La Banque d’Algérie fixe de nouvelles règles
La Banque d’Algérie vient de publier trois règlements qui modernisent en profondeur le cadre comptable et réglementaire applicable aux banques et établissements financiers algériens. Ces textes, adoptés le 24 juillet dernier par le Conseil monétaire et bancaire, entreront en vigueur après une période transitoire de 24 mois, marquant une évolution significative des pratiques bancaires dans le pays.
Les nouvelles règles s’appliquent notamment pour les opérations de change. Le règlement n° 25-06 publié dans la dernière livraison du journal officiel modernise des règles vieilles de trente ans et notamment en ce qui concerne le risque de change. Le nouveau règlement oblige désormais les banques à réévaluer toutes leurs positions en devises à chaque clôture de comptes, en utilisant les cours officiels publiés par la Banque d’Algérie. Cette transparence permet de mieux mesurer les gains ou les pertes liés aux variations monétaires. Pour les entreprises, cela signifie que leur banque aura une vision plus précise et actualisée de leur exposition au risque de change. Le texte introduit également la distinction entre opérations couvertes et non couvertes. Une opération couverte, c’est comme une assurance contre les variations de change. Les banques doivent maintenant comptabiliser différemment ces opérations sécurisées et celles qui restent exposées aux fluctuations. Cette distinction permettra aux autorités de mieux surveiller les risques que prennent les établissements financiers et, indirectement, leurs clients. Le règlement sur les opérations de change comporte aussi des implications pour les transferts d’argent courants. Les banques doivent désormais tenir des comptes séparés pour chaque devise, ce qui améliore la traçabilité. Quand vous retirez des euros de votre compte pour voyager ou pour payer un fournisseur étranger, la banque enregistre cette opération dans un système qui distingue clairement les mouvements en dinars et ceux en devises étrangères. Pour les succursales algériennes à l’étranger, le règlement prévoit que leurs dotations en capital soient réévaluées régulièrement selon les cours de change, avec les écarts enregistrés dans un compte spécial. Cela évite de fausser les résultats des banques quand les monnaies bougent fortement.
En ce qui concerne les opérations sur titres, qui sont les instruments financiers que les banques détiennent : obligations d’État, actions d’entreprises, bons du Tréso, il sont désormais régies par le règlement n° 25-05. Jusqu’à présent, les règles de comptabilisation dataient de 2009 et manquaient de précision. Le nouveau texte impose aux banques de classer leurs titres selon leur objectif réel. Cette distinction peut paraître technique, mais elle a des conséquences importantes. Prenons trois exemples concrets. Une banque achète des bons du Trésor qu’elle compte revendre rapidement pour profiter des variations de prix : ces titres sont classés en transaction et leur valeur est ajustée en permanence selon le marché, avec les gains ou pertes enregistrés immédiatement dans les comptes. La même banque achète des obligations d’entreprise qu’elle compte garder jusqu’à leur remboursement dans dix ans : ces titres sont enregistrés différemment, à leur coût d’achat ajusté progressivement, sans tenir compte des fluctuations quotidiennes du marché. Enfin, si la banque achète des actions dans une autre société pour créer un partenariat durable, ces titres de participation sont comptabilisés au prix d’achat et ne sont réévalués que si la société en question rencontre des difficultés.
Pourquoi ces distinctions importent-elles au-delà des banques elles-mêmes ? Parce qu’elles donnent une image plus fidèle de la santé financière des établissements. Si une banque détient beaucoup de titres classés en transaction, ses résultats vont beaucoup fluctuer selon les marchés financiers. Si elle privilégie les titres détenus jusqu’au remboursement, ses résultats seront plus stables mais elle sera moins flexible. Pour un épargnant qui choisit où placer son argent ou pour une entreprise qui cherche une banque solide, ces informations deviennent plus lisibles et comparables. Le règlement introduit aussi des règles strictes sur les dépréciations. Quand une entreprise qui a émis des obligations rencontre des difficultés financières, retarde ses paiements ou fait faillite, la banque qui détient ces titres doit immédiatement réduire leur valeur dans ses comptes. Le texte donne une liste précise de situations qui doivent déclencher cette dépréciation, incluant les impayés de plus de 90 jours. Cette vigilance protège les déposants en obligeant les banques à reconnaître rapidement leurs pertes potentielles.
Du nouveau pour les créances douteuses
Le troisième règlement, le n° 25-07, réorganise complètement le plan de comptes des banques. Le nouveau système comprend huit grandes catégories, depuis les opérations de trésorerie quotidiennes jusqu’aux engagements hors bilan qui n’apparaissent pas directement dans les comptes mais représentent des risques potentiels. Pour le grand public, l’impact le plus visible concerne la classification des comptes clients. Votre compte courant, votre compte épargne, votre crédit immobilier, chacun est maintenant rangé dans une catégorie précise avec des règles de comptabilisation adaptées. Les crédits sont distingués selon leur nature : crédit commercial pour financer des stocks, crédit d’équipement pour acheter des machines, crédit immobilier pour construire ou acheter un logement, crédit à la consommation pour les particuliers. Cette finesse permet aux autorités de surveiller quels types de crédits se développent et où se concentrent les risques.
Un aspect particulièrement important pour les entreprises concerne le traitement des créances douteuses. Le nouveau plan de comptes impose une classification en trois niveaux de gravité. Les créances à problèmes potentiels concernent des clients qui commencent à rencontrer des difficultés mais paient encore. Les créances très risquées impliquent des retards significatifs ou des signes clairs de fragilité. Les créances compromises sont celles où le remboursement semble improbable. Pour chaque niveau, la banque doit constituer des provisions, c’est-à-dire mettre de l’argent de côté pour absorber les pertes éventuelles. Cette gradation oblige les banques à agir progressivement plutôt que d’attendre la catastrophe. Une entreprise qui traverse des difficultés temporaires ne sera pas traitée comme une entreprise en faillite, mais la banque devra quand même reconnaître le risque accru.
Ces trois règlements entrent en vigueur après une période de transition de 24 mois, durant laquelle les banques doivent adapter leurs systèmes informatiques et former leurs équipes. Elles devront rendre compte deux fois par an de leurs progrès à la Commission bancaire. Cette supervision rapprochée vise à éviter les mauvaises surprises et à garantir que toutes les banques appliquent les mêmes règles au même moment. L’objectif final est de rapprocher les pratiques algériennes des standards internationaux, ce qui facilitera les comparaisons et renforcera la confiance dans le système bancaire algérien, tant pour les investisseurs étrangers que pour les citoyens et entreprises du pays.
Sabrina Aziouez