Sommet Italie-Afrique : Les perspectives de la coopération en l’Algérie et l’Italie
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités et expert international.
Nous nous orientons vers un monde multipolaire sur fond de tensions géostratégiques et de nouvelles mutations mondiales qui annoncent un profond bouleversement.
L’Afrique est, en ce XXIème siècle, le continent de tous enjeux et des rivalités des grandes puissances et des nations émergentes. Après les sommets USA/Afrique, Chine /Afrique, Europe/Afrique, Russie/ Afrique , Turquie /Afrique, Japon/ Afrique et bien d’autres rencontres internationales similaires, se tiendra le Sommet Italie-Afrique, l’Italie étantun des pays les plus touché par les flux migratoires, les 28 et 29 janvier à Rome, afin d’intensifier la de coopération autour d’un ambitieux programme d’investissements axé sur les échanges économiques avec le continent africain, appelé «plan Mattei pour l’Afrique», en présence de la présidente de la commission européenne, du président du Conseil européen, de la cheffe du FMI, du directeur général de la FAO, de responsables des principales agences des Nations unies et chefs d’Etat africains, de chefs de gouvernement et des ministres des affaires étrangères. L’Algérie y sera représentée par le ministre des Affaires étrangères. Dans ce contexte , il me paraît utile d’analyser la situation de l’économie italienne pour répondre aux attentes africaines et les perspectives de la coopération entre Alger et Rome en espérant des résultats concrets pour une prospérité partagée
Situation de l’économie italienne
Depuis 2014, l’Italie a enclenché une période de déclin de sa population, passant de plus de 60,3 millions d’habitants à moins de 59 millions en 2023. Le produit intérieur brut (PIB) de l’Italie a été de 2108 milliards de dollars en 2021, de 2272 milliards de dollars en 2022 et pour , dans le top 10, l’Italie étant à la 10e place, contre le 8e en 2022, avec un PIB de 2 010,43 milliards de dollars. Selon les dernières prévisions de la Commission européenne, la croissance économique italienne devrait atteindre 0,9 % en 2023 et 0,8 % en 2024. L’économie italienne en 2023 a échappé à la récession que beaucoup lui prédisaient à l’été 2022 à la suite de la crise du gouvernement, marquée par la démission de Mario Draghi et l’arrivée de Giorgia Meloni à la fonction de Présidente du Conseil, porté par le dynamisme des PMI/PME innovantes , l’industrie ayant un poids important où la part de l’industrie dans la valeur ajoutée totale y atteint, en effet, 21,1 %, contre une moyenne de la zone euro de 20,2% , la France 14 %, le Portugal (17,1 %), l’Espagne (17,4 %) ou encore la Belgique 17,7 %.
Les importations de biens en 2020 ont été de 422 milliards de dollars et de services 92 milliards de dollars, pour 2021, 409 milliards de dollars de biens et 101 milliards de dollars de services et pour 2023 les importations ont augmenté plus fortement (+35%) pour atteindre 783 Md€, soit 41% du PIB, la part des biens dans les échanges commerciaux étant largement majoritaire (84%) et en augmentation depuis 2019 (+4pp), les échanges de services étant plus marginaux s’élevant à 245 Md€ (en hausse de 32% sur l’année). Les exportations de biens ont été en 2021 de 409 milliards de dollars de biens et 99 milliards de dollars de services, en 2022, de 496,12 milliards de dollars et des services 86,53 milliards de dollars soit au total : 582,65 milliards de dollars et pour 2023 , les exportations ont atteint 742 Md€, soit 38% du PIB, en hausse de 22% sur l’année. . Une reprise a été constatée en 2021 où l’excédent commercial de l’Italie a atteint 50,4 milliards d’euros bien qu’en baisse par rapport aux 63,17 milliards enregistrés en 2020, selon l’Institut national des statistiques (Istat). Pour 2022 le déficit commercial avait atteint -41 Md€ en 2022, après un excédent de 29 Md€ en 2021 et 55 Md€ en 2020. Ainsi, le déficit commercial de biens était de -31 Md€ en 2022 (contre un excédent de +40,3 Md€ en 2021), le déficit commercial de services ayant atteint -9,5 Md€ (-18% par rapport à 2021). Mais la rapide résorption du déficit énergétique (-19 Md€ au T1 2023 contre -36 Md€ au T3 2022) a permis à l’Italie de dégager un excédent commercial dès le T4 2022 (+0,7 Md€) qui s’est accru début 2023 (5,4 Md€ au T1). Quant aux autres indicateurs macro financiers et macro- sociaux, les réserves de change dépassent en 2021 les 230 milliards de dollars, dont 2451,8 tonnes d’or d’une valeur dépassant les 80 milliards de dollars et fin 2023 atteignaient . 224 milliards de dollars. La dette publique de l’Italie s’est élevée à 153,5% du PIB en 2021, en légère baisse par rapport à 2020 (155,6%), mais nettement au-dessus de la limite de 60% prévue par les règles de Maastricht et fin 2022, elle représentait près de 145 % de son PIB ayant certes diminué au cours des deux dernières années, mais demeure à un niveau particulièrement élevé plus de 140% du PIB fin 2023 soit la deuxième plus importante de la zone euro , après la Grèce et en comparaison, celle de la France s’élève à un peu plus de 109% du PIB. Ce poids qu’elle porte depuis plus de 30 ans apporte une vulnérabilité budgétaire au pays », selon l’institut Jacques Delors bien que l’Italie, depuis les années 2000, « a réussi à retrouver un équilibre budgétaire, et même à dégager du surplus », c’est-à-dire à obtenir des recettes supérieures à ses dépenses qui selon cet institut serait davantage une bonne élève sans ce fardeau. D’une manière générale, la crise Covid-19 et la crise ukrainienne ont affecté l’économie italienne, comme toute l’économie mondiale. Dans la phase de reprise , la croissance devrait s’appuyer sur la mise en œuvre du plan national de relance et de résilience, adossé à des réformes structurelles, l’Italie ayant bénéficié de l’impact positif du plan de relance européen (209 Md €). Mais la reprise des exportations sera dépendante du rythme de celle du commerce mondial et du marché intérieur. Malgré les incertitudes, l’Italie dispose d’une solide industrie manufacturière spécialisée dans des niches à haute valeur ajoutée et intégrée aux chaînes de valeurs mondiales, la deuxième européenne après l’Allemagne. Structurée autour de PME dynamiques, elle est la source de l’excédent commercial. Mais comme impact de cette situation mondiale incertaine, les conséquences sociales sont le taux d’emploi faible et le taux chômage relativement élevé, où selon les données d’Eurostat, le il atteint 7,6 % en 2023 alors qu’il est de 5,9 % et 6,4 % en moyenne respectivement dans l’Union européenne et en zone euro avec le chômage des jeunes parmi les plus élevés du continent européen, plus d’un cinquième des jeunes actifs âgés de moins de 25 ans étant considéré comme chômeur et creusant les écarts entre les régions riches et celles pauvres, entre le Nord et le Sud (17,6%)Quant à l’inflation, les prix à la consommation en Italie ont augmenté en moyenne de 5,7% sur l’année 2023, contre 8,1% en 2022, grâce à l’accalmie sur les tarifs de l’énergie, selon des données définitives publiées mardi par l’Institut national de la statistique (Istat).
Coopération Algérie-Italie
Pour les relations commerciales, en 2022, la France était le 3ème client de l’Algérie (10,5 % du total), derrière l’Italie (32,3 %) et l’Espagne (12 %), ’Italie restant le premier client de l’Algérie, achetant annuellement plus du tiers du gaz algérien exporté, tandis qu’elle occupe la deuxième place parmi les pays de l’Union européenne (UE) fournisseurs de l’Algérie. En 2020, le volume global des échanges commerciaux entre l’Algérie et l’Italie a atteint près de 6 milliards de dollars (USD), dont 3,5 milliards USD d’exportations algériennes vers l’Italie (notamment des hydrocarbures) et 2,42 milliards USD d’importations de ce pays (des équipements surtout). Pour 2021, elles ont connu un accroissement s’établissant à 8,5 milliards de dollars, dont 6,6 milliards de dollars d’exportation de l’Algérie et pour 2022 , l’’ambassadeur d’Italie en Algérie, a révélé que les échanges entre l’Algérie et l’Italie atteint un niveau record de 20 milliards d’euros en 2022. L’Agence italienne Nova concernant la période de 2022, indique que la balance commerciale reste en faveur de l’Algérie qui a exporté pour plus de 18 milliards d’euros sur le marché italien contre 2,3 milliards d’euros pour l’ Italie. Mais c’est le secteur des hydrocarbures qui occupe une place importante dans la relation économique algéro-italienne grâce notamment au partenariat entre le Groupe Sonatrach et le groupe énergétique italien Eni, présent depuis 1981 en Algérie. Les deux Groupes gèrent le Gazoduc TransMed, aussi appelé Enrico Mattei, reliant l’Algérie à l’Italie via la Tunisie, d’une capacité d’un volume allant jusqu’à 32 milliards de mètres cubes de gaz algérien vers l’Italie, ayant exporté en 2021 environ 21 milliards de mètres cubes gazeux à travers cette canalisation. Selon les données de l’Institut italien des statistiques (Istat), Pugliese 40% de la consommation italienne de gaz provient de l’Algérie, Les volumes de gaz exportés selon les accords d’entente Italie/Algérie augmenter de 9 milliards m3/an dans les années à venir, sous réserve d’investissements additionnels, à la faveur de l’accord signé, le 11 avril 2022 à Alger par les Pdg des groupes Sonatrach et le groupe Eni, étant devenu en l’espace d’une année et demie le plus important investisseur étranger dans le domaine gazier en Algérie et selon le directeur des opérations des ressources naturelles du groupe italien Eni il y a eu une augmentation des expéditions du gaz depuis l’Algérie durant l’année 2023 15 milliards de m3 soit une augmentation de 3 milliards de m3 par rapport à l’année 2022. Espérons l’activation du projet Galsi gelé depuis 2012, qui devait approvisionner la Sardaigne et la Corse d’une capacité de 8 milliards de mètres cubes gazeux et d’un coût estimé en 2010 à 3 milliards de dollars (voir conférence du Pr Mebtoul en 2012- www.google.com sur ce sujet lors d’une tournée en Sardaigne pour défendre ce projet). D’une manière générale, l’objectif stratégique entre l’Algérie et l’Italie sera de diversifier la coopération économique et sur le plan politique de consolider davantage les réalisations bilatérales avec l’objectif commun de promouvoir une plus grande stabilité et prospérité dans la région méditerranéenne. C’est dans ce cadre que responsables algériens et italiens ont exprimé récemment le souhait de voir la coopération bilatérale entre Alger et Rome se diversifier. L’Algérie est prête à accroître ses exportations en direction de l’Europe mais il appartient aux Européens de venir investir en Algérie, dont l’Italie tant dans les hydrocarbures traditionnels que dans les énergies renouvelables et l’hydrogène vert un des axes de la stratégie énergétique de l’Algérie est le développement de l’investissement dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique ambitionnant de couvrir la consommation intérieure de 40% à partir des énergies renouvelables horizon 2030/2035, d’exporter vers l’Europe à travers des interconnexions et exporter également l’hydrogène vert pour couvrir les besoins de l’Europe d’environ 10/15% horizon , étant souhaitable que l’annonce du câble électrique sous-marin reliant l’Algérie à la Sardaigne, un projet stratégique, soit alimenté par les énergies renouvelables.
Avec la présence entrepreneuriale italienne en Algérie outre les hydrocarbures, un nombre dépassant les 200 entreprises italiennes en activité dans grands travaux publics, l’industrie, les équipements et le machinisme, l’objectif sera de diversifier la coopération économique : pas seulement dans l’énergie, mais surtout d’impulser les segments hors hydrocarbures, dont les infrastructures, les PME, l’innovation technologique (donc le savoir pilier du XXIème siècle avec bonne gouvernance), l’agro-industriel et les télécommunications. Sur le plan politique, il s’agira de consolider davantage les réalisations bilatérales avec l’objectif commun de promouvoir une plus grande stabilité et prospérité dans la région méditerranéenne.
En conclusion, la coopération entre l’Algérie et l’Italie ne concerne pas seulement le volet économique, mais les volets politiques, sécuritaires et culturels. Sur le plan économique, l’Italie a une longue expérience d’intégration de la sphère informelle, qui était dominante par le passé, au sein de la sphère réelle et est également un vivier d’expériences pour la dynamisation des PMI/PME et peut être bénéfique pour l’Algérie dans le cadre de ses réformes structurelles, déterminantes entre 2024/2030. En bref, puisse la coopération Italie Afrique , contribuer à faire des espaces euro-africains un lac de paix et une prospérité partagée.
ademmebtoul@gmail.com