Les détails de l’acquisition de l’ENCG par les Kouninefs dévoilés : Les dessous du bradage !
Le secteur public vient de récupérer les unités de production des huiles alimentaires du groupe KouGC, propriété de frères Kouninef. Bien que la démarche s’inscrive dans le transfert des biens saisis par la Justice vers le secteur public, toute cette action met fin à une énorme escroquerie et rétablit dans son droit l’État qui s’était vu spolié de ses biens au profit d’hommes d’affaires véreux qui gravitaient autour du régime bouteflikéen.
Une résolution du CPE datant du 3 novembre en cours a acté le transfert de l’usine Safia au groupe agroalimentaire public Agrodiv. Quelques semaines auparavant c’était l’unité de trituration des graines oléagineuses et de production d’huiles alimentaires de Jijel qui se trouvait intégrée, en application des instructions du président de la République lors du Conseil des ministre du 24 février dernier, à l’escarcelle de la Holding public Madar et plus précisément à sa filiale agroalimentaire. Une opération qui permet à l’État de récupérer une partie de son patrimoine volé et détourné du temps de la Issaba et qui avait servi à l’enrichissement d’une poignée d’hommes connus pour leurs liens avec le clan Bouteflika. Et le cas des frères Kouninef qui ont racheté entre 2005 et 2007 les unités Cogral (Safia Port d’Alger) et Cogro (Oran), en plus de l’unité de Mascara de l’Entreprise nationale des corps gras, est dans ce cadre un cas d’école. Car tout le système de la Issaba était assis sur un process de transfert organisé du patrimoine public vers les intérêts privés en contrepartie de rétro-commissions et de financements occultes des activités politiques. Un système assis sur la commande publique, des crédits bancaires astronomiques ne reposant que sur des garanties et hypothèques assises sur le patrimoine de l’État, et le détournement des ressources du Trésor et des réserves de change via la surfacturation et le, détournement des produits subventionnés et importés, lesquels constituaient des sources d’enrichissement direct. L’organisation de la Issaba reposait également en grande partie sur la série de privatisations-bradages lancées en 2001 du temps de l’ancien ministre des participations de l’État, Abdelhamid Temmar. Et c’est ainsi qu’en 2004, près d’un millier d’entreprises publiques avaient été proposées à la privatisation. Une privatisation qui devait garantir la relance d’entreprises déstructurées et leur redéploiement dans le cadre d’un plan d’investissement, la conservation de l’activité en sus du maintien des emplois. Or dans le cas des Kouninef, l’acquisition, ou plutôt l’accaparement des unités de l’ENCG était loin de respecter les conditions et les dispositions de l’ordonnance 01-04 du 20 août 2001 relative aux privatisations. Au-delà c’est l’opportunité même de cette privatisation qui a suscité dès le départ les interrogations des travailleurs et syndicalistes de l’entreprise, ainsi que celles des observateurs avertis. Car l’ENCG était loin d’être l’entreprise moribonde que l’on voulait bien dépeindre. Celle-ci dominait largement le marché des huiles alimentaires et détenait, jusqu’en 1997, 95% des parts de marché. Jusqu’en 2004 et même après l’apparition d’un opérateur privé national sur le marché des huiles alimentaires, Cevital, en l’occurrence, créé en 1998, l’ENCG détenait toujours 75% des parts de marché pour un chiffre d’affaires annuel de 1800 milliards de centimes.
Une opération opaque
Or, le groupe public dont le portefeuille dépendait à l’époque de la SGP Tragal avait été cassé sciemment. En 2004, la Badr avait suspendu un crédit de 800 milliards de centimes pour assurer ses approvisionnements. Mais ce que l’on omet de dire c’est que l’ENCG disposait alors de créances de 400 milliards de centimes. Le pire est que le processus a été mené sans pour autant respecter les dispositions règlementaires. C’est ainsi que la résolution du conseil des participations de l’État 14/125/04/01/12 lève le voile sur un pacte de privatisation de gré à gré qui a plus que bénéficié à KouGC. Ainsi au-delà de l’assainissement d’une dette de 1.500 milliards de centimes, et de l’exonération de TVA, procédure qui est certes partie intégrante des opérations de privatisation de l’époque, KouGC a bénéficié d’un crédit de 120 milliards de centimes avec un taux d’intérêt de 1% sur 15 ans, avec un délai de grâce de 7ans ! Et si le groupe KouGC s’est toujours défendu en affirmant avoir versé au Trésor public 840 millions de dinars pour l’acquisition de 80% des parts de Cogral et Corgo en sus de 70 millions de dinars pour l’acquisition des actifs restant, cela reste marginal par rapport à la valeur des actifs récupérés. Il s’agit notamment des actifs résiduels d’unités qui se trouvent au cœur du domaine maritime – Cogral est assise sur une assiette de 15 hectares dans le port d’Alger- des créances détenues à l’époque par l’entreprise et que l’on a tendance à oublier, sans omettre les stocks et les équipements vite cédés. Car le plus frappant dans ce dossier c’est bien le non-respect du cahier des charges relatif à cette privatisation qui est le plus saisissant. Il s’agit notamment de la clause relative au maintien de l’activité. Selon des sources proches du dossier des six unités de Cogral et des usines d’Oran et de Mascara, seule une unité avait été maintenue en activité et dédiée seulement au conditionnement d’huile raffinée importée auprès d’un intermédiaire établi en Suisse et appartenant bien entendu aux frères Kouninef. Résultats, les capacités de production de l’entreprise ont été réduites à seulement 20% du niveau de production ante, tandis que sa part de marché a dégringolé à seulement 15% des volumes d’huiles alimentaires commercialisés. Pis encore, l’ENCG qui disposait d’une unité de fabrication de savon de ménage sous la marque « Le Coq », laquelle a été rétrocédée à un autre opérateur privé dans une nouvelle entorse au cahier des charges. Il y eu également le licenciement massif des travailleurs de l’ENCG. Cogral, par exemple, a vu son effectif passer de 1.500 employés à seulement 600 en un temps records.
Et les entorses à la réglementation sont légion. Car de source proche du dossier, KouGC avait également été exempté du paiement des dettes sur les droits de concession aux ports d’Alger et d’Oran, lesquels sont pourtant régis par un droit dédié et qui n’a rien à voir avec l’ordonnance sur les privatisations.
La privatisation de l’ENCG à KouGC est l’exemple type des opérations de bradage qui ont touché plusieurs entreprises publiques tout à fait viables à des opérateurs algériens et étrangers, à des prix symboliques avec en contrepartie la possibilité de récupérer sa mise grâce aux créances de ces EPE sur leurs clients et aux stocks, en sus des actifs fonciers résiduels qui constataient l’enjeu réel de ces privatisations. La récupération des unités cédées à KouGC par des groupes publics entrent en réalité dans une démarche globale tendant à récupérer le patrimoine public spolié au cours des deux dernières décennies et annuler l’effet pervers du processus de transfert du patrimoine de l’État vers les intérêts étroits de l’oligarchie.
Samira Ghrib