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Algérie-France: va-t-on vers la rupture ?

Les relations entre l’Algérie et la France viennent d’entrer dans une phase de tension sans précédent depuis l’indépendance algérienne en 1962. L’arrestation à Paris, le vendredi 12 avril, de trois ressortissants algériens, dont un agent consulaire, a déclenché une crise diplomatique majeure entre les deux pays. Cette opération a provoqué une réaction immédiate et ferme d’Alger qui a décidé d’expulser douze fonctionnaires de l’ambassade française en Algérie dans un délai de 48 heures.

L’Agence France presse qui se réfère à des sources diplomatiques a indiqué hier que 12 agents consulaires français à Alger, liés au ministère français de l’Intérieur, ont été sommés de quitter le territoire algérien. Et contrairement à la réserve affichée par Alger inhérente au traitement des questions diplomatiques sensibles, Paris fait dans la surenchère politique. Le chef de la diplomatie française, Jean Noël Barrot a confirmé cette expulsion, mais il a aussi menacé d’une riposte.

Cette escalade diplomatique intervient paradoxalement après une période d’apaisement entre les deux pays. Une récente conversation téléphonique entre les présidents Tebboune et Macron, suivie de la visite du ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot à Alger, avait laissé entrevoir une « nouvelle phase » dans les relations bilatérales. Ces efforts semblent aujourd’hui réduits à néant par ce que plusieurs observateurs considèrent comme une manœuvre politique orchestrée par le ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau.

Pour rappel, l’ambassadeur de France en Algérie, Stéphane Romatet, a été convoqué samedi au ministère des Affaires étrangères algérien où le Secrétaire général, Lounès Magramane, lui a signifié « la vive protestation de l’Algérie » face à cette nouvelle cabale française. Le communiqué officiel du MAE souligne plusieurs points clé, tant sur la forme que sur le fond.

Sur le plan procédural, Alger dénonce vigoureusement le fait que « l’agent consulaire a été arrêté en pleine voie publique puis placé en garde à vue sans notification par le canal diplomatique ». Cette méthode constitue, rappellent les autorités, une « flagrante contravention aux immunités et privilèges rattachés à ses fonctions près le Consulat d’Algérie à Créteil ainsi qu’à la pratique prévalant en la matière entre l’Algérie et la France ».

Quant au fond de l’affaire, le département d’Ahmed Attaf critique sévèrement « la fragilité et l’inconsistance de l’argumentaire vermoulu et farfelu invoqué par les services de sécurité du Ministère de l’Intérieur français ». Alger s’indigne que cette « cabale judiciaire inadmissible » repose uniquement sur le fait que « le téléphone mobile de l’agent consulaire inculpé aurait borné autour de l’adresse du domicile de l’énergumène Amir Boukhors », soulignant ainsi la fragilité du dossier sur lequel repose cette opération tout à fait inadmissible.

Cette violation des conventions diplomatiques internationales est d’autant plus grave qu’elle contrevient aux principes fondamentaux qui régissent les relations entre États souverains. Les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques (1961) et consulaires (1963) établissent clairement les protections dont bénéficient les agents diplomatiques et consulaires. Ces textes prévoient notamment l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité de la personne du diplomate, qui ne peut être soumis à aucune forme d’arrestation ou de détention.

L’Algérie elle-même a démontré son respect pour ces principes, lorsque les autorités algériennes ont eu des soupçons sur les activités du consul général du Maroc à Oran, Mohammed Sefiani. Elles n’ont pas procédé à son arrestation malgré le fait que « ses comportements suspects étaient incompatibles avec la nature de ses fonctions » et constituaient « une violation des lois algériennes en vigueur dans ce domaine et des lois et coutumes internationales pertinentes ». Au lieu de cela, l’Algérie s’est contentée de le déclarer persona non grata, lui donnant 48 heures pour quitter le territoire national, conformément aux usages diplomatiques. Cette attitude responsable illustre le respect de l’Algérie pour les conventions internationales, même lorsque les activités du diplomate concerné « menaçaient la sécurité nationale du pays ».

Retailleau relance sa charge contre l’Algérie

Les récents évènements poussent d’ailleurs à s’interroger sur les motivations réelles de Bruno Retailleau, qui ne peut en aucun cas ignorer le droit et la gravité de ses actes à ce niveau de responsabilité. En tout état de cause, le ministre français de l’Intérieur trouve dans cette nouvelle crise qu’il a provoquée une nouvelle occasion de reprendre sa campagne pour la présidence des Républicains en prévision des présidentielles de 2027. Bruno Retailleau a d’ailleurs été invité dimanche sur LCI pour se relancer sur ses thèmes de campagne préférés, soit l’immigration et surtout relancer sa charge contre l’Algérie avec de graves accusations à peine voilées, après avoir été écarté du dossier par le président français Emmanuel Macron.

Cette instrumentalisation politique d’un dossier diplomatique sensible est dénoncée par plusieurs personnalités politiques françaises, dont le député de La France Insoumise Éric Coquerel. Intervenant lundi dans l’émission « Bonjour ! La matinale TF1 », ce dernier a exprimé ses soupçons concernant les motivations du ministre de l’Intérieur : « On peut se demander si ce n’est pas Bruno Retailleau qui essaie de reprendre le dossier en main alors qu’il avait été heureusement cornérisé par le président de la République ». Le député a également souligné que la réaction algérienne était parfaitement prévisible : « Il était évident qu’à partir du moment où on arrêtait trois membres de l’ambassade d’Algérie, il y aurait des représailles. »

Cette analyse est partagée par de nombreux observateurs des relations franco-algériennes, qui voient dans cette affaire la main d’un « lobby de l’extrême droite » et des nostalgiques de « l’Algérie française ». Ces forces politiques cherchent systématiquement à torpiller tout rapprochement entre Paris et Alger, en recourant à des provocations sans précédent qui contraignent l’Algérie à adopter des mesures de rétorsion pour maintenir une relation fondée sur l’égalité et la réciprocité.

L’affaire du consulaire algérien n’est pas sans rappeler d’autres incidents diplomatiques où des pays occidentaux, pourtant attachés au respect du droit international, ont su faire preuve de retenue et de respect des conventions, même dans des circonstances dramatiques. Dans le cas présent, les autorités françaises auraient pu, si elles estimaient avoir des griefs légitimes, déclarer le diplomate algérien « persona non grata » et exiger son départ, sans procéder à une arrestation aussi spectaculaire que contraire aux usages diplomatiques. Cette option, plus respectueuse du droit international, aurait évité une crise d’une telle ampleur.

La situation actuelle place les relations algéro-françaises à la croisée des chemins. Deux scénarios semblent désormais possibles : soit les efforts diplomatiques réussissent et le président Macron parvient à s’affranchir définitivement de l’influence du ministre Retailleau pour contenir la crise et trouver des solutions satisfaisantes pour toutes les parties, soit la tension continue de s’aggraver, pouvant conduire à une rupture définitive des relations entre les deux pays. En attendant, c’est l’ensemble des relations algéro-françaises qui se trouve otage de cette surenchère politique et des ambitions personnelles d’un homme qui s’affirme comme le porte-voix de facho-sphère et des lobbies anti algériens en France.

Salim Amokrane

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