Le ministre de la Culture souligne le legs de la défunte Badi Lalla: Un dernier hommage à l’icône du Tindi
C’est une page importante de l’histoire culturelle algérienne qui se tourne avec la disparition de Badi Lalla Bent Salem, doyenne du chant targui et figure emblématique du patrimoine immatériel du Grand Sud algérien. Décédée lundi à l’hôpital de Tizi-Ouzou à l’âge de 88 ans après une longue maladie, l’artiste a été inhumée mardi au cimetière-Est du quartier Tahaggart à Tamanrasset, sa ville natale, en présence d’une foule considérable venue rendre un dernier hommage à cette grande dame de la culture algérienne.
L’émotion était palpable lors des obsèques auxquelles a assisté le ministre de la Culture et des Arts, Zohir Ballalou, dépêché par le Président Abdelmadjid Tebboune pour présenter les condoléances officielles de l’État à la famille de la défunte. Le message présidentiel, remis par le ministre au domicile familial de l’artiste au quartier Tahaggart, témoigne de la reconnaissance nationale envers cette figure tutélaire : « C’est avec une immense tristesse que j’ai appris la nouvelle de la disparition de l’artiste Badi Lalla, une des voix emblématiques de la riche culture nationale, et qui a grandement contribué, avec son talent et sa créativité, à la promotion du legs musical et son rayonnement sur la scène mondiale de l’art lyrique du Tindi de la région de l’Ahaggar, » a écrit le chef de l’État, avant de prier « Allah le tout-puissant d’entourer la défunte de sa miséricorde, de l’accueillir dans son vaste paradis et d’accorder à sa famille et proches patience et réconfort. »
Le ministre Ballalou a souligné l’importance du legs artistique de la défunte, affirmant qu’elle « a laissé un riche héritage éternel et une école de l’art du Tindi, tout comme elle a agi en toute intelligence, patriotisme et engagement et a jeté une passerelle entre l’art traditionnel et moderne. » Il a également exprimé sa « fierté de cette icône et de tout l’art qu’elle lègue, elle qui fut l’ambassadrice de l’Algérie véhiculant un message d’amour de la patrie ainsi qu’un message de l’art algérien authentique. » Le représentant gouvernemental s’est engagé à « œuvrer à la préservation de ce legs culturel et à le numériser et le diffuser à échelle nationale et internationale, » une promesse qui résonne comme un hommage institutionnel au travail de toute une vie consacrée à la sauvegarde d’un patrimoine ancestral.
Née dans un milieu modeste, Badi Lalla s’était initiée au Tindi dès l’âge de 10 ans, comme elle l’avait confié lors d’un entretien enregistré en 2023, cité par Ghizlane Fatna, cadre à l’Office du parc culturel national de l’Ahaggar (OPCNA) et chercheur dans le domaine du patrimoine immatériel. Cette passion précoce ne l’a jamais quittée, l’artiste ayant consacré sa vie entière à la valorisation de cet art traditionnel. « Elle a continué à valoriser cet art jusqu’à son dernier souffle, » témoigne Mme Ghizlane, soulignant l’engagement sans faille de la cantatrice. Le Tindi, genre musical emblématique de la culture touarègue, a trouvé en Badi Lalla sa plus fervente ambassadrice. Accompagnant sa musique de textes interprétés en langue Imouhag, l’artiste a su porter ce patrimoine immatériel bien au-delà des frontières de l’Ahaggar, participant à de nombreuses manifestations culturelles tant nationales qu’internationales. Sa contribution à la préservation de ce legs séculaire est inestimable, comme le souligne Ahmed Karzika, membre de l’association socioculturelle pour la dynamisation de la société civile : « La défunte doyenne du Tindi s’est jalousement attachée à la culture et au patrimoine immatériel de la région, qu’elle laissait transparaître à travers la musique Tindi et une production lyrique chantant, entre autres, le Sahara et ses secrets, ainsi que le dromadaire en tant que monture de l’homme targui. »
La poésie de Badi Lalla transcendait le simple divertissement pour devenir un vecteur de transmission culturelle, abordant des thèmes profondément ancrés dans les traditions touarègues : la femme, la paix, le désert enchanteur et les coutumes ancestrales de cette région du Grand Sud algérien. Fidèle à ses racines, elle était également « très attachée à l’habit traditionnel de la région, » comme le rappelle le journaliste et membre associatif Abderrazak Hadji, qui évoque une artiste « aimée et respectée par tous, » véritable « trait d’union et de communication entre les artistes de cette région du Grand Sud. »
La notoriété de Badi Lalla, qui a largement dépassé les frontières nationales, témoigne de l’universalité de son art et de la puissance évocatrice du Tindi lorsqu’il est porté par une voix authentique et passionnée. Modèle de préservation du patrimoine culturel local, la défunte incarne cette résistance culturelle face à l’uniformisation des pratiques artistiques, ayant su maintenir vivace une tradition séculaire tout en lui permettant de dialoguer avec la modernité. Sa disparition crée un vide immense dans le paysage culturel algérien, particulièrement pour la communauté touarègue dont elle portait fièrement les valeurs et les traditions. Mais l’héritage laissé par cette grande dame du Tindi perdurera à travers ses enregistrements, ses enseignements et l’influence considérable qu’elle a exercée sur les nouvelles générations d’artistes. La promesse du ministère de la Culture de numériser et diffuser son œuvre constitue également un espoir pour que la voix unique de Badi Lalla continue de résonner dans le désert de l’Ahaggar et bien au-delà, perpétuant ainsi la mémoire d’une artiste exceptionnelle qui aura consacré sa vie à célébrer et préserver l’âme musicale des Touaregs.
Mohand Seghir