Culture

21 ans après sa disparition : Mohia, l’héritage culturel atemporel d’un artiste iconoclaste

21 ans après sa disparition, le poète et dramaturge Abdallah Mohia (1950-2004) continue d’irriguer la scène culturelle nationale par une œuvre multiforme qui transcende les époques. Mathématicien de formation devenu passeur de cultures, cet artiste atypique a révolutionné l’approche de la création en amazigh en faisant du langage accessible et de la comédie ses armes principales pour toucher le plus grand nombre.

À l’occasion des festivités commémoratives marquant le 21e anniversaire de la disparition d’Abdallah Mohia, survenue le 7 novembre 2004, le poète et dramaturge Noureddine Ait Slimane livre à l’APS un témoignage éclairant sur l’héritage d’un homme qu’il considère comme fondamental dans le paysage culturel algérien. Son analyse dessine le portrait d’un créateur hors norme dont l’influence continue de rayonner bien au-delà de son époque.

Rencontré à Tizi-Ouzou, Ait Slimane insiste d’emblée sur la singularité de celui qu’il refuse de conjuguer au passé. « Il était un personnage atypique, porteur de singularités au pluriel parmi ses contemporains en touchant, déjà, à l’ensemble des arts, mais aussi en étant clairement engagé et cohérent dans son travail, sa méthodologie et son message », souligne-t-il. Cette cohérence, précisément, structure toute l’œuvre de Mohia et explique sa résonance contemporaine. Pour le dramaturge, « il est inapproprié et même attentatoire à sa mémoire de parler de Mohia au passé tant son œuvre transcende l’espace temporel et s’impose toujours comme d’actualité de nos jours ». Une affirmation qui trouve son fondement dans la démarche même de l’artiste disparu.

Mathématicien de formation, Abdallah Mohia entreprend très tôt un projet culturel ambitieux : faire passer la culture amazighe de l’oralité à l’écrit par le biais de la lecture. Ait Slimane explicite cette démarche pédagogique : à travers son œuvre enregistrée, Mohia « incitait à la lecture et à l’ouverture sur le patrimoine universel en citant toujours la source de ses adaptations ». Cette rigueur intellectuelle, héritée sans doute de sa formation scientifique, distingue Mohia de nombre de ses contemporains. Loin de s’approprier les œuvres qu’il adapte, il en fait des ponts vers la culture universelle, transformant chaque cassette audio en invitation au voyage littéraire. Le choix des supports et des genres témoigne d’une stratégie culturelle mûrement réfléchie. « Mohia s’est donné les moyens adéquats en choisissant ses outils comme son terrain. Le choix était immense. Théâtre, poésie, nouvelles, il a touché à tout », rappelle Ait Slimane. Mais c’est surtout le choix de la cassette audio, média populaire des années 1980 et 1990, qui marque son projet. « Il a opté pour le moyen qui était alors à sa portée et à celle du public, identifié, auquel il s’adressait, l’enregistrement de cassettes dont le contenu était porteur d’autant d’interpellations et de défis », explique le poète dramaturge. Cette accessibilité du support se double d’une accessibilité du langage. Mohia refuse délibérément les postures élitistes pour s’adresser à la multitude dans un langage compréhensible par tous. « À ce moyen accessible, par lequel il voulait toucher un plus grand nombre et l’inciter à la lecture en citant toujours les grandes œuvres qu’il adaptait, il a également choisi de s’adresser à lui dans un langage tout aussi accessible pour la multitude en se détournant des postures élitistes », précise Ait Slimane.

La comédie constitue l’autre choix déterminant de Mohia, un choix qui révèle sa modernité. Selon Ait Slimane, l’artiste « s’était dit que tout pouvait être modelé dans la comédie ». Par le rire, Mohia fait passer des messages profonds, aborde des sujets graves, questionne la société. Le registre comique devient ainsi un vecteur de conscience critique, une arme de lucidité collective. Cette approche explique en partie la pérennité de son œuvre : l’humour, universel et intemporel, continue de parler aux générations successives.

La reconnaissance académique de l’œuvre de Mohia constitue aujourd’hui un indicateur de sa valeur patrimoniale. « Les innombrables travaux académiques et universitaires sur l’œuvre de Mohia sont autant d’éléments qui témoignent et imposent celle-ci comme un patrimoine intemporel et d’actualité », affirme Ait Slimane. Cette légitimation par l’institution universitaire contraste toutefois avec une certaine timidité des théâtres professionnels à l’égard de son répertoire dramatique. Le poète dramaturge lance d’ailleurs un appel pressant aux structures culturelles : il les exhorte à « accorder à cette œuvre, de portée universelle, davantage d’intérêt et de lui donner l’importance qu’elle mérite ». Né en 1950, Abdallah Mohia laisse derrière lui une production prolifique qui embrasse tous les genres : poésie, théâtre, chansons, nouvelles et textes littéraires divers. Cet éclectisme témoigne d’une créativité débordante mais aussi d’une vision globale de l’acte culturel. 

Mohand Seghir

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