Tensions migratoires entre le Maroc et l’Espagne : Le Makhzen instrumentalise la détresse des jeunes
Des milliers de jeunes Marocains ont tenté de franchir illégalement, cette semaine, la frontière entre le Maroc et l’enclave espagnole de Ceuta, provoquant de vives tensions dans la région. Cet événement met en lumière non seulement la situation économique et sociale difficile au Maroc, mais aussi les stratégies controversées du régime marocain qui utilise la détresse de la jeunesse marocaine et l’immigration pour faire pression sur l’Espagne et à travers elle l’Union européenne.
Une enquête de l’agence espagnole EFE révèle que de nombreux jeunes Marocains fuient en masse vers le territoire espagnol, parfois au péril de leur vie, pour échapper à la misère et au chômage qui les accablent. L’agence cite le témoignage d’Adam, 17 ans, qui s’est joint à un appel viral lancé sur les réseaux sociaux pour entrer massivement à Ceuta. Cette tentative d’exode massif n’est pas un cas isolé. Une récente étude du Baromètre arabe révèle que 55% des jeunes Marocains âgés de 18 à 29 ans ont envisagé d’émigrer, principalement pour des raisons économiques, mais aussi en raison du manque d’opportunités éducatives et de la corruption endémique dans le royaume. Les dernier événements ont rapidement dégénéré en affrontements violents. Des migrants ont jeté des pierres sur les forces de l’ordre marocaines, causant des dégâts matériels dans les rues de Fnideq, ville frontalière de Ceuta. La réponse des autorités a été brutale, avec des arrestations massives et une répression sévère.
Ces incidents rappellent le tragique épisode du 24 juin 2022, où les autorités marocaines avaient violemment réprimé une tentative similaire de migrants africains cherchant à atteindre l’enclave espagnole de Melilla. Ce massacre avait alors provoqué un tollé international.
Au-delà du drame humain, de nombreux observateurs voient dans ces événements une manœuvre délibérée du régime marocain, communément appelé le Makhzen. Le Makhzen utilise la crise migratoire comme moyen de pression sur Madrid pour obtenir des concessions politiques, notamment sur la question du Sahara occidental, et ce en contradiction avec les principes du droit international.
Cette tactique ne serait pas nouvelle. En 2022, le Maroc avait déjà utilisé la carte de la migration clandestine contre l’Espagne, lorsque cette dernière avait accueilli le président de la République arabe sahraouie dans un de ses hôpitaux. La crise qui s’en était suivie avait conduit le Premier ministre espagnol à reconnaître la prétendue souveraineté marocaine sur le Sahara occidental.
L’ancienne ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha Gonzalez Laya, a d’ailleurs dénoncé le chantage exercé par le Maroc sur son pays, utilisant non seulement le dossier migratoire comme moyen de pression, mais aussi l’espionnage via le logiciel Pegasus pour influencer les responsables et les journalistes européens.
Le journaliste Younès Meskine souligne dans un article intitulé « Le Marocain, migrant dans son propre pays » que ces tentatives désespérées de migration reflètent l’incapacité du Maroc à offrir à sa jeunesse la stabilité sociale et économique à laquelle elle aspire. « Ces jeunes ne trouvent pas dans leur pays les moyens de vivre dignement, c’est pourquoi ils vont les chercher ailleurs au péril de leur vie », écrit-il. La situation est d’autant plus cynique que les autorités marocaines n’hésitent pas à réprimer violemment ces tentatives de migration tout en les instrumentalisant politiquement. Elles cherchent ainsi à démontrer leur rôle de « protecteur des frontières européennes » tout en exerçant une pression constante sur l’Espagne et l’Union européenne.
Lyes Saïdi