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Quelle méthode pour la révision du calcul du PIB ?

Par Abderrahmane Mebtoul

Professeur des universités, expert international, ancien Haut magistrat et Directeur des études économiques à la Cour des comptes 1980/1983. Ex-président du conseil des privatisations avec rang de ministre Délégué 1996/1999 – Expert au Conseil Economique et Social 1995/2007 et à la Présidence de la République 2008 – ancien Directeur des études au ministère de l’Energie et à la Sonatrach. Expert indépendant auprès d’institutions internationales et de l’Etat depuis 2020.

Le Premier ministre a annoncé le 17 septembre 2023 une révision du calcul du PIB, le faisant passer, de 191,91 milliards de dollars selon les dernières estimations du FMI à 233 milliards de dollars fin 2022. Par conséquent, le PIB par habitant passe à 5187 dollars contre 3995,58 dollars (source Banque mondiale) soit un écart énorme entre les nouvelles données du gouvernement et celles des institutions internationales de 17,60 %

Pour le FML, la Banque mondiale, et l’OCDE, dont les données sont publiées officiellement, les indicateurs macro-économiques de l’Algérie sont les suivants pour 2022 : le PIB courant est de 191,91 milliards de dollars (57ème position sur 194 pays) le PIB par tête d’habitant est de 3995,58 dollars ( 122ème position), le PPA (Parité pouvoir d’achat) est de 15.558 dollars ( 84ème position), le taux de chômage va de 14 à 15/%, incluant la sphère informelle et les emplois de rente , le taux d’ inflation (moyenne 2022) est de 9,7% ; le solde budgétaire est de -12,3% du PIB ; la dette publique (interne et externe) est de 63% du PIB , l’encours de la dette extérieure à moyen et long terme, faible, est de 1,3 milliard de dollars pour un taux de change nominal de 137 dinars pour un dollar et 1de 47 dinars pour un euro. La situation financière en 2022 est relativement bonne grâce essentiellement aux cours des hydrocarbures représentant avec les dérivés inclus dans la rubrique hors hydrocarbures selon les statistiques douanières de fin 2022 pour 67% du total de la valeur et ayant permis d’accumuler 85 milliards de dollars de ‘réserves de change fin août 2023 .

Dimanche, le Premier ministre a annoncé une révision du calcul du PIB sans divulguer la méthode et après réévaluation, le PIB a atteint 233 milliards de dollars en 2022, et le PIB moyen par habitant a atteint 5187 dollars pour la même année. Selon les organisations internationales FMI, Banque mondiale, OCDE, OMC, le groupe des BRICS et afin de pouvoir faire des comparaisons objectives entre pays , il n’appartient pas à un Etat de calculer selon sa propre méthode, sans une collaboration internationale , son PIB.

Méthodes de calcul du PIB

Le calcul objectif du PIB doit reposer sur une information fiable permettant des comparaisons internationales en référence à des standards internationaux . Si les données sont biaisées au niveau micro-économique, la sommation au niveau national est donc forcément biaisée ne reflétant pas la situation économique réelle d’un pays donné et dans ce cadre la numérisation par des calculs exacts donnera une fausse appréciation ( voir ouvrage du professeur Abderrahmane Mebtoul ,Office des Publications Universitaires OPU Alger 1982, cours de doctorat – valeur , prix et croissance économique)). Dans la majorité des pays et des institutions internationales, le calcul du PIB correspond à la somme des valeurs ajoutées (du secteur public et privé) à laquelle s’ajoute la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) mais aussi les taxes sur des produits particuliers comme les produits pétroliers, le tabac et l’alcool ou encore les produits importés (droit de douanes). En contrepartie de ces taxes, les subventions reversées par l’État sont logiquement retranchées. Le produit intérieur brut au prix du marché vise à mesurer la richesse créée par tous les agents privés et publics au niveau national pendant une période donnée , en l’occurrence l’année, représentant le résultat final de l’activité de production des unités productives résidentes. Il peut se calculer de trois façons : premièrement, selon l’optique de la production, en faisant la somme des valeurs ajoutées de toutes les activités de production de biens et de services et en y ajoutant les impôts moins les subventions sur les produits ; deuxièmement selon l’optique des dépenses, en faisant la somme de toutes les dépenses finales (consacrées à la consommation ou à l’accroissement de la richesse) en y ajoutant les exportations moins les importations de biens et services ;troisièmement selon l’optique du revenu, en faisant la somme de tous les revenus obtenus dans le processus de production de biens et de services (revenus salariaux, excédent brut d’exploitation et revenu mixte) et en y ajoutant les impôts sur la production et les importations moins les subventions.

Quatre déterminants

Pour une appréciation objective, le calcul du PIB doit tenir compte de quatre déterminants. Premièrement, le PIB global ne tient pas compte des inégalités. On peut avoir un PIB moyen qui augmente alors que les revenus pour une majorité de la population baisse. T.Piketty et E. Saez ayant mené une étude aux Etats-Unis démontrent que la moitié de la croissance américaine est due aux individus les plus riches et Xavier Timbeau estime que cette correction des inégalités donnerait une mesure beaucoup plus juste de l’activité économique. Ainsi, la comparaison des niveaux de PIB permet de donner que des éléments quantitatifs qui ne sont pas toujours pertinents pour analyser des niveaux de bien-être et ne permet pas de comparer des niveaux de satisfaction puisque la notion de niveau de satisfaction reste subjective et diffère selon les pays, les cultures ou encore les régions. Le PIB ignore ce qui est qualitatif, comme le bien être, les loisirs, la sécurité, le niveau d’éducation, de santé et les libertés au sens large, qui contribuent au développement économique et social d’une Nation. L’IDH l’indice du développement humain du PNUD qui intègre trois facteurs, à savoirl’espérance de vie à la naissance, car elle est significative des conditions de vie à venir des individus (alimentation, logement, eau potable…) et de leur accès à la médecine ; le niveau d’éducation, qui détermine l’autonomie tant professionnelle que sociale de l’individu et le revenu national brut par habitant, révélateur du niveau de vie des individus et ainsi de leur accès à la culture, aux biens et services, aux transports, me semble plus approprié. Deuxièmement, le calcul du PIB, utilise uniquement les prix du marché renvoyant au débat entre les économistes, les néo classiques, les néo keynésiens et les marxistes sur la valeur, qui ne fait pas consensus , car il n’y a pas de prix de marché pour le secteur non marchand. Pour le secteur marchand, les prix résultent de la manipulation, d’un rapport de force ou d’un monopole, les prix du marché étant donc biaisés, notamment à cause d’un phénomène de « rentes ». Aussi le PIB ne prend pas en compte, le travail non-rénuméré que l’on fait pour soi même (travail domestique dominant en Afrique), le bénévolat et le travailla au noir. Troisièmement, le PIB ne prend pas en compte les effets environnementaux . Certaines activités économiques créent des dommages non intégrés dans le calcul du PIB. dont les émissions de carbone qui ont un coût pour les générations futures , modifiant l’équilibre climatique dégradant l’environnement supporté par les générations futures. Cela pose la question de l’arbitrage entre les urgences présentes et les inquiétudes futures. Quatrièmement, au niveau international le PIB est évalué en monnaie locale puis converti en dollar. Or toute dévaluation de la monnaie locale convertie en dollar lui-même fluctuant fait baisser le PIB en dollars courants, la réévaluation ayant un effet contraire, ce qui rend les comparaisons dans le temps hasardeuses.

Éclairer l’opinion publique

En conclusion, il est urgent d’ éclairer l’opinion publique sur la nouvelle méthode de calcul du PIB car la différence en référence aux données internationales qui guident tout investisseur, près de 41 milliards de dollars, est importante et ce afin d‘éviter des polémiques inutiles qui nuisent à la crédibilité de l’Algérie et pour que les médias qui souvent répercutent des données fournies par les officiels, puissent fournir une information sur une base objective. Si l’ONS tient compte de l’emploi informel pour déterminer le taux de chômage, qu’en est-il du calcul du PIB qui selon le FMI et la Banque mondiale représenterait en 2022 pour l’Algérie entre 33/37% du PIB et contrôle, selon la Banque d‘Algérie, plus de 6200 milliards de dinars au sein de la masse monétaire en circulation soit au cours de 137 dinars un dollar 45,25 milliards de dollars. Le Président de la République ayant dénoncé l’effritement du système d’information avait donné un montant variant entre 6000 et 10.000 milliards de dinars (voir étude sous la direction du professeur Abderrahmane Mebtoul- Institut Français des Relations internationales IFRI Paris « les enjeux stratégiques de la sphère informelle reproduite en synthèse réactualisée dans la revue Stratégie IMDEP du ministère de la Défense nationale) . Morgenstern le fondateur de la recherche opérationnelle a mis en garde contre la manipulation des statistiques et a écrit à la fin de sa vie l’ouvrage fondamental « Comment mentir grace aux statistiques ».

A.M.

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