Culture

Industrie cinématographique : Un arsenal juridique pour structurer le secteur

De nouveaux décrets consacrent une approche industrielle et fixent les règles du jeu du financement public.

Le ministère de la Culture et des Arts ne cache pas son ambition : « faire passer le cinéma algérien d’un statut artisanal à celui d’une industrie structurée ». Les textes publiés dans la dernières livraison du Journal officiel traduisent cette volonté de mettre en place des mécanismes concrets, touchant toute la chaîne de valeur, de l’écriture du scénario à l’exploitation en salles. Le décret 25-313 revoit le mécanismes de financement du secteur en profond. Exit le Fonds national pour le développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographiques créé en 2015, qui diluait les moyens entre cinéma, arts et lettres. Place au compte d’affectation spéciale n°302-157, exclusivement dédié au « développement de la technique et de l’industrie cinématographiques ». Ce nouveau fonds, dont « l’ordonnateur est le ministre chargé de l’industrie cinématographique », centralise des ressources diversifiées : redevances sur les billets d’entrée, taxes sur les visas d’exploitation, quote-part de la taxe sur la publicité, dotations budgétaires, dons et legs. Côté dépenses, le texte prévoit « les aides destinées à la production, à la distribution, à l’exploitation et à l’équipement cinématographique », ainsi que des dotations aux établissements sous tutelle pour des opérations spécifiques.L’innovation majeure réside dans le cahier des charges annexé au décret, qui liste douze types d’opérations éligibles : production et coproduction de films, post-production, « écriture ou réécriture de scénarios », distribution, exploitation, promotion internationale, préservation du patrimoine par numérisation, infrastructures, modernisation des équipements, formation, et acquisition de droits. Une approche exhaustive qui reconnaît enfin la diversité des besoins du secteur.

Une commission indépendante aux pouvoirs étendus

Le décret 25-314 instaure le dispositif central du nouveau système : une commission d’aide composée de « treize membres, dont le président », tous « choisis pour leurs compétences dans les domaines du cinéma, de l’histoire, de la littérature et de la culture ». Nommés pour deux ans renouvelables une fois, ces experts doivent justifier « d’une expérience de dix ans au moins » et exercer « en toute neutralité et indépendance ».Le texte pose des garde-fous stricts. Les commissaires « ne doivent pas participer par des projets cinématographiques ou avoir de relation d’intérêt, directe ou indirecte, avec les postulants ». Ils sont « astreints à l’obligation de réserve et au secret des délibérations ». La commission évalue les projets selon quatre critères : « la valeur cinématographique et artistique », « les retombées socioculturelles escomptées », « l’impact économique » et « la capacité de réalisation ». Les dossiers de candidature font l’objet d’un encadrement minutieux. Pour la production, le décret impose notamment « une copie du scénario avec son dialogue en langue nationale officielle », un « devis estimatif global présenté sous forme de chapitres », et surtout un « plan de financement précisant la contribution du producteur, qui ne doit pas être inférieure à 30% du budget total ». Cette exigence d’autofinancement varie selon les activités : 30% pour la production et la post-production, 20% pour l’écriture de scénarios, la distribution et l’exploitation. Un équilibre recherché entre soutien public et responsabilité des opérateurs.

La coproduction bénéficie d’une attention particulière. Le ministère « est coproducteur avec tout pourcentage du coût total du projet, à travers l’établissement sous tutelle », et « les bénéfices résultant de l’exploitation à l’étranger doivent être transférés en Algérie, conformément à la législation en vigueur ».

Les textes encouragent explicitement la mutation technologique. L’aide à l’équipement couvre « la création de plateformes électroniques de diffusion à distance », « l’équipement de nouvelles salles » et le « rééquipement des salles existantes » avec les technologies numériques. Une reconnaissance tardive mais nécessaire des bouleversements du secteur.

Le volet contrôle n’est pas en reste. Les bénéficiaires doivent ouvrir « un compte spécial dédié à cette aide », présenter « un rapport final technique et financier approuvé par un commissaire aux comptes », et accepter « à tout moment, des opérations de contrôle sur terrain ». Les sanctions sont graduées : exclusion de cinq ans en cas de non-respect des engagements ou de modification non autorisée du projet, suspension ou annulation avec remboursement en cas de récidive, faillite ou violation des principes de l’article 4 de la loi sur l’industrie cinématographique. Dans les cas graves, le ministre peut prononcer « l’exclusion définitive de tout soutien futur ».

Fait notable, le décret fixe les honoraires des commissaires : 15 000 DA pour l’examen d’un long métrage, 7 000 DA pour un documentaire ou court métrage, 10 000 DA pour les projets de distribution, exploitation ou équipement. Le président perçoit en outre « une indemnité forfaitaire de 1 500 DA pour chaque dossier examiné ». Une transparence bienvenue dans un domaine souvent opaque. En complément, l’arrêté interministériel du 22 octobre 2025 ouvre quatre spécialités de licence en « arts visuels » à l’Institut national supérieur du cinéma : image, son, scénario et gestion de production. L’accès se fait par concours pour les bacheliers hors filière arts, avec « une épreuve écrite et un entretien ». Une réforme qui vise à professionnaliser la formation des futurs cadres du secteur. Cette batterie de textes dessine les contours d’une politique ambitieuse. 

Mohand Seghir

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