Prévisions du FMI et de la Banque mondiale pour la croissance de l’économie mondiale : Quelles perspectives pour l’Algérie ?
Par Abderrahmane Mebtoul
L’activité économique mondiale connaît un ralentissement avec une inflation qui atteint des niveaux jamais vus depuis plusieurs décennies. Quelles perspectives pour l’économie algérienne dans ce contexte ?
Selon les projections du FMI ,des pressions inflationnistes persistantes et croissantes ont déclenché un durcissement rapide et synchronisé des conditions monétaires, parallèlement à une forte appréciation du dollar par rapport à la plupart des autres monnaies. Pour la zone OCDE, l’inflation reste forte , s’établissant à plus de 9 % en 2022, l’inflation refluera progressivement à 6.6 % en 2023 puis à 5.1 % en 2024.
Cette appréciation du dollar a intensifié sensiblement les pressions sur les prix intérieurs et la crise du coût de la vie dans beaucoup de pays. Les mouvements de capitaux ne s’étant pas rétablis,de nombreux pays en développement et pays à faible revenu restent en situation de surendettement, sans compter le risque de crise alimentaire, sur fond de conflit russo-ukrainien, la Russie et l’Ukraine représentant plus de 33% des exportations mondiales des denrées alimentaires ce qui alimente l’inflationAinsi,la croissance économique mondiale devrait ralentirà +1,4% en 2023, avant de rebondir modestement de +2,8% en 2024, loin durythme estimé de 2022 (+2,9%).Selon l’OCDE,la probabilité de voir la croissance mondiale à un horizon d’un an passer sous la barre des 2,0 % (dans le dixième centile des chiffres de la croissance mondiale depuis 1970) est d’environ 25 %, et selon les dernières prévisions du FMI, plus d’un tiers de l’économie mondiale devrait secontracter en 2023 tandis que les trois principales économies (Etats-Unis, Union européenne et Chine) resteront au point mort.En Chine, la croissance nécessaire pour atténuer les tensions sociales d’une populationdépassant les 1,4 milliard d’habitants,étant de 8/9% par an,devrait rebondir de +4% en 2023 et de +5,2% en 2024. Mais tout dépendra de la politique zéro-covid qui a poussé bon nombre de pays à mettre des barrières , ce qui pourraitentraverfortement l’activité économique du pays ;aux Etats-Unis, malgré une inflation élevée et un resserrement monétaire accéléré, l’économie tient le choc grâce à la résilience des exportations et de la consommation. Le pays devrait malgré tout entrer en récession en 2023(-0,3%), avant de connaître un léger rebond en 2024 (+1,6%). Selonla directrice du FMI, etje la cite,« les Etats-Unis pourraient éviter la récessiongrâce à un marché du travail toujours dynamique,l’économie américaine étantremarquablement résilienteet si cette résilience continue,les Etats-Unis aideraient le monde à traverser une année très difficile ». En Zone Euro, la récession devrait apparaître dès le début de l’année 2023 (-0,4%), où lacrise énergétique affecte le pouvoir d’achat des ménages et la rentabilité des entreprises. Un rebond de croissance est attendu en 2024 (+1%), mais cette reprise devrait être aussi faible que celle observée après la crise de 2012. Elle pourrait d’ailleurs être fortement affaiblie si la crise énergétique se prolonge.
Cinq questions stratégiques
La probabilité de récession, évoquée dans les rapports FMI/Banque mondiale/OCDE,posecinq questionsstratégiques.
Premièrement, lesort de l’économie mondiale ne dépend t-il pasessentiellement du bon calibragede la politique monétaire, du déroulement de la guerre en Ukraine et d’éventuelles nouvelles perturbations de l’offre liées à la pandémieainsi que de l’émergence de lanouvelle économie fondée sur latransition numérique et énergétique face au réchauffement climatique dévastateur pour l’Humanité ?Deuxièmement , lespays développés , particulièrement l’Europe , face aux nouvelles mesures de plafonnementdes prix du pétrole russe par voie maritime à60 dollarset celui du gaz à 180 dollars le mégawattheure parviendront-ils à réduire rapidement et efficacement leur déficit énergétique sans une réelle transition énergétique, et quelles implications et quelles conséquences ? Troisièmement, jusqu’où iral’endettement, alors que la dette publique mondiale devrait atteindre le niveau record de 71.600 milliards de dollars en 2022et le coût des intérêts devrait fortement augmenter, faisant peser une lourde charge sur les contribuablesdans les pays avancés, la dette étant passée pour bon nombre de pays à plus de 100% du PIB, loin du ratio du traité de Maastricht. Pour ce traitéle déficit des finances publiques en Europene doit pas dépasser 3 % du PIB pour l’ensemble des Administrations publiques et la dette publique doit être limitée à 60 %. Dans ce contexte , avec le resserrement monétaire vs expansions budgétaires,jusqu’où iront les gouvernements, dans quel but et pour quels résultats alors que selon la CNUCED, les pays en développement devraient avoir besoin de 310 milliards de dollars pour assurer le service de leur dette publique.Quatrièmement, des questions se posent pour les perspectives des deux locomotives de l’économie mondiale à savoir la Chineet les USA.Premièrement,la situation économique et sanitaireen Chine permettra-t-elle de redynamiser le commerce mondial, et de fluidifier les chaînes d’approvisionnement ou accéléra-t-elle la récession mondialeet deuxièmement, lasituation politique et économiqueaux Etats-Unis peut-elle affecter la compétitivité et l’attractivité de la Zone Euro et du monde ?Cinquièmement, quelles perspectives pour les marchés émergents fortement connectésà l’économie mondialeface à des économies avancées au défi du contexte récessif. Quelles perspectives surtout pourles BRICS qui pesaient en 2021 pour 25% du PIB mondial estimé à 100.000 milliards de dollars en 2022, avec comme locomotive la Chinedont le PIBapproche les 20.000 milliards de dollars et les réserves de change dépassant les 3200 milliards de dollars,et plus de 40% de la populationmondiale. Dans un contexte préfigurantune nouvelle recomposition des relations internationalesles BRICS parviendront-ils à tirer leur épingle du jeu face à des économies avancées au contexte récessif ?
Perspectives de l’économie algérienne
Quant au rapportde la Banque mondialesur l’Algérie 2023,il est relativement optimiste. La Banque mondialenotequela promulgation en 2022 de la nouvelle loi sur l’investissement et la publication de ses textes d’application; la suppression en 2020 de la règle 51/49 pour les secteurs non-stratégiques et la publication de la nouvelle loi sur les hydrocarbures en 2019sont des actions positives..Mais sil’amélioration à priori durable des équilibres extérieurs contribue à la résilience de l’économie, la hausse marquée des dépenses publiques en 2022 renforce la sensibilité des équilibres budgétaires et de la trajectoire de la dette publique aux prix des hydrocarbures, et renforce également l’importance d’une conduite budgétaire prudente, d’une mobilisation accrue des recettes fiscales, et du renforcement de l’efficacité, de l’efficience et de l’équité de la dépense publique Pour la Banque mondiale,lareprise économique en Algérie devrait se poursuivre en 2023, soutenue par le secteur hors-hydrocarbures et par la croissance des dépenses publiques.L’institution financière internationale prévoit que « le PIB réel croîtrait de 2,3% en 2023, emmené par sa composante hors-hydrocarbures (+3,1%) et des hydrocarbures (+0,5%) et « la croissance du PIB se modérerait à 1,8% en 2024. » Le PIB devrait s’établir à 197,9 milliards de dollars en 2023 et 193,2 milliards de dollars en 2024.Le PIB par habitant devrait baisser en 2023 et 2024.En valeur, selon les projections de la BM, le PIB par habitant devrait s’établir à 4.270 dollars en 2023 et 4.094 dollars en 2024, contre 4.427 dollars en 2022.En 2023, selon les prévisions de la Banque Mondiale, « la balance des comptes courants demeurerait excédentaire (+1,2% du PIB), grâce au maintien du prix des hydrocarbures à un niveau élevé. » « Les exportations d’hydrocarbures diminueraient pour atteindre 22,5% du PIB sous l’effet de la baisse modérée des prix et de celle des volumes exportés, dans un contexte de reprise de la consommation intérieure ». Lerapport de la BM prévoit que « la croissance des réserves de change se poursuivrait en 2023 pour culminer à 13,5 mois d’importations de biens et services à la fin-2023, avant de s’infléchir en 2024. Dans le scénario de base, le secteur public et le secteur de l’énergie devraient tirer la croissance des investissements, tandis que la croissance de la consommation devrait être plus modeste, dans un contexte de reprise progressive du marché du travail et d’effet de l’inflation élevée sur le revenu réel des consommateurs, en partie compensée par les mesures de soutien au pouvoir d’achat. Sous l’angle sectoriel,la production pétrolière devrait se stabiliser à son niveau pré-pandémie, atteint à l’été 2022etla production gazière demeurerait stable, prolongeant sa bonne performance de 2022.La production algérienne de pétrole s’établira à 1,031 million de barils/jour en 2023 et 1,022 million de barils/jour en 2024. Celle du gaz atteindra 102,8 milliards de m3 en 2023 et 103 milliards de m3 en 2024.
Pour 2022,malgré une forte croissance des dépenses courantes , et une reprise marquée de l’investissement public, la forte dynamique des recettes issues des exportations d’hydrocarbures génère une forte hausse des recettes en 2022, qui excéderait celle des dépenses, et le déficit budgétaire global se résorbent modérément (5,7% du PIB). Mais dansun contexte global incertain, l’amélioration de la résilienceet la viabilité des soldes extérieurs et budgétaires reste tributaire de la forte volatilité des prix mondiaux du pétrole, dans un contexte d’incertitude quant à la dynamique de l’économie mondiale. Des prix plus élevés ou plus bas qu’ anticipés pourraient avoir un impact marqué sur les soldes extérieurs et budgétaires, la marge de manœuvre fiscale, les besoins de financement et la trajectoire des réserves de change », explique la même source. Les efforts de l’Europe pour diversifier son approvisionnement énergétique pourraient soutenir les investissements dans le secteur des hydrocarbures en Algérie, les recettes de l’État et la croissance à moyen terme. Cependant, il est attendu que les initiatives globales de lutte contre les changements climatiques découragent l’investissement dans les industries fossiles. En 2023 et 2024, la baisse de la valeur des exportations d’hydrocarbures diminuerait les recettes, ce qui ne serait qu’en partie compensé par la croissance des recettes fiscales » et queles dépenses courantes et d’investissement augmenteraient modérément, et le déficit croîtrait, financé par l’augmentation de la dette publique domestique. La dette publique avoisinerait ainsi 68% du PIB à la fin de 2024.Le déficit budgétaire global devrait quant à lui s’améliorer en 2022 puis se creuser à moyen terme, dans un contexte de baisse des recettes d’hydrocarbures et de rigidité des nouvelles dépenseset l’inflationse résorbant partiellement, modérée notamment par l’appréciation du dinar par rapport à l’Euro et au Dollar.Dans le scénario de base l’inflation ralentit, en partie grâce à la modération relative des prix à l’importation, à l’effet différé de l’appréciation du dinar vis-à-vis l’Euro, et aux politiques de renforcement des mécanismes de subvention aux produits alimentaires. L’inflation (moyenne annuelle) devrait s’établir à 7,8% en 2023 et 6,4% en 2024, contre 9,3 en 2022.
En outre, « une moindre pression sur le secteur bancaire domestique pour financer les déficits budgétaires permettrait à ce dernier d’allouer ses ressources au financement de la reprise et de la diversification, tout en modérant les risques inflationnistes », précise la Banque Mondiale.Et une hausse importante des dépenses publiques peut partiellement compenser certains ménages pour le niveau d’inflation, mais elle présente des risques. Parexemple, la LFC 2022 suggère des augmentations de dépense courante de 41%, et un doublement des dépenses d’investissement. Etde conclure que la capacité de l’État à soutenir la croissance étant limitée et appelée à diminuer, le secteur privé hors-hydrocarbures devra devenir le moteur de la croissance algérienne et de la diversification de l’économie.La promotion d’une croissance durable hors hydrocarbures et la création d’emplois dépendent d’une mise en œuvre soutenue et du succès du programme de réformes structurelles du gouvernement, qui doit permettre une plus grande ouverture au secteur privé. L’amélioration de la compétitivité de l’économie, de la productivité des entreprises et le renforcement de l’investissement dans le capital humain n’en sont que plus essentiels à l’essor et la résilience de l’économie algérienne, toujours selon la BM.
En conclusion, la crise du coût de la vie, le durcissement des conditions financières dans la plupart des régions, le conflitRussie/Occident via l’Ukrai,e et les effets persistants de la pandémie du Covid-19 sont autant de facteurs qui pèsent lourdement sur les perspectives de 2023. Cette situation aun impact sur l’économie algérienne, extériorisée,tributairepour ses recettes en devises, des hydrocarbures et de leurs et à plus de 85% d’importation desmatières premières et équipementsdes entreprises qu’elles soient publiques ou privées dont le taux d’intégration en 2022 ne dépasse pas 15%.Le cours du pétrole le 06 janvier 2023 a étécoté à 78,60 dollars pour le Brent età 73,73 dollars le WTI pour un cours euro dollar ( achat) de 1,0644, et 137,1119 dinars un dollar et 145,2429dinars pour un euro au cours officiel fluctuant et sur le marché parallèleentre217/219 dinars pour un euro et 204/206 dinars pour un dollar. Lecours du gaz, lequelreprésente environ 40% des recettes de Sonatrach,et après avoir culminé à environ 350 euros le mégawattheure,se négociele6 janvier 2023à un prix près de cinq fois moins élevé qu’en août 2022. Pour la livraison en février 2023le TTF se négocie à72,75 euros, du fait de labaisse de la consommation, liée à un hiver relativement doux, et une importation massive de GNL, contournant l‘approvisionnement de la Russie dont la demande européenne a chuté de près de 46% par rapport à 2021. Mais pour le moyen et long termes tout dépendrades perspectives de la résolution ou pas des tensions géostratégiques actuelles et du nouveau modèle de la croissance de l’économie mondiale.
A.M.