Développement de la filière tomate industrielle : Lorsque l’aval industriel peine à suivre
La filière de la tomate industrielle enregistre des résultats appréciables cette année, notamment dans l’est du pays.
Des files d’attente interminables de camions et autres engins se forment devant les unités de transformation de la tomate industrielle. Les engins attendent de longues heures pour décharger des tonnes de tomate destinées à la transformation des les usines des wilayas de Guelma, Skikda et El Tarf. Le fait est que la récolte est encore une fois satisfaisante et démontre la pertinence du programme de développement de la filière tomate industrielle, notamment dans l’amont agricole. Un développement qui devra être conforté par plus d’efficience dans l’aval. En effet, des milliers de tonnes de tomate industrielles fraîches, destinées à la transformation entassées dans des camions, pourrissent sous les rayons d’un soleil de plomb. Depuis Guelma jusqu’à El Tarf en passant par Skikda, le regard est interpellé par des files de camions rangés l’un après l’autre sur un linéaire de plusieurs km, attendant depuis des heures voire des jours leur tour pour décharger les récoltes de tomate dans les unités de transformations existantes. Une attente qui n’est pas non sans conséquence pour ces tonnes de tomate fraîche exposées à des températures dépassant 40°. L’odeur dégagée par cette production enveloppe la région est du pays, où la période de récolte de la tomate et son transfert vers les unités de transformation constitue un événement à part entière. Le cortège ininterrompu des engins transportant la tomate des champs agricoles et les files interminables devant des unités de transformation constitue une preuve évidente quant à la disponibilité de la tomate industrielle et les records de récolte réalisés. Une évolution qui n’est pas suivie au niveau des unités de transformations de la tomate industrielle. C’est le cas dans la wilaya d’El Tarf où, des tonnes de tomate fraîche pourrissent au soleil, pendant que des unités de transformation chôment. L’odeur incommode les automobilistes empruntant la RN 16, les oblige à garder leurs vitres fermées, et affecte lesagglomérations situées à proximité d’une autre unité de transformation de tomate, implantée entre Benamar et Besbès, toujours dans la wilaya d’El Tarf.
Des pertes sèches
‘’Cela fait plusieurs semaines que les relents persistent, mais depuis que l’opération de réception des productions des fellahs a été ralentie et que les dizaines de camions chargés de tomates fraîches sont obligés de stationner des journées entières sous un soleil de plomb, c’est pire ! », a déploré l’un des riverains. Un autre habitant, fellah de son état, assure que cette même situation est vécue par les riverains des routes nationales 80 et 21. Ces deux routes sont encombrées à longueur de journée par une file interminable de semi-remorques, de gros camions et de remorques de tracteurs chargés de tonnes de tomates destinées à deux autres unités de transformation.
L’une d’entre elles est implantée à El-Fedjoudj, dans la wilaya de Guelma, et l’autre à Ben Azzouz, dans la wilaya de Skikda. Notre interlocuteur signale que durant cette période d’attente, les fruits fondent littéralement, en raison des fortes températures. « Près d’un tiers de la production de la tomate censée être livrée pour la transformation est ainsi perdue sous l’effet du pourrissement », ont déclaré plusieurs producteurs de la tomate industrielle dans la wilaya d’El Tarf. C’est une perte sèche autant pour les fournisseurs que pour les usines.
Des transformateurs au chômage technique !
Des pertes qui pourraient être évitées pour peur que la filière en aval fonctionne de manière plus efficace et que toutes les unités de transformation existantes tournent au mieux de leurs capacités? En effet, alors que certaines usines peinent à gérer les flux et la production livrée, d’autres conserveries de la région, qui ont des capacités de stockage et de transformation tout aussi importantes, sont quasiment réduites au chômage technique en pleine période de collecte », se sont indignés nos interlocuteurs. Certains d’entre eux, nous expliquent qu’au moins quatre conserveries, parmi les mieux équipées du pays, n’ont presque pas travaillé cette année pour des raisons financières. Pour plus d’information nous avons pris attache avec la direction des Services agricoles (DSA) d’Annaba. Une source qui a requis l’anonymat nous a confirmé que les conserveries, qui tournent actuellement au ralenti, sont implantées dans les wilayas d’El Tarf et d’Annaba. Selon la même source, elles ont prétendument fait l’objet d’un Plan de sauvetage par l’Etat en raison des difficultés financières qu’elles traversaient. ‘’En application des instructions expresses des pouvoirs publics, ces entités devaient bénéficier du concours de la Banque de l’Agriculture et du Développement Rural (BADR), à travers un rééchelonnement de leurs dettes sur plusieurs années. Mieux encore, elles devaient se voir ouvrir une ligne de crédit de 4 milliards de dinars. L’objectif étant de financer l’acquisition de la matière première auprès des agriculteurs par le moyen d’un crédit fédératif à taux bonifié de 0%’’, nous a–t-on expliqué.
Lourdeurs bureaucratiques
La même source a révélé que dans la réalité, il en a été tout autrement puisque ces industriels font face aux lourdeurs administratives et aux atermoiements de l’institution bancaire citée. « Il est vraiment désolant de constater qu’au lieu de soutenir les conserveurs à un moment crucial de leur activité, la BADR enfonce le clou en exigeant d’eux le versement de 10 et 20 % du montant de leur dette pour pouvoir bénéficier des crédits de campagne, ce qui est pour le moins aberrant », a-t-on déploré. « À travers de telles mesures draconiennes, la banque n’aide de toute évidence pas les producteurs à s’en sortir, mais elle les accable », a regretté notre source. Et de conclure en disant que ce n’est pas là la meilleure manière de maintenir l’autosuffisance en double concentré et triple concentré de tomate, deux produits que l’Algérie a cessé d’importer depuis 2020, permettant une économie en devise qui dépasse les 40 millions de dollars/an. Il est utile de signaler que le redémarrage effectif desdites unités de transformation en détresse permettra de faire travailler quelques 5.000 agriculteurs en amont et de créer des centaines d’autres emplois en aval du processus de fabrication. En attendant la reprise de l’activité de ces unités de ces conserveries, il est impératif de souligner que cette filière constitue aujourd’hui le « maillon fort » des agriculteurs des wilayas de la région est du pays qui ont réussi leur intégration dans le programme national de développement de la filière stratégique initié ces dernières années par les pouvoirs publics, grâce aux facilitations multiformes (financière, administratives, et techniques) assurées par l’Etat.
Pour rappel, la production de la tomate industrielle s’est élevée à plus de 23 millions de quintaux en 2021, enregistrant une croissance de plus de 17% par rapport à l’exercice précédent. Cinq pôles principaux de production de tomate industrielle existent en Algérie. Il s’agit de Skikda, El Tarf, Guelma, Annaba et Ain Defla, en plus de quelques pôles émergeants, tels que Chlef. L’année dernière a également été marquée par une amélioration de la productivité avec un pic qui a atteint les 1.300 quintaux/hectare à Ain Defla, avec un rendement national qui avoisine les 800 quintaux/ha en 2021, contre 500 quintaux/ha en 2013. Des performances qui ont permis à l’Algérie de garantir son autosuffisance en tomate industrielle et en produits transformés. La production de triple concentré est ainsi passée de 9.000 tonnes en 2013 à plus de 70.000 tonnes en 2021. Pour sa part, la production du double concentré de tomate « a grimpé » de 20.000 tonnes en 2018 à plus de 80.000 tonnes en 2021.
Sofia Chahine