80 ans après les massacres du 8 mai 1945: L’exigence de reconnaissance des crimes coloniaux français reste intacte
Quatre-vingts ans après les massacres du 8 mai 1945, qui ont fait plus de 45.000 martyrs dans le Nord-Constantinois, l’exigence de reconnaissance par la France de ses crimes coloniaux reste plus que jamais d’actualité. « La France doit reconnaître les massacres qu’elle a commis en Algérie, en mai 1945, mais aussi tout au long des 132 années d’occupation de notre pays, c’est-là notre crédo », a souligné le président de la Fondation du 8-Mai 1945, Abdelhamid Salakdji, dans un entretien accordé à l’APS à l’occasion de la commémoration de la Journée nationale de la Mémoire. Ces massacres, qualifiés de génocide par des historiens et experts, constituent l’une des pages les plus sombres de l’histoire coloniale française en Algérie et ont marqué un tournant décisif dans la prise de conscience nationale. Ce jour-là, alors que l’Europe célébrait dans l’euphorie la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie, des milliers d’Algériens manifestaient pacifiquement pour réclamer l’indépendance et rappeler à la France ses promesses envers ceux qui avaient contribué à sa protection pendant la Seconde Guerre mondiale. Selon les témoignages et documents d’archives, la marche pacifique organisée par les Amis du Manifeste et de la Liberté (AML) de Ferhat Abbas s’est transformée en bain de sang lorsque le jeune Bouzid Saâl, refusant de baisser le drapeau algérien, a été abattu par la police française. Ce fut le début d’une répression sauvage et méthodique qui s’est étendue sur plusieurs semaines à Sétif, Guelma, Kherrata et leurs régions environnantes. Le gouvernement provisoire du général De Gaulle a décrété la loi martiale, déployé l’aviation militaire pour bombarder des douars entiers et ordonné des exécutions sommaires. « Ces massacres de masse perpétrés il y a 80 ans, qui demeurent une page noire de l’histoire de France, ont constitué le crime de trop puisqu’un peu plus de 9 ans plus tard, le souffle de Novembre balaiera notre pays et fera rugir nos montagnes », a rappelé M. Salakdji.
Crime contre la mémoire
La décision du président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, d’instituer le 8 mai comme Journée nationale de la Mémoire revêt une symbolique et des significations d’une importance capitale. Elle traduit l’engagement de l’État algérien à traiter le dossier de la Mémoire nationale de manière « objective, audacieuse et équitable envers la vérité historique », comme l’a affirmé le président Tebboune, qui a placé ce dossier « au centre des préoccupations de l’État » et l’a qualifié d' »imprescriptible qui ne tombe pas dans l’oubli et ne tolère ni concession ni compromis ». Ce 8 mai 2025, à l’occasion du 80ème anniversaire de ces événements tragiques, la Direction générale des Archives nationales organise une conférence sur « Les crimes du colonialisme français en Algérie de 1830 à 1962 à travers les archives » au niveau du Centre des Archives nationales d’Alger et dans l’ensemble des 58 wilayas du pays. Des historiens issus de diverses universités nationales animeront des débats sur plusieurs thématiques, notamment « Les campagnes d’extermination », « Les actes génocidaires », « Les crimes économiques et sociaux », « La politique d’exclusion et de famine imposée aux Algériens », « Les crimes de guerre » et « Les essais nucléaires dans le sud algérien ». Ces manifestations s’inscrivent dans le cadre des efforts déployés par l’Algérie pour préserver sa mémoire collective et faire face aux tentatives persistantes des autorités françaises de taire, voire de falsifier la vérité historique concernant la période coloniale.
Le blackout exercé par l’État français à l’égard de ces massacres constitue en lui-même un crime contre la mémoire et la vérité. Des historiens estiment que le nombre réel de martyrs dépasserait largement les chiffres officiels, d’autant plus que la France a détourné les archives algériennes et promulgué des lois protégeant les auteurs de crimes coloniaux et restreignant l’accès aux documents d’archives. Face à cette situation, la devise de la Fondation du 8-Mai 1945, « Afin que nul n’oublie », prend tout son sens. Le président de la Fondation a d’ailleurs lancé un appel aux jeunes pour « resserrer leurs rangs et se ranger autour du président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, qui les place en tête de ses priorités, pour protéger nos richesses et faire front contre les menaces qui pèsent sur notre pays ». Quatre-vingts ans après ces événements tragiques, le drapeau pour lequel le chahid Saâl Bouzid a sacrifié sa vie continue de flotter haut, symbole de la Révolution du 1er novembre 1954 et témoignage de la fidélité des générations successives au serment des chouhada. La reconnaissance par la France de ses crimes coloniaux en Algérie demeure un pas nécessaire vers une véritable réconciliation mémorielle entre les deux pays, fondée sur la vérité historique et la justice.
Salim Amokrane