Moscou invite ses partenaires à utiliser les monnaies nationales dans les règlements mutuels : La fronde contre le dollar s’organise et s’élargit à l’Afrique
Le dollar, pierre angulaire de l’Empire américain, est décrié de toutes parts.
Il existe actuellement une lame de fond ayant pour logique une dédollarisation de l’économie mondiale. C’est le cas surtout en Asie où plusieurs pays ont déjà commencé à adopter leurs monnaies nationales dans leurs échanges économiques. Moscou est à la pointe du mouvement de contestation de l’hégémonie mondiale du billet vert. Le président Vladimir Poutine a ordonné ces derniers mois à son ministre des finances d’accélérer la dédollarisation du commerce extérieur. A l’international, le chef du Kremlin a déjà persuadé certains de ses grands principaux partenaires commerciaux comme l’Inde, l’Iran et la Chine d’intensifier l’utilisation des monnaies nationales dans les règlements mutuels.Même l’Arabie Saoudite, fidèle allié de Washington au Proche-Orient et premier exportateur mondial de brut, n’écarte plus l’éventualité de régler des échanges de pétrole dans des monnaies autres que le dollar américain. «Il n’y a aucun problème à discuter de la manière dont nous réglons nos accords commerciaux, que ce soit en dollar américain, en euro ou en riyal saoudien», a déclaré la semaine dernière le ministre saoudien des finances, Mohammed Al-Jadaan, du Forum économique mondial de Davos. Il est à parier que si Riyad délaisse le dollar, d’autres pays membres du Conseil de coopération du Golfe et de l’OPEP devraient lui emboîter le pas.
Les déclarations d’Al-Jadaan sont d’autant plus lourdes de sens que Xi Jinping a clairement demandé aux Saoudiens d’accepter le Yuan, lors de sa visite en décembre dernier. Lors du sommet Chine-Arabie Saouditeà Riadh, le président chinois avait proposé que les pays du Conseil de coopération du Golfe (CCG) utilisent pleinement les marchés financiers de Shanghai pour régler leurs échanges commerciaux en yuan. La Turquie, autre grand allié des Etats-Unis, a également suivi le mouvement et paie une partie substantielle de ses importations d’énergie russe dans d’autres monnaies que le dollar. Dans l’espace arabe, l’Égypte a commencé aussi en août dernier à émettre des obligations libellées en yuan.
La levée de bouclier contre le billet vert devrait bientôt s’élargir à l’Afrique. Dans le cadre de la préparation du second sommet Russie-Afrique dont les travaux sont prévus de se tenir en juillet prochain à Moscou, les autorités russes ont entrepris un intense travail de lobbying pour convaincre leurs partenaires africains de tourner la page du dollar dans leurs échanges économiques. « Comme vous le savez, nous prévoyons un deuxième sommet Russie-Afrique cette année […] et nous préparons une série d’événements à cette occasion. Des documents sont en cours d’élaboration pour reconfigurer les mécanismes d’interaction face aux sanctions, et nous créerons de nouveaux outils pour la coopération en matière de commerce, d’investissement, des chaînes d’approvisionnement et de paiements », a déclaré la semaine dernière le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, lors d’une conférence de presse sur le bilan des activités de la diplomatie russe en 2022. «Il y a une transition vers les règlements en monnaies nationales. Ce processus n’est pas rapide, mais il est en cours et il prend de l’ampleur », a-t-il ajouté.
Briser l’hégémonie du dollar
L’appel de Moscou a reçu un écho favorable en Afrique du Sud. Pretoria rejoint donc la fronde contre le dollar américain. La ministre sud-africaine des Affaires étrangères, Naledi Pandor, a déclaré à ce propos au début de la semaine à l’agence russe RIA Novosti que son pays « a toujours été préoccupé par la domination du dollar et par la nécessité d’envisager une alternative». «Les systèmes actuellement en place ont tendance à privilégier les pays très riches et constituent un véritable défi pour les pays qui, comme nous, doivent effectuer des paiements en dollars […]. Je pense que nous avons besoin d’un système plus équitable. C’est une question dont nous discutons avec les ministres des BRICS », a-t-elle ajouté. A l’occasion, Mme Pandor s’en est également prise à une loi récemment votée par le Congrès américain visant à réduire les relations entre la Russie et l’Afrique : « Je crois que cette loi totalement injustifiée devrait être tuée dans l’œuf. Je pense que c’est une intrusion allant à l’encontre du droit international. Nous l’avons clairement dit à nos collègues américains. »Le blocage de quelque 300 milliards de dollars de réserves de la Russie par les pays occidentaux après celui des 9,5 milliards de dollars de réserves de l’Afghanistan ont fait prendre conscience à beaucoup de pays du risque de trop dépendre du billet vert. Au-delà des considérations géopolitiques, la volonté de certains pays de s’émanciper du dollar américain est motivée par une stratégie de diversification pour gérer le risque, que ce soit en matière de réserves, de taux de change et de commerce.
A rappeler qu’en réussissant en 1944 à imposer le dollar en tant que monnaie de réserve internationale, les États-Unis sont parvenus à mettre en place une hégémonie monétaire et ainsi à s’endetter massivement, grâce au privilège d’avoir cette dette toujours rachetée par des investisseurs étrangers. Les États-Unis sont devenus la seule puissance à pouvoir s’endetter vis-à-vis de l’étranger dans leur propre monnaie. En agissant ainsi, le pays peut donc se permettre de creuser son déficit continuellement, sans que sa monnaie ne se déprécie. Un avantage considérable qui contribue grandement à faire des États-Unis la première puissance économique mondiale. Cette hégémonie vigoureusement protégée permet notamment aux États-Unis de soumettre nombre de pays à leur politique et à celle de leur Banque centrale. Et c’est cette hégémonie que des pays comme la Chine et la Russie veulent aujourd’hui briser.
Khider Larbi