Énergies renouvelables : Ciel bleu au détriment des matériaux critiques !
Par Mohamed Rachid Cheriti
Ingénieur spécialisé dans le domaine énergétique et le développement durable.
Email : r_cheriti@yahoo.fr
« Ce que nous appelons transition énergétique n’est en réalité qu’une transmutation de ressources naturelles inépuisables (soleil, vent, mer…etc.) à travers des processus basés sur des ressources épuisables et rares pour produire une énergie dite renouvelable. »
La scène énergétique occupe actuellement une place de premier plan dans le monde entier, et puisque le secteur énergétique actuel basé majoritairement sur les ressources fossiles, soupçonné comme la principale cause de l’émission des gaz à effet de serre, connait depuis quelques années des changements structurels en termes d’efficacité énergétique. L’impératif climatique bas carbone qui découlait de cette situation a conduit plusieurs pays à s’orienter vers la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables. En fait, la question de l’efficience et de l’efficacité de ces énergies renouvelables est soulevée avec certitude par certains scientifiques en raison de leurs impacts sur notre terre d’une part en matière d’épuisement des métaux critiques et rares car ces minéraux sont impliqués à travers toute la chaîne de production d’énergie actuelle, et d’autre part à travers le stress hydrique qu’ils peuvent provoquer lors de traitements de ces matériaux.
Dans la même optique, l’extraction de matériaux implique la séparation du matériau précieux de celui qui n’est pas économique. À titre d’exemple, la production d’une tonne des terres rares génère 2 000 tonnes de déchets toxiques, dont 75 mètres cubes d’eaux usées et 1 tonne de déchets radioactifs, de ce fait l’atténuation des risques environnementaux est primordiale.
17 métaux critiques
Les métaux critiques sont des ressources nécessaires à la production d’une large gamme de produits modernes, tels que les smartphones, les équipements médicaux, et les technologies de la transition énergétique. Les caractéristiques uniques de ces matériaux ont catapulté de nombreuses technologies des énergies renouvelables, notamment les éoliennes, les panneaux solaires et les batteries pour véhicules électriques. Un groupe de dix-sept métaux devenus des éléments clés de progrès technologiques révolutionnaires dans le domaine de l’énergie, des TIC, des dispositifs médicaux ou encore la défense. Parmi ces derniers, le lithium qui est utilisé pour les batteries des véhicules électriques, certaines terres rares comme le dysprosium, le néodyme et le samarium pour les moteurs et les génératrices électriques à aimants permanents utilisés dans les éoliennes. et dans les moteurs de véhicules , l’indium , l’étain , l’argent , le gallium , le cadmium, le tellure , le sélénium , pour les technologies des panneaux solaires en couches minces, le Nickel dans les cathodes des batteries, le cobalt, l’or, le platine, l’indium, l’iridium , le ruthénium , pour les différents types de catalyseurs (piles à combustible , électrolyseur pour la production d’hydrogène , biocarburants de différentes générations) , l’acier et le cuivre pour les réseaux et les infrastructures , les sables très purs pour les verres , les sables, graviers, et fer pour les fondations et infrastructures des éoliennes. La filière nucléaire utilise du zirconium, niobium, nickel, l’étain, chrome, le carbure de bore, le hafnium, et les alliages argent-indium-cadmium. À l’horizon 2050, six minerais étudiés apparaissent stratégiques pour cette filière : le zirconium, le niobium, le hafnium, le bore, l’indium et le cadmium.
Dans les bâtiments, on trouve les isolants plus traditionnels comme la laine de verre, les laines de fibres naturelles, les panneaux d’isolation par l’extérieur, les minéraux peu denses comme la perlite et la vermiculite expansées, étant donné que la silice est la source de verre et la laine de verre, et la source de la silice est le sable. Tandis que dans l’éclairage, les lampes fluo-compacts actuelles renferment de grandes quantités de poudre de terres rares (europium, cérium, yttrium, terbium), en sus des LED fabriques à base de l’arsenic, gallium, silicium et le zinc.
Une demande en hausse et des ressources limitées
Dans ce contexte, l’humanité tend à utiliser des ressources minérales à un niveau sans précédent, soit 70 milliards de tonnes de matières extraites du sous-sol annuellement, et peuvent atteindre d’ici 2050, 3 à 10 fois les niveaux actuels. Selon IRENA, la demande de cuivre devrait continuer à augmenter au cours des prochaines décennies, atteignant 50 à 70 Mt par an d’ici 2050, soit environ le double des 30 Mt fournies en 2020. La production de lithium doit augmenter pour répondre à la demande de l’industrie des véhicules électriques, et il se peut que la demande dépasse l’offre à la fin du siècle. Pour le nickel, la demande devrait augmenter considérablement au cours des prochaines décennies à celle actuelle qui est de 2.4 Mt en 2019, et pourraient augmenter de 20 à 25% d’ici 2025. Tandis au néodyme et de dysprosium, la demande mondiale en 2018 a atteint respectivement 0,04 Mt et 0,0014 Mt. La demande totale d’aimants permanents est donc projetée à 150 KT d’ici 2030, impliquant une demande annuelle de 50 KT. La demande de germanium et de tellurure d’un facteur de trois à six par rapport aux niveaux actuels. La demande d’aluminium (En Europe, la plupart des installations éoliennes terrestres utilisent des câbles souterrains en aluminium), de cadmium, de cuivre et d’argent augmentera de 10 à 20 %.
Pour la production, un petit nombre de pays dominent la production de métaux énergétiques propres. Trois pays (Chili, Pérou et Chine) produisent près de la moitié de tout le cuivre. Pour les autres matériaux critiques, les trois premiers producteurs représentent au moins la moitié de la production mondiale. La République démocratique du Congo représente 69 % de la production mondiale de cobalt, la Chine représente 59 % de la production mondiale des terres rares, l’Australie représente 50 % de la production mondiale de lithium et l’Indonésie représente 33 % de la production mondiale de nickel. La Chine possède les plus grands gisements des terres rares et représente 90 % de la production mondiale. Toutefois, ce qui concerne le traitement des terres rares la Chine représente une part dominante de 88 %, du cobalt (65 %), du lithium (58 %), du cuivre (40 %) et du nickel (35%). Elle est pionnière dans cette industrie en matière des réserves et de traitement.
Par ailleurs, le nombre d’années de réserve en minerai dépend de la réserve connue à ce jour et de la consommation annuelle mondiale, une étude récente montre que les métaux d’alliage de fer et d’acier sont ceux utilisés le plus longtemps, environ 150 ans en raison de leur longue durée de vie. Par contre, le grand groupe de métaux spécifiques aux technologies de pointe (lithium, cobalt, terres rares…) dont certains considérés donc comme critiques – ne sont utilisés que durant une décennie en moyenne, et même moins d’un an pour certains (gallium utilisé en imagerie médicale par exemple). Au rythme actuel de production le lithium par exemple selon McKinsey, USGS, DERA, durait 400 ans, le magnésium 307 ans, le cobalt 57 ans, le cuivre 37 ans, le nickel 35 ans, l’argent 21 ans, le bore 40 ans, le zinc 18ans, et le plomb 18 ans. Cependant, ces réserves minières, quelles qu’elles soient sont différentes d’une étude à l’autre, et ne sont pas infinies et vont tendre à s’épuiser inexorablement avec un coût d’exploitation plus important et de la diminution de la concentration en métal du minerai exploité, ce qui augmenterai le prix du métal. Certes, l’accès à l’eau et à l’énergie renouvelables sont deux éléments fondamentaux du développement durable et de la réduction des gaz à effet de serre. De cette hypothèse, l’eau est essentielle à la production d’électricité, à la production d’hydrogène (1 kg d’hydrogène a besoin de 16 kg d’oxygène pour bruler et de 9 litres d’eau pour être produit par électrolyse à un rendement de 60%), à l’extraction des combustibles fossiles ( non conventionnelle en particulier avec la fracturation hydraulique), et à l’emmagasinage d’énergie potentielle pouvant servir à faire fonctionner les centrales hydroélectriques, à refroidir les turbines et pour produire et transformer les biomasses afin de répondre à l’industrie des biocarburants.
Les atouts de l’économie circulaire
En revanche, le recyclage de ces matériaux est plus qu’un atout environnemental, il est à même de fournir une contribution importante à l’économie tout en réduisant la consommation de ressources primaires, le recyclage actuellement ne dépasse pas 10 % en moyenne de la production (18 métaux sont recyclés à plus de 50 %, 3 à plus de 25 %, 3 à plus de 10°%, tous les autres bien en deçà).
In fine, les matériaux critiques renforcent l’efficacité des technologies de l’énergie tout au long de la chaine de valeur, de la production à l’usage final, mais ces matériaux critiques doivent être obtenus de manière à ne pas nuire aux conditions sociales et environnementales, et que le patrimoine naturel et culturel sera désormais préservé. Les activités minières ont divers impacts environnementaux négatifs, ils peuvent réduire la biodiversité, produire des émissions de gaz à effet de serre et contaminer l’eau et le sol. L’usage optimal et durable des sols, dont une partie pourrait être dédiée aux biocarburants, mérite une attention particulière pour ne pas créer de rareté des sols agricoles et éviter une compétition entre les surfaces dédiées à l’alimentation et celles utilisées pour les cultures industrielles. En outre, les ressources minérales, dites épuisables, peuvent donc être considérées comme inépuisables à l’horizon d’un siècle en raison de nouvelles découvertes et innovations, étant donné que certaines ressources renouvelables essentielles et les milieux qui les supportent, tels que les sols, les forêts primaires, l’océan, l’atmosphère, sont aujourd’hui partiellement détruits par dépassement de leur capacité à recycler nos déchets. Ce qui engendre une destruction de la biodiversité, et entraîne des répercussions sur les habitudes d’utilisation de l’eau.
En outre, la promotion des technologies d’énergies renouvelables ne doit pas être vue comme une stratégie en soi. Il convient plutôt de la conjuguer à des plans qui favorisent l’utilisation plus efficace des ressources épuisables et hydriques, par contre les gouvernements peuvent jouer un rôle important pour catalyser les technologies minières en mobilisant des financements à soutenir les recherches et développements relatives, pour trouver d’autres ressources dont les réserves sont considérables, et exciter les acteurs du marché afin de réajuster l’équation offre-demande en créant des procédures réglementaires plus efficaces qui permettront à l’industrie minière de réagir plus efficacement aux augmentations inattendues et soudaines de la demande, en plus effectuer un suivi de la mesure dans laquelle l’accès amélioré aux ressources énergétiques permet de rationaliser autrement ces ressources épuisables.