Culture

La pièce « Ech’Chabih » présentée au TNA: Une dystopie qui relance le débat sur l’éthique à l’ère de l’IA

La scène algéroise vibre d’une nouvelle création audacieuse qui bouleverse les codes du théâtre contemporain.  Samedi soir, dans l’écrin prestigieux du Théâtre national Mahieddine-Bachtarzi (TNA), « Ech’Chabih » (le sosie) a dévoilé sa première représentation devant une salle conquise. Cette production nationale, fruit de la collaboration entre le metteur en scène Aissa Djekati et l’auteur Mustapha Bouri, s’inscrit dans un contexte où l’Algérie, comme le reste du monde, s’interroge sur sa relation avec les nouvelles technologies.

Dans un pays où le taux de pénétration des smartphones atteint des sommets et où la jeunesse est de plus en plus connectée, cette création résonne comme un électrochoc théâtral. L’histoire nous plonge dans les méandres d’une expérience scientifique qui tourne au cauchemar : un chercheur en intelligence artificielle, pris dans l’ivresse de l’innovation, crée secrètement son double numérique. Mais quand ce sosie high-tech se met à commettre des crimes en série, notre Prométhée moderne se retrouve face à un abîme juridique et moral vertigineux. Comment prouver son innocence quand votre clone parfait laisse vos empreintes sur chaque scène de crime ?

La mise en scène d’Aissa Djekati transforme cette intrigue en une expérience sensorielle totale. Les chorégraphies signées Aissa Chouat métamorphosent les comédiens en inquiétants androïdes, leurs mouvements mécaniques devenant une métaphore glaçante de notre propre déshumanisation. La troupe, composée d’une quinzaine d’artistes dont les talentueux Hadjla Khelladi, Fouzia Brahimi et Toufik Rabhi, navigue avec brio entre différents registres théâtraux, du réalisme glaçant à l’expérimental le plus audacieux. Dans ce spectacle de 70 minutes, la scénographie de Mohamed Laïd Hallis joue un rôle crucial. Son laboratoire futuriste, fait de blocs mobiles transpercés par des faisceaux lumineux multicolores, devient un personnage à part entière. Les circuits imprimés et plaques électroniques qui tapissent le décor transforment la scène en cathédrale technologique où se joue le destin de l’humanité. Les costumes de Mustapha Chaïb complètent cette vision cauchemardesque, habillant les personnages d’une modernité qui les déshumanise progressivement. L’ambiance sonore, véritable prouesse technique signée Zakari Bensaleh, enveloppe le spectateur dans une atmosphère où se mêlent nappes électroniques planantes et rythmiques saccadées. Cette partition sonore sophistiquée souligne chaque transformation des personnages en automates, amplifiant l’angoisse d’une humanité qui perd pied face à ses créations. « Ech’Chabih » transcende le simple divertissement pour devenir un manifeste contre les dérives technologiques de notre époque. La pièce pointe du doigt l’addiction croissante aux écrans dans la société algérienne, où de plus en plus de parents utilisent tablettes et smartphones comme baby-sitters numériques. C’est un avertissement sans concession sur les dangers d’une intelligence artificielle qui pourrait échapper à tout contrôle, thème particulièrement pertinent alors que l’Algérie développe son écosystème numérique. Le final, d’une puissance dramatique rare, voit tous les personnages succomber à la mécanisation, laissant le chercheur seul témoin humain de sa propre apocalypse digitale. Cette image forte résonne comme un écho aux débats actuels sur l’éthique de l’intelligence artificielle et notre dépendance croissante aux technologies. Face à cette dystopie théâtrale magistralement orchestrée, le public algérois n’est pas resté indifférent. Les applaudissements nourris qui ont conclu la représentation témoignent de la résonance profonde de cette œuvre avec les préoccupations contemporaines. « Ech’Chabih » s’impose ainsi comme une création majeure du théâtre algérien moderne, mêlant avec brio divertissement et réflexion sociale, technique théâtrale traditionnelle et innovation scénique.

Mohand Seghir

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