Culture

Arts : L’intelligence artificielle s’apprête à bouleverser la création visuelle 

À l’aide d’algorithmes avancés, l’artiste argentine Sofia Crespo invente des insectes, l’Américain Robbie Barrat déforme les nus de l’art classique. «C’est comme un ballet entre l’Homme et la machine», dit Jason Bailey, collectionneur et l’un des blogueurs les plus réputés du crypto-art. Pour la plupart, ces artistes numériques travaillent avec des superordinateurs et des programmes connus sous le nom de réseaux antagonistes génératifs. Ce sont deux algorithmes d’intelligence artificielle, appelés «réseaux de neurones», qui se font concurrence pour livrer à l’artiste l’image la plus aboutie: l’humain fournit au préalable des images sources et règle les paramètres pour obtenir, à partir de celles-ci, un résultat qui l’intéresse.

Sofia Crespo, 30 ans, s’en sert pour recréer des animaux. L’objectif «n’est pas d’éviter la vraie nature, mais de générer un contact avec la nature dans un média dans lequel nous passons beaucoup de temps, qui est le média numérique», a-t-elle indiqué à l’AFP dans une interview vidéo depuis Lisbonne. Ses insectes sont étrangement hyperréalistes, avec des antennes, des ailes et des corps qui semblent sortis d’un manuel d’entomologie. Sauf qu’il leur manque à tous une tête, et que leur corps semble avoir subi de multiples mutations génétiques.

Les progrès fulgurants de l’IA laissent présager un monde où l’ordinateur serait capable d’apprendre et de créer, comme l’humain. Mais, pour l’instant, l’intelligence artificielle a encore besoin d’être guidée et la série d’insectes de Sofia Crespo a nécessité d’innombrables allers-retours entre les modèles proposés par l’artiste et les réseaux de neurones. Si «l’ordinateur fait entièrement partie du processus créatif», «la capacité de générer des images réalistes ne fait pas de chacun un artiste», une qualité qui suppose «une capacité critique et innovante», selon Camille Lenglois, attachée de conservation au Centre Pompidou à Paris.

Robbie Barrat a commencé son travail vers 2018, comme Sofia Crespo. Il a entré des milliers de nus d’art classique dans son ordinateur, et a commencé un dialogue avec la machine, jusqu’à ce qu’il obtienne ce qu’il cherchait: une série de bustes amorphes, à mi-chemin entre Salvador Dali et Francis Bacon. «Quand je travaille de cette façon, je ne crée pas une image. Je crée un système qui peut recréer des images. En quelque sorte, je crée un outil», dit-il. À 22 ans, ce développeur est un prodige de l’art numérique. Une de ses œuvres, «NudePortrait#7Frame#64», s’est vendue en mars chez Sotheby’s pour plus de 700’000 euros. Quatre ans plus tôt, son code avait largement été exploité par le collectif français Obvious pour créer la toile «Portrait d’Edmond de Belamy», vendue cette fois chez Christie’s pour plus de 400’000 euros.

Mais aujourd’hui, de nouveaux algorithmes plus simples, appelés «transformeurs», s’apprêtent à bouleverser cet univers balbutiant. Un problème jusqu’ici était «de mettre du texte en entrée et de sortir des images», expliquent à l’AFP Hugo Caselles-Dupré et Gauthier Vernier, du collectif Obvious. Il faut notamment pouvoir faire ingérer à la machine des quantités astronomiques d’images de toutes sortes accompagnées de descriptions. Une tâche titanesque seulement accessible par des projets bien financés, comme le modèle Dall-E 2 de la start-up californienne OpenAI, notamment financée par le milliardaire Elon Musk, ou Imagen, un projet concurrent de Google Research.

À partir d’une simple phrase, la machine devient alors capable de mélanger des concepts et de créer plusieurs représentations d’un «couple de radis qui fait du skateboard», d’un «fauteuil-avocat», ou d’un «singe astronaute», le tout avec un style photographique, de comic book, ou à la manière d’un peintre flamand du XVIIe siècle. «C’est ce qui se fait de mieux en termes de génération d’images en général», estime Sofia Crespo, qui a pu expérimenter Dall-E.

Des experts estiment que ces programmes pourraient révolutionner toute l’industrie de la création et de la retouche d’image. Sur les réseaux sociaux, circulent déjà de nombreux exemples, dont une représentation perturbante d’un animal au croisement de la crevette et du centaure, issue d’un laboratoire de recherche baptisé Midjourney. En revanche, OpenAI et Google n’ont pas encore publié ou commercialisé directement d’outil grand public, en raison notamment du risque d’utilisation malveillante.

AFP

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