Gaz naturel : Le GNL américain bouleverse les équilibres du marché
Le marché gazier mondial poursuit sa transformation profonde en cette fin d’année 2025, marqué par des dynamiques régionales divergentes et une volatilité persistante des prix. Selon les dernières données du dernier rapport mensuel du Forum des pays exportateurs de gaz, la croissance de la consommation mondiale devrait atteindre 1,5% sur l’ensemble de l’année, tandis que la production progresserait de 1,7%, largement tirée par l’Amérique du Nord. Cette croissance masque toutefois des réalités contrastées entre les grandes régions consommatrices. L’Europe affiche un recul marqué de sa consommation, en baisse de 2,6% en novembre pour s’établir à 33,8 milliards de mètres cubes. Cette diminution s’explique par une demande résidentielle atténuée et des besoins industriels réduits, malgré la vague de froid qui a touché le continent durant la troisième semaine du mois. Les stocks européens ont entamé leur phase de déstockage saisonnier avec un niveau moyen de 84 milliards de mètres cubes, soit 81% de leur capacité, nettement inférieur aux 95 milliards enregistrés un an auparavant. À l’inverse, les États-Unis enregistrent une hausse robuste de 3,7% de leur consommation, atteignant 79 milliards de mètres cubes, soutenue par les secteurs résidentiel et commercial, tandis que leurs réserves atteignent un pic annuel de 112 milliards de mètres cubes. La Chine, quant à elle, affiche une progression modeste de 0,6% en octobre avec 35,6 milliards de mètres cubes de demande apparente.
Du côté de la production, les États-Unis confirment leur statut de géant gazier avec une augmentation spectaculaire de 6,8% en novembre, pour atteindre 93,2 milliards de mètres cubes. Cette performance s’explique par des prix favorables sur le marché intérieur Henry Hub et par l’essor continu des exportations de gaz naturel liquéfié. L’Asie-Pacifique enregistre en revanche un recul de 1,1% en octobre, conséquence d’une production en berne chez plusieurs grands producteurs asiatiques, que la croissance chinoise ne parvient pas à compenser entièrement. L’Amérique latine et les Caraïbes offrent un tableau plus positif avec une hausse de 3,3%, portée par une production record au Brésil. Sur le plan industriel, l’Arabie saoudite a franchi une étape majeure avec le lancement de la production du champ gazier de Jafurah, le plus grand projet de gaz de schiste au monde hors des États-Unis. La dynamique des prix reflète ces déséquilibres. En Europe, les prix spot au TTF ont atteint une moyenne de 10,35 dollars par million de BTU en novembre, en baisse de 5% sur un mois et de 25% sur un an, avec des points bas quotidiens à 9,77 dollars, le niveau le plus faible depuis mai 2024. En Asie, les prix spot du GNL en Asie du Nord-Est se sont établis à 11,07 dollars, en hausse de 2% sur un mois mais toujours 21% inférieurs à l’année précédente. Aux États-Unis, le Henry Hub poursuit sa trajectoire ascendante avec une moyenne de 3,87 dollars, soit une augmentation de 22% sur un mois et de 78% sur un an. Les analystes anticipent un soutien des prix par des températures plus froides stimulant la demande de chauffage.
Les USA, premiers exportateurs mondiaux de GNL
C’est sur le front du commerce gazier que les bouleversements les plus spectaculaires s’observent. En novembre 2025, les importations mondiales de GNL ont maintenu une dynamique vigoureuse avec une progression de 14% sur un an, atteignant 38,2 millions de tonnes. L’Europe continue de tirer cette croissance, favorisée par la réduction des importations de gaz par pipeline et un écart de prix étroit entre les marchés spot européen et asiatique, qui en fait la destination privilégiée pour les cargaisons flexibles du bassin atlantique, notamment américaines. L’Asie-Pacifique et la région Moyen-Orient et Afrique du Nord enregistrent des gains plus modestes.
Du côté des exportations, les États-Unis ont franchi un cap historique avec plus de 100 millions de tonnes de GNL expédiées entre janvier et novembre 2025, consolidant définitivement leur position de premier exportateur mondial. Cette performance s’inscrit dans une trajectoire exceptionnelle : alors que le pays a commencé ses exportations de GNL en 2016 seulement, il a déjà ajouté 24 millions de tonnes de capacité de liquéfaction en 2025, portant le total à 116 millions de tonnes annuelles, soit 22% de la capacité mondiale.
L’ambition américaine ne s’arrête pas là. Pas moins de 105 millions de tonnes de capacité supplémentaire sont en cours de développement pour une mise en service entre 2026 et 2030, ce qui porterait la capacité totale à 221 millions de tonnes d’ici la fin de la décennie. Cette montée en puissance s’accompagne d’investissements massifs dans les infrastructures de transport : près de 200 milliards de mètres cubes de capacité de transmission devraient être mis en service en 2026, principalement dans la région du sud du pays, avec des projets majeurs comme le pipeline Rio Bravo de 220 kilomètres reliant le hub d’Agua Dulce à l’installation de Rio Grande, ou le pipeline Hugh Brinson de 640 kilomètres depuis le hub de Waha. Cette expansion reflète le retour d’une politique énergétique favorable aux hydrocarbures sous l’administration Trump, qui a levé le moratoire sur les nouvelles licences d’exportation dès janvier 2025, permettant à sept projets représentant 62 millions de tonnes de capacité d’obtenir leur décision finale d’investissement en 2025.
Samira Ghrib

