Algérie-France : Le début de la rupture !
La crise diplomatique qui secoue les relations algéro-françaises depuis plusieurs mois vient de franchir un seuil critique avec les décisions unilatérales d’Emmanuel Macron.
Dans une lettre adressée à son Premier ministre le 6 août, le président français annonce la suspension de l’accord de 2023 et des visas de type D pour tous les demandeurs algériens et menace d’entraîner l’espace Schengen dans cette escalade. Une provocation de trop qui a provoqué une riposte ferme et souveraine d’Alger, confirmant les avertissements prophétiques du président Tebboune qui avait mis en garde contre une « séparation qui pourrait devenir irréparable » dans une interview au journal L’Opinion en février dernier. La réponse algérienne ne s’est pas fait attendre. Le Chargé d’Affaires de l’ambassade de France en Algérie a été convoqué jeudi au ministère des Affaires Étrangères, où deux notes verbales lui ont été remises, marquant une escalade assumée dans la défense des intérêts nationaux. La première dépasse largement la simple suspension française en dénonçant purement et simplement l’Accord algéro-français de 2013 relatif à l’exemption réciproque des visas pour les titulaires de passeports diplomatiques et de service. Cette dénonciation, qui « va plus loin que la simple suspension notifiée par la partie française », met « définitivement un terme à l’existence même de cet accord », précise le communiqué du MAE. Une décision qui illustre parfaitement les postures algériennes face aux tentatives de pression et qui démontre la volonté d’Alger de ne plus revenir à cet accord.
Cette riposte illustre parfaitement la détermination algérienne exprimée par le président Tebboune dans sa on interview du mois de février où il dénonçait un « climat délétère ». Le chef de l’État avait alors prévenu qu’une menace de « séparation qui deviendrait irréparable » planait sur les relations bilatérales, appelant Paris à faire le premier pas. En conséquence de la dénonciation de l’accord, et avec effet immédiat, les titulaires de passeports diplomatiques et de service français sont désormais soumis à l’obligation de visas. Plus encore, l’Algérie se réserve le droit de soumettre l’octroi de ces visas aux mêmes conditions que celles imposées par Paris aux ressortissants algériens. Il s’agit là d’une « stricte application du principe de réciprocité qui exprime, avant tout, le rejet par l’Algérie des velléités françaises de provocation, d’intimidation et de marchandage », souligne le MAE avec une fermeté qui ne laisse place à aucune ambiguïté. La seconde note verbale frappe encore plus fort en s’attaquant aux privilèges immobiliers dont jouit la France sur le territoire algérien. Alger annonce la fin de la mise à disposition gratuite de biens immobiliers appartenant à l’État algérien au profit de l’ambassade de France, ainsi que le réexamen des baux « considérablement avantageux » contractés avec les OPGI d’Algérie. Cette décision invite « la partie française à dépêcher une délégation à Alger pour entamer les discussions à ce sujet ». Une mesure d’autant plus significative que « la représentation diplomatique algérienne en France ne bénéficie d’aucun avantage de cette même nature », rappelle le ministère, introduisant ainsi « l’équilibre et la réciprocité dans la relation algéro-française globale ». Cette riposte diplomatique s’accompagne d’un démontage méthodique et implacable des accusations françaises. Dans un communiqué détaillé de plusieurs pages, le MAE algérien démontre que la lettre française « exonère la France de l’intégralité de ses responsabilités et fait porter tous les torts à la partie algérienne », alors que « rien n’est plus loin de la vérité et de la réalité ». Les autorités algériennes rappellent que « dans toutes ses phases, la crise actuelle a régulièrement donné lieu à des communiqués officiels du ministère algérien des Affaires étrangères » qui ont « systématiquement établi les responsabilités dans l’escalade » et révèlent que les réactions algériennes s’inscrivaient « strictement et rigoureusement dans le cadre de l’application du principe de réciprocité ».
Le MAE enfonce le clou en démontrant que « la lettre s’emploie à projeter de la France l’image d’un pays hautement soucieux du respect de ses obligations bilatérales et de l’Algérie celle d’un État en violation continue des siennes », alors que « là également rien n’est plus éloigné de la vérité et de la réalité ». Le communiqué établit avec une précision chirurgicale que « c’est la France qui a contrevenu à sa propre législation interne » et qui « a manqué au respect de ses engagements au triple titre de l’accord algéro-français de 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles, de la convention consulaire algéro-française de 1974 et de l’accord algéro-français de 2013 relatif à l’exemption des visas pour les détenteurs de passeports diplomatiques et de service ».
Plus grave encore, le MAE accuse la France de s’être « donnée pour seule et unique objet de fixation l’accord algéro-français de 1994 relatif à la réadmission des ressortissants algériens vivant en situation irrégulière en France, accord dont elle a dénaturé la raison d’être et détourné les objectifs véritables ». Paris s’est également « affranchie de ses devoirs contractés au titre de la convention européenne des droits de l’homme de 1950 ». L’ensemble de ces manquements français n’ont eu « pour but que de passer outre le respect des droits acquis des ressortissants algériens éloignés souvent arbitrairement et abusivement du territoire français, leur privation des possibilités de recours administratifs et judiciaires que leur garantit pourtant la législation française elle-même et de vider de tout contenu le devoir de protection consulaire de l’État algérien à l’égard de ses ressortissants en tous lieux et en tout temps ». Sur la gestion de cette crise, le MAE algérien est particulièrement sévère, rappelant que « la France, dès la survenance de cette crise de son propre fait, a posé sa gestion en termes de rapports de force » et qu’elle « a procédé par injonctions, ultimatums et sommations ». « C’était ignorer, bien légèrement, que l’Algérie ne cède pas à la pression, à la menace et au chantage quels qu’ils soient », martèle le communiqué avec une fierté souveraine assumée.
Concernant l’accord de 2013, Alger rappelle avec force qu’elle « n’a été historiquement à l’origine d’aucune demande de conclusion d’un accord bilatéral d’exemption de visas au profit des titulaires de passeports diplomatiques et de service » et qu’à « maintes reprises, c’est la France, et elle seule, qui a été à l’origine d’une telle demande ». En décidant la suspension de cet accord, « la France offre à l’Algérie l’opportunité idoine d’annoncer, quant à elle, la dénonciation pure et simple de ce même accord ».
Sur la question cruciale du « levier visa-réadmission », le gouvernement algérien constate que ce mécanisme est « en flagrante violation de l’accord algéro-français de 1968 et de la convention européenne des droits de l’homme de 1950 ». Face à cette escalade, Alger promet que « la protection consulaire de l’Algérie à l’égard de ses ressortissants en France sera sans faille » et qu’elle « les aidera à faire valoir leurs droits et à faire respecter tout ce que les législations française et européenne leur garantissent comme défense contre l’abus et l’arbitraire ».
La petitesse d’une approche assise sur les visas
Le MAE règle également ses comptes sur la question des accréditations diplomatiques, révélant que « la lettre du Chef de l’État français à son Premier ministre fait une présentation biaisée de la problématique des accréditations du personnel diplomatique et consulaire dans les deux pays ». Depuis plus de deux années, « c’est la France qui a pris l’initiative de ne pas accorder les accréditations en question au personnel consulaire algérien, dont trois Consuls Généraux et cinq Consuls ». L’Algérie n’a fait qu’appliquer le principe de réciprocité et précise que « dès lors que les entraves françaises seront levées, l’Algérie répondra par des mesures similaires ».
L’impact de ces décisions dépasse largement le cadre diplomatique pour toucher directement les relations humaines et économiques entre les deux pays. La suspension des visas D pénalise particulièrement les étudiants et les familles, transformant des millions d’Algériens résidant légalement en France en otages d’une politique de chantage indigne. Cette instrumentalisation de la diaspora révèle la petitesse d’une approche qui sacrifie les liens humains séculaires sur l’autel de calculs électoralistes, à l’approche des municipales de 2026 et de la présidentielle de 2027.
Sur le plan économique, cette crise menace des échanges commerciaux qui représentent des milliards d’euros et des milliers d’emplois des deux côtés de la Méditerranée. L’Algérie, premier fournisseur de gaz de la France et partenaire économique majeur, dispose de tous les leviers pour faire comprendre à Paris que les relations ne peuvent être à sens unique. La décision de réexaminer les avantages immobiliers accordés à la France n’est qu’un début dans cette logique de rééquilibrage.
Aussi, la naïveté de la tentative macronienne d’entraîner l’espace Schengen dans cette querelle bilatérale révèle une méconnaissance profonde des réalités européennes. Chaque pays de l’Union défend ses intérêts propres, et nombreux sont ceux qui entretiennent d’excellentes relations avec l’Algérie, notamment l’Allemagne et l’Italie. L’Espagne, confrontée aux mêmes défis migratoires, a choisi la coopération plutôt que la confrontation. Cette tentative d’européanisation d’un conflit franco-algérien risque fort de se heurter aux réalités géopolitiques et économiques du continent.
En conclusion de son communiqué, le MAE algérien annonce que « l’Algérie entend, elle-aussi, saisir, par la voie diplomatique, la partie française d’autres contentieux devant faire l’objet d’une même recherche de règlements », laissant présager d’autres révélations sur les manquements français. Cette fermeté souveraine contraste avec l’approche française fondée sur les rapports de force et démontre qu’Alger ne cédera pas aux pressions, confirmant les avertissements prémonitoires de Tebboune sur cette « séparation qui deviendrait irréparable ». Le temps du rapport de force assumé est venu, et l’Algérie a tous les atouts pour le gagner.
Salim Amokrane