Les enjeux de la réforme du système financier et poids de la sphère informelle
Par Abderrahmane Mebtoul
Professeur des universités, expert international docteur, directeur général des études économiques et haut magistrat Premier conseiller à la Cour des comptes de 1980 à 1983.
Le système financier algérien, poumon des réformes et enjeu de pouvoir, a besoin de réformes structurelles à la fois pour intégrer la sphère informelle ce qui renvoie à l’éco-système et pour dynamiser le tissu productif et cela concerne les banques, les Domaines, les Douanes et l’administration fiscales lesquelles doivent s’adapter aux normes internationales.
Le système bancaire algérien doit être connecté avec la sphère réelle
La performance du système bancaire n’est pas une question de cadres compétents au niveau des banques, car il existe des femmes et hommes de valeur mais non autonomes dans la décision de gestion. La réforme du système financier renvoie fondamentalement à la gouvernance globale. C’est que l’Algérie a peu de banques accompagnant les véritables investisseurs et pas de véritables bourse des valeurs, la bourse d’Alger étant en léthargie depuis 1996. Plusieurs questions se posent concernant le système financier algérien, poumon du développement du pays et de la croissance future du pays. C’est un enjeu énorme de pouvoir, ce qui explique que les réformes structurelles annoncées depuis plus des décennies années soient souvent différées, les banques publiques en 2023 représentant plus de 85% des crédits octroyés. Malgré leur nombre, les banques privées sont marginales. A partir de là, ne faut-il pas parler de refondation du système financier algérien pour dynamiser le tissu productif algérien ? La majorité des entreprises, que ce soit pour leur investissement ou leur exploitation courante, sont entièrement dépendantes de la «monnaie hydrocarbures ». Et parallèlement, se tisse des liens dialectiques entre la logique rentière et l’extension de la sphère informelle (avec des monopoleurs informels), produit des dysfonctionnements des appareils de l’Etat et de la bureaucratie. Dans sa note de février 2024 sur la conjoncture économique relative aux tendances monétaires et financières des 9 premiers mois de l’année 2023, la Banque d’Algérie a souligné qu’en septembre 2023, les sommes d’argent qui circulent en dehors du circuit bancaire ont atteint 8026,19 milliards de dinars, dépassant de loin les 7392,8 milliards de dinars enregistrés à fin décembre 2022, représentant au cours de 137 dinars un dollar 59,39 milliards de dollars soit environ 33% du PIB . La finance islamique, a eu un impact mitigé pour l’instant en Algérie pour absorber et bancariser ces fonds, le volume des dépôts au niveau des banques étant passé de 546,69 milliards DA en 2022 pour atteindre 623,83 milliards DA à fin juin 2023, soit moins de 1% de la masse monétaire de la sphère informelle. Quant aux bureaux de change pour canaliser l’épargne informelle, ils ne sont pas encore opérationnels, leur réussite étant conditionnée par le taux d’intérêt qui fluctue entre celui du marché parallèle et celui de la cotation officielle avec un l’écart entre 10/15% minimum au niveau de la sphère réelle. L’informel contrôle plus de 65% des segments des produits de première nécessité : marché des fruits et légumes, du poisson, de la viande rouge et blanche et à travers les importations le textile et le cuir. C’est un système économique construit sur un ensemble de réseaux portés par des intérêts financiers individuels à court terme, développant ensuite à moyen terme des stratégies d’enracinement bloquant les réformes pour préserver des intérêts acquis, pas forcément porteur de croissance mais pour le partage de la rente. Or, la vraie richesse ne peut apparaître que dans le cadre de la transformation du stock de monnaie en stock de capital, et là est toute la problématique du développement. Les banques publiques croulent sous le poids de surliquidités dont plus de 70% provenant de la Sonatrach via la BEA (banque qui est florissante que grâce à Sonatrach) qu’elles n’arrivent pas à transformer en capital productif. On peut considérer que les conduits d’irrigation, les banques commerciales et d’investissement, opèrent non plus à partir d’une épargne puisée du marché, éventuellement un reliquat du travail, mais par les avances récurrentes (tirage: réescompte) auprès de la Banque d’Algérie pour les entreprises publiques qui sont ensuite refinancées par le Trésor public en la forme d’assainissement, rachat des engagements financiers des EPE auprès de la Banque d’Algérie. L’analyse du système financier algérien ne peut être comprise sans aborder la rente des hydrocarbures. Tout est irrigué par la rente des hydrocarbures donnant ainsi des taux de croissance, de chômage et d’inflation fictifs. La richesse nationale créée puise sa source dans la relation du triptyque: stock physique (stock ressources naturelles d’hydrocarbures)-stock monétaire (transformation: richesse monétaire) – répartition (modalités et mécanismes de répartition: investissement-consommation-fonds de régulation). La société des hydrocarbures ne créait pas de richesses ou du moins très peu, elle transforme un stock physique en stock monétaire (champ de l’entreprise) ou contribue à avoir des réserves de change qui du fait de la faiblesse de capacité d’absorption sont placées à l’étranger (86%) y compris le quota et prêts de 5 milliards de dollars au FMI.
Avoir une planification stratégique afin de combattre le terrorisme bureaucratique
Toute démarche scientifique exige de partir du général pour revenir au particulier afin de proposer des solutions concrètes aux problèmes multidimensionnels auxquels est confronté le pays durant cette étape décisive, les tactiques devant s’insérer dans le cadre d’une vision stratégique à moyen et long terme. La confusion des rôles jouant comme vecteur dans ce sens dans la mesure où la forme d’organisation ne fait que traduire les objectifs ou les non objectifs qui ont un soubassement politique. Le bureau comme l’a montré le grand sociologue Max Weber est nécessaire dans toute économie mais il doit être au service de la société. Il est nécessaire au fonctionnement de toute économie mais non fonctionner comme pouvoir bureaucratique. Des structures centrales et locales hétéroclites non synchronisées et souvent antinomiques bloquent la circulation de l’information qui en ce XXI siècle avec la révolution d’Internet constitue le véritable pouvoir, certaines sous structures ou personnes acquérant plus de pouvoir par la détention de certaines informations. Ces réseaux croisés – étanches – expliquent que lors de séminaires à intervalles de quelques mois, des responsables donnent des chiffres différents parfois contradictoires, comme les différents taux de croissance d’inflation et du taux de chômage qui contredisent les tests de cohérences. Or la base de toute décision repose sur une information fiable et une erreur de politique économique peut se chiffrer en pertes pour la Nation de plusieurs centaines voire des milliards de dollars. Pour l’ensemble des raisons évoquées précédemment, les rapports de l’Instance chargé de la corruption, de l’IGF, de la Cour des Comptes, des Commissaires aux Comptes, et même de l’APN restent incomplets surtout en tant que mesures à prendre, en recommandations pour éviter que de telles pratiques ne se reproduisent. Par ailleurs, pour pouvoir sanctionner une entité, il faut qu’elle ait été responsable. Peut-on sanctionner un directeur général qui a subi une injonction externe? Un directeur général d’entreprise publique est-il propriétaire dans le sens économique large- véritable pouvoir de décision-de son entreprise? Qui est propriétaire en Algérie de l’ensemble de ces unités économiques et de certains segments des services collectifs se livrant à des opérations marchandes? C’est toute la problématique du passage de l’Etat propriétaire gestionnaire à l’Etat Régulateur ou stratège que n’ont résolu ni les grandes sociétés nationales 1965/1979, puis leur découpage de 1980 à 1986 ; ni la structure des fonds de participations vers les années 1989/1990, ni la nature des holdings 1995/1999, ni les sociétés de participation de l’Etat SGP 2000/2018, qu’ils soient de 10, 20 ou 30, ni les groupes industriels 2018/2019 , ni récemment la tutelle ministérielle. Pour preuve l’assainissement des entreprises publiques a couté au Trésor public durant les trente dernières année selon un rapport du Premier ministère plus de 250 milliards de dollars et plus de 85% étant revenues à la case de départ (source APS) .
Pour un Etat de droit
Combien d’habitations ont été construites illicitement et que les autorités locales ont régularisé par la suite sous la pression de la rue ? Combien d’Algériens ont construit des habitations individuelles légalement mais qui ont en majorité entre 5 à 10 ans des actes administratifs et non des titres de propriété ? Paradoxe, avec des conflits entre des structures de l’Etat notamment les APC et les réserves foncières traduisant des conflits d’intérêts ? Combien d‘entrepreneurs au niveau des zones industrielles ont-ils des titres de propriété souvent demandés par les banques comme une fraction des garanties des prêts octroyés ? Qu’en sera-t-il pour le dossier sensible du cadastre agricole ? Des enquêtes précises montrent que la majorité des entreprises publiques n’ont pas une délimitation claire de la superficie qu’elles occupent souvent en contradiction avec les données figurant dans leurs bilans? Que l’on visite en Algérie toutes les wilayas, faisons un inventaire de ces actifs et rapportons cette valeur à celle que donnent les statistiques officielles, et nous aurons mesuré l’importance de ces immobilisations en dehors du Droit et que le produit national ne décode pas. Cela a des incidences sur la structuration spatiale des villes qui se créent partout et dans tous les lieux et ne pouvant pas planifier des besoins en eau, électricité (souvent avec des raccordements anarchiques) et sans réseaux d’assainissement. Cette situation est le reflet de la structuration sociale complexe où cette sphère dite « illégale » n’est pas relativement autonome vis-à-vis des sphères bureaucratiques locales et centrales. Or lorsque le droit ne fonctionne pas, rien d’autre ne fonctionne avec les risques d’autoritarisme et d’abus qui pénalisent surtout les couches les plus défavorisées. Le droit de la propriété est essentiel et l’intégration de la sphère informelle est cruciale si on veut créer une économie de marché véritable basée sur la production de richesses et l’Etat de droit, renvoyant à l’efficacité des institutions démocratiques au sein des relations Etat/marché, tant pour un développement fiable local qu’une nouvelle régulation. En fait, l’objectif stratégique est de redonner confiance à la population algérienne en instaurant un Etat de droit, base du retour à la confiance, passant par des actions concrètes de lutte contre la corruption, le favoritisme, le régionalisme, les relations de clientèle occulte qui ont remplacé les relations contractuelles transparentes, l’application de la règle de Piter qui fait que l’on gravite dans la hiérarchie en fonction de sa servitude et de son degré d’incompétence. Le pouvoir bureaucratique sclérosant a ainsi trois conséquences nuisibles au développement en Algérie ( voir notre contribution en 2008 au grand quotidien financier français les Echos.fr , le terrorisme bureaucratique, est l’obstacle majeur au frein à l’Etat de droit et à l’investissement productif) –premièrement, une centralisation pour régenter la vie politique, sociale et économique du pays ; deuxièmement , l’élimination de tout pouvoir rival au nom du pouvoir bureaucratique ; et troisièmement le bureaucrate bâtit au nom de l’Etat des plans dont l’efficacité se révèle bien faible, le but étant de donner l’illusion d’un gouvernement même si l’administration fonctionne à vide, en fait de gouverner une population infime en ignorant la société majoritaire.
En conclusion, la lutte contre la bureaucratie source de la corruption renvoi à la question de l’Etat de droit, la transparence dans les décisions, soutenue par un dialogue permanent ouvert à la société. Cela est sous tendu par la nécessaire rationalisation de l’Etat dans ses choix en tant qu’identité de la représentation collective. Cela n’est pas une question de lois vision bureaucratique et d’une culture dépassée, les pratiques sociales contredisant souvent le juridisme. En fait le dépassement de l’entropie implique la refonte de l’Etat, liée à la moralisation des personnes chargées de gérer la Cité.
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