Culture

Le théâtre au service de la mémoire

La pièce de théâtre, « 132 ans, pour que nul n’oublie », une dramaturgie, déjà présentée au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi, regroupant les extraits de trois textes d’Ould Abderrahmane Kaki, a été reconduite, lundi au TNA, devant un public nombreux.

L’art, et particulièrement le théâtre, joue un rôle crucial dans la préservation et la transmission de la mémoire collective. C’est ce que démontre avec brio la pièce « 132 ans, pour que nul n’oublie », présentée au Théâtre national Mahieddine Bachtarzi (TNA) à Alger. Cette œuvre puissante illustre comment le 4e art peut devenir un vecteur essentiel pour rappeler et honorer l’histoire d’un peuple, en l’occurrence la glorieuse Révolution algérienne.

La pièce, mise en scène par Mohamed Takiret, puise sa substance dans trois textes emblématiques du dramaturge Abdelkader Ould Abderrahmane, dit « Abderrahmane Kaki » (1934-1995) : « 132 ans » (1962), « Ya chaâb Ed’Dhelma » (Ô peuple de la nuit – 1963) et « Ifrikya qabl el âam 1 » (Afrique avant l’an un – 1963). Cette fusion de textes crée une fresque historique saisissante, retraçant 132 années de résistance du peuple algérien face au colonialisme français. Le choix de revisiter l’œuvre de Kaki n’est pas anodin. Pionnier du théâtre dit « Ihtifali », Kaki a marqué l’histoire du théâtre algérien par son engagement et sa capacité à traduire en art les luttes et les aspirations de son peuple. En puisant dans ce répertoire, la production actuelle s’inscrit dans une continuité historique et artistique, faisant le lien entre les générations.

La mise en scène de Mohamed Takiret se distingue par son ambition et sa volonté de créer un spectacle total. Réunissant pas moins de 120 artistes issus de trois générations – comédiens, musiciens, danseurs et ballerines – la pièce offre un panorama impressionnant des talents algériens. Des figures reconnues comme Hassen Benzerari côtoient de jeunes promesses telles qu’Amar Guemroud et Islem Baaziz, symbolisant la transmission intergénérationnelle de la mémoire et du savoir-faire artistique.

L’aspect multidisciplinaire de la production est particulièrement frappant. Le théâtre y dialogue avec la danse, la musique et les arts visuels. Des chorégraphies élaborées par Riadh Beroual s’entremêlent aux compositions musicales d’Abdelkader Soufi et Mohamed El Amine Cheikh. La scénographie de Halim Rahmouni, enrichie par la projection de documents vidéos sur un écran géant, contribue à créer une atmosphère immersive qui transporte le spectateur à travers les époques.

La dimension musicale du spectacle mérite une attention particulière. L’orchestre dirigé par le nayati Mohamed El Amine Cheikh ne se contente pas d’accompagner l’action ; il devient un véritable acteur de la narration. Les musiciens, tous virtuoses dans leur domaine, créent une trame sonore qui souligne, commente et amplifie les émotions véhiculées par le texte et le jeu des acteurs. Les voix des cantatrices Riham Bouchouicha, Nour El Houda Chikhaoui et Lamia Baâtouche ajoutent une dimension lyrique qui touche au cœur. Si la pièce célèbre spécifiquement l’histoire algérienne, son message revêt une portée universelle. En effet, le spectacle inclut un passage dédié à la résistance du peuple palestinien, notamment à Ghaza. Cette séquence, mise en musique et en mouvements, établit un parallèle puissant entre les luttes passées et présentes, soulignant la continuité des combats pour la liberté et la dignité.

« 132 ans, pour que nul n’oublie » illustre parfaitement comment l’art théâtral peut servir de gardien de la mémoire collective. En mêlant différentes formes d’expression artistique, la pièce parvient à toucher un large public, transcendant les générations. Elle permet ainsi de transmettre l’histoire de manière vivante et émotionnelle, bien au-delà de ce que pourraient faire de simples récits ou documents historiques.

Le ministre des Moudjahidines et des Ayants droit, Laïd Rebiga, présent lors de la représentation, a souligné l’importance d’encourager l’écriture de l’histoire algérienne par des artistes nationaux. Selon lui, de telles œuvres « parlent à la génération d’aujourd’hui, une jeunesse garante de l’Algérie nouvelle ». Cette remarque met en lumière le rôle crucial de l’art dans la formation de l’identité nationale et la transmission des valeurs entre générations.

Le spectacle réussit le pari difficile de rendre l’histoire vivante et pertinente pour un public contemporain. En utilisant des techniques modernes de mise en scène et en intégrant des références à des luttes actuelles, il établit un pont entre le passé et le présent. Ce faisant, il rappelle que l’histoire n’est pas un simple récit figé, mais une force vivante qui continue de façonner notre présent et notre avenir.

La volonté de présenter ce spectacle dans d’autres villes d’Algérie témoigne de l’ambition de toucher un public large et diversifié. Cette tournée potentielle pourrait amplifier l’impact de l’œuvre, en faisant résonner son message à travers tout le pays. Elle pourrait également inspirer d’autres créations artistiques visant à explorer et à transmettre l’histoire nationale. « 132 ans, pour que nul n’oublie » démontre avec force la capacité du théâtre à servir de vecteur de mémoire. En fusionnant différentes formes d’expression artistique, en mêlant les générations sur scène et en établissant des ponts entre passé et présent, cette production offre bien plus qu’un simple divertissement. Elle devient un acte de transmission, un outil de compréhension historique et un moyen de renforcer l’identité collective. Dans un monde où la mémoire est souvent menacée par l’oubli ou la déformation, de telles initiatives artistiques s’avèrent essentielles pour maintenir vivace le souvenir des luttes et des sacrifices qui ont façonné les nations. Elles nous rappellent que l’art, loin d’être un simple ornement, peut être un puissant instrument de préservation et de transmission de l’histoire et des valeurs d’un peuple.

R.C.

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