Une planification stratégique de profondes réformes structurelles, condition de la relance
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités et expert international docteur
Une femme ou un homme politique qui n’insère pas ses actions au sein d’un cadre théorique cohérent aboutit par ses actions à des effets pervers qui peuvent se traduire en pertes pour la Nation et se chiffrer en dizaines de milliards de dollars. Un théoricien qui élabore des schémas en dehors de la réalité aboutit aux mêmes effets négatifs, d’où l’importance de synchroniser la théorie et la pratique.
Les mutations géopolitques, économiques, sociales et culturelles, souvent oubliées, survenues depuis quelques années dans le monde, ainsi que celles qui sont appelées à se produire dans un proche avenir, doivent nécessairement trouver leur traduction dans des changements d’ordre systémique destinés à les prendre en charge et à organiser leur insertion dans un ordre social, lui-même, en devenir, le monde devant connaître entre à l’horizon 2040 un profond bouleversement du pouvoir économique mondial . Une femme ou un homme politique qui n’insère pas ses actions au sein d’un cadre théorique cohérent aboutit par ses actions à des effets pervers qui peuvent se traduire en pertes pour la Nation et se chiffrer en dizaines de milliards de dollars. Un théoricien qui élabore des schémas en dehors de la réalité aboutit aux mêmes effets négatifs, d’où l’importance de synchroniser la théorie et la pratique. C’est faute de comprendre l’essence du fonctionnement de la société comme le poids de la bureaucratie, de la sphère informelle, l’inflation et la cotation des monnaies, le faible taux de croissance, le chômage, le gel de projets tel que souligné récemment par le président de la République que l’on s’appesantit sur des mesures conjoncturelles. Ce qui explique qu’après plusieurs décennies d’indépendance politique nous avons toujours une économie rentière (97/98% des recettes en devises provenant des hydrocarbures avec les dérivés, (selon le rapport officiel -source APS- de février 2024, le montant des exportations hors hydrocarbures fin 2023 a été de 5 milliards de dollars contre 7 milliards de dollars en 2022 incluant 65/67% de dérivées d’hydrocarbures et plus de 80% incluant les semi produits ), cela influe sur le taux de croissance, de l’emploi, des réserves de change et de la cotation du dinar. L’objet de cette présente contribution est de tracer les perspectives, l’Algérie ayant d’importantes potentialités et pour une appréciation objective d’une situation donnée, il est souhaitable d’avoir une longue période car le calcul du taux de croissance, taux de chômage, du taux d’inflation se calcule par rapport à la période précédente, ainsi, un taux d’inflation, de 7% en 2024 rapporté à un taux d’inflation de 10% en 2023 donne un taux cumulé de 17% pour les deux années.
Toute planification stratégique doit tenir compte à la fois les mutations mondiales, de la -morphologie interne de la société, de son histoire, de sa situation présente et de son évolution car tout projet de société étant porté forcément par des forces politiques, sociales et économiques, les réformes étant fonction des rapports de force au niveau de la société et non au sein de laboratoires de bureaucrates devant être à l’écoute des aspirations profondes de la société de la société. C’est pourquoi, il faut insister sur l’effort d’une information de vérité, accessible à toute la population, pour montrer l’opérationnalité de l’action gouvernementale au profit des générations présentes et futures. Le défi 2023/2030 pour l’Algérie est la refondation de l’Etat passant par un nouveau mode de gouvernance dont le fondement est la liberté au sens large pour une société participative et citoyenne, impliquant une réelle décentralisation autour de grands pôles régionaux. Les responsables algériens s’adapteront-ils à ce nouveau monde dynamique en perpétuel mouvement, n’existant pas de modèle statique, par une nouvelle politique économique tenant compte des nouvelles filières mondiales axée sur la transition numérique et énergétique. L’on doit définir clairement les objectifs stratégiques et les actions opérationnelles datées auxquelles doit s’atteler le gouvernement afin d’établir un bilan des réalisations et des insuffisances de chaque département ministériel et de prévoir les objectifs à atteindre, fonction des moyens et des contraintes internes et externes qui s’articulent autour de cinq axes : premièrement, comment se pose le problème ; deuxièmement quelles sont les contraintes externes (engagements internationaux de l’Algérie) ; troisièmement, quelles sont les contraintes sociales, financières et techniques internes ; quatrièmement, quels sont les choix techniquement possibles et les ensembles de choix cohérents et quelles sont les conséquences probables de ces choix ; cinquièmement, quelles méthodes de travail choisir qui permettent de déterminer les paramètres (moyen et long terme) et les variables (court terme) dont dépend un système complexe. Après avoir décomposé la difficulté en éléments simples, il convient de se poser des questions et apporter des réponses opérationnelles, loin des théories abstraites, réalisations physiques et plan de financement sur chacun des éléments : Quoi ? Qui ? Où? Quand ? Comment ? Combien ? Pourquoi? Comment faire ? L’on devra distinguer dans la hiérarchisation les projets capitalistiques dont le seuil de rentabilité, si le projet est lancé en 2023, ne sera rentable qu’à l’horizon 2028/2030 des projets hautement capitalistiques, donc au bout de cinq à sept années et pour les projets faiblement capitalistiques (PMI/PME) au bout de 2/3 années – C’est dans ce cadre qu’il s’agit d’encourager les industries de l’avenir d’avenir : la santé, l’alimentation, l’écologie, l’hygiène, l’éducation, la recherche, l’innovation, la sécurité, le commerce, l’information, la culture ; et bien d’autres, ces segments étant capables d’augmenter leur productivité, et d’améliorer sans cesse leur capacité de satisfaire la demande sociale nouvelle, fonction de nouveaux comportements, devant éviter ces assainissements à répétition des entreprises publiques revenues à plus de 80% à la case départ, un véritable gouffre financier, où selon les données du premier ministère (source APS) 250 milliards de dollars ont été consacrées durant les trente dernières années à fin 2020, ne pouvant continuer sur cette voie suicidaire
La relance économique ne se décrète pas dans des bureaux ou des discours en contradiction avec la réalité interne et mondiale et dans ces interminables séminaires alors que l’objectif est l’action concrète sur le terrain . Pour un développement durable, s’impose pour l’Algérie la concrétisation des réformes institutionnelles et économiques, nécessitant une mobilisation générale, un large front national tenant compte des différentes sensibilités et un discours de vérité pour un sacrifice partagé. La nouvelle politique économique en Algérie doit s’articuler autour de trois axes directeurs : Premièrement, la forte croissance peut revenir, mais cela suppose la conjugaison de différents facteurs : une population active dynamique, un savoir, le goût du risque et des innovations technologiques sans cesse actualisées, le combat contre toute forme de monopole néfaste, une concurrence efficace, un système financier rénové capable d’attirer du capital et une ouverture à l’étranger. Retarder les réformes ne peut que conduire à l’appauvrissement une perte de confiance où l’Algérie n’aura plus les moyens de préparer ces réformes et vivra sous l’emprise de la peur, voyant partout des menaces où les autres voient des chances. Deuxièmement, la majorité des Algériens, doivent savoir que l’avenir de l’emploi et de leur pouvoir d’achat n’est plus dans la fonction publique, et que celui des entreprises n’est plus dans les subventions à répétition. L’essentiel de l’action est entre les mains des Algériens, qui devront vouloir le changement et partager une envie d’avenir, d’apprendre davantage, de s’adapter, de travailler plus et mieux, de créer, de partager, d’oser. La nature du pouvoir doit également changer, supposant une refonte progressive de l’Etat par une réelle décentralisation autour de grands pôles économiques régionaux, impliquant qu’il passe de l’Etat gestionnaire à l’Etat régulateur, en favorisant l’initiative des amangers publics et privés par la prise du risque par la dépénalisation de l’acte de gestion à ne pas confondre avec corruption au sein d’un monde économique incertain et turbulent.Troisièmement, l’Algérie doit rénover sa gouvernance et mettre en place une véritable économie de la connaissance, entre 2025/2030 /2035 l’intelligence artificielle risque de bouleverser la structure des emplois traditionnels qui risquent de disparaître à plus de 70%, d’où l’urgence une profonde réforme de l’éducation du primaire au supérieur en passant par la formation professionnelle. Il s’agira de développer le savoir de tous, de l’informatique au travail en équipe, de l’arabe, du français, du chinois à l’anglais, du primaire au supérieur, devant éviter l’erreur de privilégier uniquement la recherche appliquée, la recherche théorique étant le fondement de l’innovation. Il y a lieu d’éviter l’illusion monétaire, la monnaie étant avant tout un rapport social, traduisant le rapport confiance Etat/citoyens, étant démontré que n’existe pas de corrélation entre les pays les plus riches et le niveau des réserves de change et que ce ne sont pas les pays qui ont une balance commerciale excédentaire qui connaissent un taux de croissance élevé. La richesse de toute nation provient de la bonne gouvernance, d’un afflux important de l’investissement national et étranger créateur de valeur ajoutée reposant sur le travail et l’intelligence et aucun pays ne s’est développé grâce aux mythes des matières premières. Après avoir épuisé ses stocks d’or, avec la découverte de Christophe Colomb, l’Espagne a périclité pendant plusieurs siècles. L’Algérie doit profiter des indicateurs financiers positifs pour transformer le capital argent richesses virtuelles en richesses réelles et le caractère social de l’Etat ne doit pas reposer uniquement sur la rente des hydrocarbures mais sur le travail et l’intelligence en conciliant l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale, la justice sociale ne signifiant pas égalitarisme source de démotivation.
En conclusion, l’Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétences, de loyauté et d’innovation sont instaurés comme passerelles de la réussite et de la promotion sociale. Ainsi, s’impose un État régulateur (non État gestionnaire) au moyen d’une planification stratégique fondée sur la moralisation de la société, la lutte contre la bureaucratie et la corruption qui accentuent le divorce État-citoyens constituant un frein à l’investissement national ou international créateur de valeur ajoutée. Pour réussir les réformes, l’Algérie a besoin de nouvelles intermédiations politiques, sociales, culturelles et économiques, loin des aléas de la rente. Un regard critique et juste doit être posé sur la situation de l’Algérie, sur ce qui a déjà été accompli de 1963 à 2023, et de ce qu’il s’agit d’accomplir entre 2024/2030 au profit exclusif d’une patrie qui a besoin de se retrouver et de réunir tous ses enfants autour d’une même ambition et d’une même espérance, la sécurité nationale et le développement économique et social du pays. ademmebtoul@gmail.com