Mali : La junte militaire durcit sa répression
Le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Türk, a appelé vendredi les autorités militaires maliennes à « abroger » le décret de dissolution des partis politiques, qualifié de « draconien ».
Cette mesure, adoptée mardi par la junte au pouvoir, s’inscrit dans un contexte de tension croissante alors que les militaires putschistes intensifient leur répression contre toute voix dissidente. M. Türk a également exhorté la junte à ne pas prolonger davantage la période de transition et à publier « sans délai » un calendrier électoral, conformément aux engagements initialement pris par les militaires de remettre le pouvoir aux civils en mars 2024. Le texte supprimant la Charte des partis a été voté le 12 mai par le Conseil national de transition (CNT), une instance dont les membres ont tous été nommés par les militaires arrivés au pouvoir après deux coups d’État successifs en 2020 puis en 2021. Cette décision, combinée à l’octroi d’un mandat présidentiel de cinq ans sans élections au général Assimi Goïta, a plongé le pays dans une grave crise politique. Une contestation inédite émerge désormais, réclamant notamment le retour à l’ordre constitutionnel à Bamako. Face à cette opposition, les putschistes ont eu recours à des méthodes répressives, incluant des enlèvements et des agressions d’hommes politiques.
« Au moins trois membres de l’opposition ont été arrêtés dans le pays sans informations sur les lieux où ils se trouvent », a fait savoir le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme. Il s’agit « des dernières victimes d’une série de disparitions forcées qui remonte au moins à 2021 », a-t-il précisé, exhortant la junte militaire à « libérer les personnes arrêtées pour des motifs politiques ». Pour le Haut-Commissaire, les lois limitant la participation politique « risquent de réduire au silence les voix dissidentes dans le pays et pourraient aggraver les problèmes plus généraux en matière de droits humains ». Il a appelé à cet effet, les putschistes à « protéger l’espace civique et garantir un environnement dans lequel chacun et chacune peut jouir de tous ses droits, y compris les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique ».La mobilisation du 3 mai à Bamako, organisée par les partis politiques pour dénoncer une éventuelle confiscation prolongée du pouvoir et réclamer le retour des civils, constitue un tournant. « Cette mobilisation est inédite. Elle a été la première du genre depuis que courent les cinq ans de transition. Il n’y a jamais eu de défiance aussi manifeste des partis politiques à l’égard du régime militaire », commente Fahiraman Rodrigue Koné, chef du projet Sahel de l’Institut d’études et de sécurité (ISS). Suite à cette manifestation, la junte a franchi un cap en dissolvant les partis politiques, interdisant désormais toute réunion des organisations à caractère politique. Plusieurs leaders de la contestation ont été ciblés : certains enlevés par des hommes cagoulés à Bamako, d’autres agressés ou contraints à l’exil. Me Mountaga Tall, figure de la classe politique malienne et ancien partisan de la junte devenu l’une des voix de la contestation, a déclaré à l’AFP : « Cette décision est anticonstitutionnelle ! Nous ne l’acceptons pas (…) Aucune menace d’atteinte à mon intégrité physique ou morale n’y changera rien. » La dissolution des partis politiques émane d’une « concertation nationale » organisée par la junte fin avril, largement boycottée par la plupart des formations politiques mais marquée par une forte présence des soutiens du régime. Cette rencontre avait également proposé de proclamer, sans élection, le chef de la junte, le général Assimi Goïta, comme président de la République pour un mandat de cinq ans renouvelable, potentiellement jusqu’en 2030. « La dissolution des partis politiques et des autres mesures de restriction civique marquent la volonté de créer un espace politique apaisé pour les cinq ans de gouvernance envisagée pour le général Assimi Goïta qui devra porter jusqu’au bout le projet de la Refondation », explique Fahiraman Rodrigue Koné. Cette situation fait écho à celle des pays voisins, le Niger et le Burkina Faso, également dirigés par des juntes militaires arrivées au pouvoir entre 2020 et 2023. Ces trois pays forment désormais la confédération de l’Alliance des États du Sahel (AES), où les partis politiques sont respectivement dissous et suspendus, et où les régimes militaires pourraient également prolonger leur maintien au pouvoir.
Lyes Saïdi