Les sinistrés regagnent peu à peu leurs villages : La vie plus forte que le feu
Les incendies qui ont touché plusieurs wilayas du pays ont été maîtrisés voilà plus d’une semaine. À Tizi-Ouzou, les sinistrés et les familles qui ont fui leurs demeures commencent à regagner leurs villages. Ils constatent les dégâts avec amertume, certes. Mais, la volonté de dépasser ce drame est plus forte. Ils ont déjà le regard tourné vers l’avenir.
Il n’y a pas grand monde dans le village. On pouvait encore sentir l’odeur des cendres éparpillées par les vents. Des voix humaines venaient des maisons voisines. On y venait pour constater les dégâts avec l’espoir pudique d’y rester si la demeure est encore habitable.
Beaucoup de villageois venus la veille ont pu constater les séquelles. Nombre d’entre eux se trouvaient encore dans le village à l’exception de quelques familles qui n’ont retrouvé que les traces calcinées de leur foyer familial. Ceux-là sont repartis le cœur serré. Il ne reste plus que les souvenirs dans ces lieux. Les souvenirs d’enfance, les voix spectrales des parents partis et dont les maisons en portent encore les réminiscences qui reviennent aux oreilles dès l’entrée des villages.
Les discussions s’animent entre villageois. Les sujets sont nombreux mais les incendies, leurs conséquences et les appréhensions pour le futur dominent les discussions. Les villageois s’intéressent aussi beaucoup aux indemnisations qui commencent déjà à mobiliser les comités de villages comme l’avait recommandé en personne le président de la République. Parallèlement, les jeunes, surtout, se mobilisent pour lancer les travaux de nettoyage. Pas question d’attendre, les services de la commune, ils sont certainement dépassés par l’ampleur des dégâts. Petit clin d’œil à ces jeunes qui restent encore, après plus de deux semaines, mobilisés de nuit pour surveiller les éventuels départs de feu.
Il n’est également pas question que les travaux de réhabilitation, de nettoyage et autres se fassent au «chacun pour soi». Les bénévolats sont quasiment spontanés dans tous les villages. «On préfère travailler ensemble. Les tâches sont plus faciles en groupe. Dans ces moments difficiles, il y a bien des familles qui ne peuvent pas effectuer le travail toutes seules. C’est pourquoi, les villageois optent plus pour des bénévolats», explique un jeune d’Aguemoun à Larbaa Naït Irathen. «Nous avons commencé par la réhabilitation des maisons endommagées. Ensuite, nous nous sommes mis à la restauration des chemins carrossables et piétons avant de nous consacrer à la restauration de la fontaine du village. Elle est primordiale en cette période de sécheresse»,raconte Samir, un jeune du village Tizi, à Ait Aissa Mimoun.
L’espoir des indemnisations, mais gare à la bureaucratie
Triste mais on garde espoir. Le sentiment est partagé par la majorité des gens dont les demeures sont touchées par les incendies. A Aïn El Hammam, des jeunes se sont mobilisés depuis l’extinction des feux pour aider les familles à regagner leurs maisons. Mais, l’aide et la solidarité ne peut assurer le retour à la normale du point de vue professionnel. « J’ai pu réparer ma maison. J’ai même refait la peinture. Mais, sans l’aide de l’Etat, je resterai longtemps au chômage. Mon poulailler et mes ruches sont partis en fumée», regrette un jeune père de famille d’Iferhounen.
A Aïn El Hammam toujours, les services concernés ont appelé les citoyens à faire l’inventaire des pertes occasionnées par les incendies sur les maisons avant de déposer le dossier au niveau des commissions de daïras.Le dépôt de la demande est toutefois conditionné par le constat de l’expert. « J’ai tout perdu. Ma maison, mes arbres et mes animaux. Je garde espoir d’être indemnisé dans les plus brefs délais »,affirme un père de famille qui s’interroge s’il peut toutefois effectuer la demande à la place de son frère qui se trouve en France alors que sa maison a été gravement touchée par les incendies. Les services concernés doivent d’ailleurs penserà cette catégorie de citoyens touchés mais qui se trouve à l’étranger. Les mêmes services devraient éviter de reproduire les procédés bureaucratiques dans les démarches de remboursement. « Dès que j’entends parler d’un dossier à fournir, je perds tout espoir. Avec cette histoire de dossier à fournir pour l’indemnisation, je commence déjà à déchanter. Les expériences du passé sont légion »,regrette un citoyen d’Azazga.
Les efforts de toutes les parties
Si les citoyens n’ont pas attendu l’intervention des services de la commune pour le nettoyage et le désenclavement des routes et autres, les services de la Sonelgaz et Algérie Poste ont pris le taureau par les cornes dès l’extinction des feux. «Tous les villageois ont de l’électricité. Le courant a été rétabli dans les villages voisins depuis quelques jours. Je ne vous cache pas qu’au début, je craignais de revivre l’épisode de la tempête de neige de 2011. On était resté sans électricité durant plus d’un mois», affirme un citoyen de Taguemount Azzouz à Béni Douala. «Cette fois, nous reconnaissons que la Sonelgaz a fait du bon travail. Elle a même évité des drames en coupant le gaz à temps car s’il y avait eu des explosions, on aurait eu plus de morts», reconnaît-on à travers plusieurs villages.
De son côté, Algérie Poste a mobilisé des bureaux itinérants qui sillonnent les communes les plus touchées. Dans un communiqué, cette entreprise affirme que « pour assurer la continuité des services d’Algérie Poste durant la période des incendies au niveau de la wilaya de Tizi-Ouzou, la Direction générale d’Algérie Poste a pris des mesures exceptionnelles et urgentes pour mettre à la disposition de zones touchées six bureaux itinérants pour la prise en charge de notre clientèle ». Les communes concernées sont Larbaa Naït Irathen, Aïn El Hammam, Bouzeguène, Béni Douala, Tizi Rached et Tamda. Ces bureaux équipés d’un système VSAT, réseau satellite, précise Algérie Poste, sont fonctionnelsquotidiennement de 09h00 à 13h00 heures.
Repenser à la rentrée et au covid !
Rapidement après l’extinction des incendies, les citoyens se sont rappelésla menace que continue de faire peser le coronavirus qui est toujours là, présent parmi les populations. Les gestes barrières sont scrupuleusement respectés même par les victimes du sinistre. Le même entrain caractérise, heureusement, les opérations de vaccinations qui reprennent. « Il faudra bien qu’on se protège de ce variant que les feux nous ont fait oublier un instant. Tous les villageois sont prêts à aller se faire vacciner pour que le vaccin arrive dans notre commune », assure un jeune de Timeghras à Ouacifs. D’ailleurs, beaucoup de citoyens interrogés sur ce chapitre réclament une opération de vaccination spécialement dédiée aux communes concernées par les dégâts. « En tant que villageois, nous considérons que nous avons été très exposés au virus durant les incendies. C’est pourquoi, nous restons optimistes que les services sanitaires consacrent spécialement des campagnes de vaccination pour les communes touchées », ajoute un jeune de Béni Douala.
Dans d’autres villages, les jeunes se mobilisent,essentiellement, pour entamer les travaux de restauration des écoles touchées par les incendies. C’est un volet dont on parle rarement et qui ne figure pas dans les statistiques de la cellule de crise de la wilaya. Ce qui toutefois n’a pas laissé le ministère de l’Éducation nationale sans réaction. En effet, le ministre a instruit les directeurs de l’éducation d’effectuer ces travaux avant la rentrée en priorisant les câbles électriques et les conduites de gaz qui représentent le plus grand danger sur la vie des enfants.« Nous sommes au courant que le ministère a donné des instructions à ce sujet mais nous n’ignorons pas que la gestion des écoles primaires relève des prérogatives des communes. Ces dernières sont en majorité incapables de prendre en charge ces travaux. C’est pourquoi, nous comptons lancer des quêtes et des bénévolats pour effectuer les réparations et permettre à nos enfants de faire leur rentrée dans de bonnes conditions », assure un parent d’élèves de Tademaït.
Malgré le drame, les pertes et les difficultés, les habitants de ces régions restent attachés à leur terre et leur foyer. Les villageois sont unanimes à dire qu’ils ne quitteront pas leurs maisons pour aller habiter ailleurs. « Ma vie est ici dans ce village. Ma maison a brûlé mais je vais en construire une autre quoi que ça m’en coûte. Je veux rester ici. Je ne bougerai pas d’ici », affirme un vieil homme d’Azeffoun.
Kamel Naït Ameur