pour 4% de la population mondiale, 26,05% du PIB mondial et le classement des dix premières puissances économiques mondiales en 2023, basé sur le PIB nominal, se présente comme suit : États-Unis : 27 361 milliards USD -Chine : 21 643 milliards USD – Japon : 4 365 milliards USD – Allemagne : 4 120 milliards USD – Inde : 3 820 milliards USD – Royaume Uni : 3 538 milliards USD – France : 2 854 milliards USD – Canada : 2 365 milliards USD – Russie : 2 240 milliards USD – Brésil : 2173 milliards USD, soit au total 74 479 milliards de dollars soit 70,59 % du PIB mondial et USA représente 36,73% de cet ensemble. Concernant les organisations économiques internationales en référence au produit intérieur brut PIB courant, bien qu’imparfait mais étant pour l’instant la référence pour classer les pays en fonction de la création de sa richesse , le G7 pour une population de 779,3 millions d’habitants sur un total de 8,025 milliard d’habitants en 2023 composé des Etats Unis d’Amérique du – Japon de la – Grande Bretagne – France – Canada totalise 46.857 milliards de dollars soit 44,41% du PIB mondial et les USA représente 58,39% de cet ensemble. Le G20 représente, quant à lui, plus de 80 % du commerce mondial et les deux tiers de la population mondiale environ 90 % du PIB mondial soit 94500 milliards de dollars les USA représentent 28,95% de cet ensemble. Au sein au G7, certes en décroissance les USA domine toujours le classement et ont une influence déterminante même face au poids des BRICS+ qui au 1er janvier 2024,en plus des cinq membres fondateurs, la Chine, le Brésil, la Russie, l’Inde l’Afrique du Sud ayant été rejoint par l’Égypte, l’Éthiopie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ne cesse de croître, où 1990, leur poids dans le PIB mondial atteignait à peine 10 % et 25,5 % en 2018 et pour 2023 selon les statistiques internationales, nous avons un total de 33.001 milliards de dollars sur un PIB mondial en 2023 de 105.540 milliards de dollars soit 31,42% pour une population de 3614 millions d’habitants sur un total de 8 milliard soit 45,17%. Lors de la réunion tenue à Kazan -Russie du 22 au 24 octobre 2024, il a été décidé d’ajouter 13 pays en tant que « membres partenaires » et non-membres à part entière, à savoir l’Algérie, la Biélorussie, la Bolivie, Cuba, l’Indonésie, le Kazakhstan, la Malaisie, le Nigéria, la Thaïlande, la Turquie, l’Ouganda, l’Ouzbékistan et le Vietnam. Ainsi en termes d’accroissement du PIB, les partenaires des BRICS+ représentent 4995 milliards de dollars avec une population de 971 millions d’habitants, ce qui porte la part des 10 BRICS+ et des partenaires à 37.996 milliards de dollars soit 36,18% du PIB mondial de 2023 pour une population de 4,585 milliards d’habitants soit 57,31% de la population mondiale. Ainsi, malgré un poids décroissant, depuis la fin de la Guerre froide, les USA avec 337 millions d’habitants en 2023, sont la première puissance économique de la planète. Dans ce cadre, il est utile de mettre en relief les principaux Indicateurs de l’économie américaine. Pour l’année 2023, l’économie américaine a connu une croissance de 2,5 % contre 1,9 % en 2022 tirée par la consommation des ménages, les exportations et les dépenses gouvernementales, alors que le déficit budgétaire dépassant 2 000 milliards de dollars 7 % du produit intérieur brut. Le déficit de la balance courante qui restera élevé en 2024, alimenté principalement par le déficit structurel de la balance des marchandises (3,9 % du PIB en 2023). Les réserves de change des USA sont estimées à 37,3 milliards de dollars en août 2024 non compris les réserves d’or estimées à 8133 tonnes, montrant que les réserves de change ne sont qu’un moyen et que pour tout processus de développement durable, il s’agit de transformer cette richesse virtuelle en richesses réelles . Les exportations de biens et services ont augmenté de 33,4 milliards de dollars, soit 1,1 %, en 2023 pour atteindre 3051,8 milliards de dollars, les exportations de biens ayant diminué de 37,2 milliards de dollars et les exportations de services ont augmenté de 70,6 milliards de dollars. Les importations de biens et services ont diminué de 138,0 milliards de dollars, soit 3,5 %, en 2023 pour atteindre 3831,6 milliards de dollars, les importations de biens ayant diminué de 160,6 milliards de dollars et les importations de services augmentant de 22,6 milliards de dollars. A l’issue de l’exercice fiscal 2024, clos le 30 septembre 2024, le déficit est monté à 6,4% du produit intérieur brut (PIB), contre 6,2% en 2023, selon le département du Trésor pour un montant de 1.833 milliards de dollars, en hausse de 8% par rapport à l’année 2022. La dette publique est en 2023 de 32.824,77 milliards de dollars contre en 2022 de 30.985,91 milliards de dollars avec des prévisions pour 2024 de 34.908,4 milliards de dollars et pour 2025 de 37.148,75 milliards de dollars. Le taux d’inflation a été de 4,6% en 2021, un pic de 8% en 2022, 4,5% en 2023 et une prévision de 2,3% en 2024 et le chômage frappe entre 6/7 millions d’Américains, le taux ayant été de 6,64% en 2022, 3,61% en 2023 avec une prévision de 3,85% en 2024 avec un taux de chômage de 4,1 % selon les données officielles mais selon le Wall Street Journal de 4,05 % à 4,14 % entre septembre et octobre 2024. Pour juguler la forte inflation, qui avait atteint en juin 2022 un niveau inédit depuis le début des années 1980, 9,1% sur un an, la banque centrale américaine (Fed) a relevé ses taux à onze reprises entre mars 2022 et juillet 2023. L’inflation ayant désormais ralenti, la Réserve fédérale envisage de les abaisser dans les mois qui viennent, ce qui rendra le crédit plus abordable pour les ménages.
Domination du dollar US comme monnaie internationale et la stratégie des BRICS
Avec la fragmentation et la potentielle réorganisation de l’activité économique et financière mondiale en blocs distincts qui pourraient encourager certains pays à utiliser et à détenir d’autres monnaies internationales et de réserve, la tenue du sommet des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) à Johannesburg en août 2023 s’est accompagnée de déclarations officielles dénonçant la place de la monnaie américaine dans l’économie mondiale. Moscou et Brasília ont annoncé vouloir limiter leur exposition au billet vert. Mais suffit-il de déclarer la fin de l’hégémonie du dollar pour la faire advenir ? Car le Dollar américain tire sa force de son rôle de monnaie de réserve du monde. Aujourd’hui, la plupart des pays acceptent le dollar comme mode de paiement, même à la place de leur propre monnaie. Entre 2021/2022, selon les données du FMI du 28 avril 2023, la part du dollar, dans les paiements mondiaux s’élève à environ à 38 %, l’euro faisant jeu égal avec le dollar ; les avoirs de réserves de change sont d’environ 20 % pour l’euro tandis que celle du dollar américain se situait aux alentours de 60% et la part du dollar dans les réserves de changes mondiales est passée de 71% en 1999, à 58% en 2022, l’euro 20,5%, le yen 5,5%, la livre sterling 5% et le yuan chinois 2,7%. En 2023, à Londres, première place mondiale sur les changes (38 % de l’activité mondiale), la part du dollar dans les volumes quotidiens s’est renforcée à plus de 45 % alors que celle de l’euro chutait de 19 % à 16,6 %, selon les données du London Foreign Exchange Committee. Selon une étude d’Eurostat, 46 % de l’ensemble des échanges de biens réalisés en 2023 par l’Union européenne avec le reste du monde ont été libellés en euros, tandis que 42 % l’ont été en dollars et 12 % seulement dans d’autres monnaies, l ‘euro arrivant en tête pour les exportations extracommunautaires, avec une part de 52 %, devant le dollar (32 %) et les autres devises (13 %). Pour les extrapolations, il faut toujours prendre des précautions en fonction de plusieurs paramètres et variables à la fois économiques, sociales et géopolitiques à horizon 2030 où certaines prévisions font que le poids du dollar pourrait diminuer à 40-45%. Les récentes données du FMI sur la composition en devises des réserves de change (COFER) indiquent une baisse progressive continue de la part du dollar dans les réserves de change des banques centrales et des États, mais n’a pas été contrebalancée par l’augmentation des parts des autres principales monnaies, que sont l’euro, le yen et la livre mais par les « monnaies de réserve non traditionnelles » notamment celle du dollar australien, du dollar canadien, du renminbi chinois, du won sud-coréen, du dollar singapourien et des devises nordiques. C’est dans ce cadre que rentre l’objectif du sixième sommet annuel, en 2014,où les fondateurs des BRICS, la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud ont officialisé la création d’une banque commune la NDB, dont le siège est à Shanghai d’un fonds de réserve, visant à s’affranchir de la tutelle du dollar et des institutions de Bretton Woods mises en place après la deuxième Guerre mondiale (Fonds monétaire international et Banque mondiale), banque qui est dirigée actuellement par l’ex-présidente brésilienne, Dilma Rousseff. C’est sous l’impulsion des BRICS que le G20 a transformé le forum de stabilité financière en conseil de stabilité financière, les BRICS ayant soutenu le rapport sur les G-SIFI pour réduire les risques moraux des institutions financières systématiquement et globalement importants, les fonds de couverture, le shadow banking, les produits dérivés financiers des marchés offshore et les agences de notation qui ayant été ramenés pour la première fois sous la supervision. Une partie des réserves de la Banque des BRICS+ pourrait être concentrée, par l’émission d’emprunts sur le marché financier international en utilisant leurs devises étrangères afin de réduire le risque d’inflation et de rétrécissement de leur réserve de devises étrangères, et de mieux servir leurs économies réelles. Par ailleurs, les bénéfices que la Nouvelle banque de développement pourraient tirer de l’investissement dans les économies réelles et dépasseraient largement ceux que les banques centrales pourraient tirer de l’achat de bons du Trésor des pays développés, et l’investissement dans les infrastructures pourrait stimuler la demande intérieure de ces pays, entraînant la croissance économique. La Nouvelle Banque de développement ferait la promotion de l’usage des monnaies nationales des pays membres, ce qui pourrait promouvoir le commerce intérieur et l’investissement réciproque de ces pays, réduisant ainsi la dépendance au dollar. Comme lors de différentes réunions dont la dernière à Kazan en Russie en octobre 2024, il a été prévu la mise en place d’un mécanisme de paiement durable pour le commerce bilatéral des pays du BRICS, l’objectif à terme, pas dans l’immédiat, étant la création d’une monnaie commune adossé à l’or. En 2030, le yuan pourrait détrôner le yen et la livre sterling comme troisième monnaie de réserve mondiale où paradoxalement, les tensions commerciales avec les Etats-Unis favorisent la devise chinoise qui, selon Morgan Stanley, pourrait représenter de 5% à 10% des réserves de change dans le monde horizon 2028/2030. Mais tout cela sera fonction des estimations de certains organismes comme la Banque mondiale ou le Centre for Economics and Business Research (CEBR), pour qui la Chine pourrait devenir la première puissance économique mondiale d’ici 2030 à condition, toutefois, qu’elle maintienne un taux de croissance d’environ 5,5% par an, ce qui n’est qu’une hypothèse. Et sera-t-elle réalisée ?
En conclusion, les élections américaines ont une importance cruciale pour l’avenir du monde du fait qu’en ce mois de novembre 2024 et encore pour longtemps, les USA sont la première puissance économique et militaire au monde.
A.M.